Certains indicateurs illustrent bien la situation de haute tension du secteur de la santé, comme l’absence de chômage chez les médecins, les refus de patients par ces derniers et des délais d’obtention de rendez-vous et d’examens qui s’allongent.  (Photo: Shutterstock)

Certains indicateurs illustrent bien la situation de haute tension du secteur de la santé, comme l’absence de chômage chez les médecins, les refus de patients par ces derniers et des délais d’obtention de rendez-vous et d’examens qui s’allongent.  (Photo: Shutterstock)

Le nouveau gouvernement n’est pas encore formé, mais un défi l’attend déjà. Le Plan national santé estime que d’ici dix ans, environ 3.800 infirmières et 1.200 médecins de plus seront nécessaires. Un diagnostic sous-estimé si l’on prend en compte certains facteurs soulevés par des acteurs du secteur, dont la FHL, qui propose des Assises nationales.

Au même titre que le logement ou la mobilité, la santé sera bien un dossier majeur et transversal que le prochain gouvernement devra prendre à bras-le-corps. S’il est exagéré de parler de «pénurie», une situation de tension est palpable et risque de s’accroître d’ici une dizaine d’années. 

Selon les données du , qui se basent sur , le Luxembourg compte trois médecins pour 1.000 habitants. Ce qui est inférieur de 23% à la moyenne de l’Union européenne qui est elle de 3,9/1.000. Le pays obtient le deuxième plus faible taux dans l’UE, malgré une augmentation de 39% depuis 2000.

 Sur les près de 1.900 médecins que compte le pays, 68% des médecins sont des généralistes et 32% sont des spécialistes. Leur âge est aussi un facteur qui fait croitre la tension: ils ont en moyenne 51 ans pour les généralistes, et 52,3 ans pour les spécialistes. Autant de postes à remplacer d’ici dix ans lorsqu’ils partiront en pension. 

Pour atteindre la moyenne européenne, le Luxembourg aurait besoin de 1.262 médecins de plus sur dix ans, ainsi que 3.827 infirmières supplémentaires, soit environ 5.000 professionnels à recruter et/ou former. À noter que le nombre d’infirmières évolue lui positivement ces dernières années, conférant au pays la densité la plus élevée de l’UE avec environ 11,7 infirmières pour 1.000 habitants (la moyenne européenne est de 8,4/1.000). 


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Autre raison qui explique des besoins croissants, la hausse de la demande en soins de santé. Et cela n’épargne pas le secteur de l’aide et des soins dont la porte-voix, la Copas (qui représente13.000 salariés), dit observer «avec inquiétude, l’évolution du marché du travail dans le secteur d’aides et de soins. Face au vieillissement de la population, les besoins en ressources humaines continueront à augmenter» ,

Une forte dépendance de la main-d’œuvre étrangère

Le fait que le pays soit fortement dépendant de main-d’œuvre étrangère, que ce soit pour les médecins ou les professions annexes, ne facilite pas les choses. 64,7% des infirmières résident dans des pays limitrophes, et la part des médecins vivant à l’étranger et exerçant au Luxembourg a presque doublé entre 2008 et 2017 (de 15,6% à 26,4%). 

«La disponibilité du personnel de santé formé et résidant au Luxembourg n’est pas garantie aujourd’hui et, au vu de l’évolution démographique des bénéficiaires de soins, ne le sera certainement pas dans les années à venir», est-il écrit dans le Plan national santé, qui souligne aussi «qu’un cycle complet d’études médicales serait un facteur d’attractivité supplémentaire, tout comme les études d’infirmier en soins généraux et infirmiers spécialisés vont s’inscrire dans un cadre universitaire, idéalement commun». 

En attendant, depuis la rentrée 2020, un cycle complet de Bachelor en médecine est proposé. Les formations en sciences infirmières de niveau Bachelor que l’Université du Luxembourg lancera en 2023-2024 seront une réponse. La Copas rappelle aussi l’introduction du nouveau diplôme CCP d’agent d’accompagnement et la création d’une nouvelle profession de santé au niveau d’un diplôme de technicien. 

Et les deux secteurs étant indéniablement liés, et plaide pour une plus grande harmonie, avec un exemple concret: «La Copas rend attentif au fait que si les hôpitaux prestent des services ambulatoires, le problème de pénurie de main-d’œuvre dans le secteur des aides et des soins risque de s’aggraver». Par harmonisation, la Copas entend aussi les conventions collectives. Le secteur de la santé est couvert par deux conventions (SAS et FHL) avec des salaires horaires jusqu’à 17% plus faibles pour ceux de SAS. 

Des prévisions sous-estimées?

Si la moyenne d’âge des praticiens, la hausse des besoins en soins de la population, et la dépendance vis-à-vis de la main-d’œuvre étrangère ont été prises en compte dans les chiffres énumérés ci-dessus, d’autres phénomènes, plus difficiles à mesurer ou quantifier, sont tout de même à prendre en considération.

«La génération qui vient maintenant, que ce soit les médecins ou professionnels de santé, a une approche différente du travail. Ils font toujours leur métier avec la même éthique, mais la balance entre vie professionnelle et privée est très importante. Il y a un changement de paradigme. Cela touche d’ailleurs tous les métiers. On appelle cela la work-life balance, mais de plus en plus parlent de life-work balance», souligne le secrétaire général de la Fédération des hôpitaux luxembourgeois (FHL), Sylvain Vitali. 

Un médecin pour remplacer un départ à la retraite ne sera donc pas suffisant. Pire encore si, entretemps, les travailleurs frontaliers, lassés des temps de trajets, finissent par accepter de perdre en rémunération pour gagner en qualité de vie. 

Il faut un système de gouvernance coopérative et concertée. Il faut que cela devienne une des priorités nationales.
Sylvain Vitali

Sylvain Vitalisecrétaire généralFHL

Mais le Luxembourg n’est pas le seul pays confronté à ces problématiques. Sauf que c’est là encore une difficulté supplémentaire, que Sylvain Vitali qualifie plutôt d’«éthique». «Nous avons un grand bassin de recrutement dans les pays limitrophes, dont certains souffrent aussi de tensions sur les ressources. Nous avons donc une responsabilité éthique vis-à-vis de nos voisins, de réduire les recrutements à l’étranger.»

à l’horizon 2030 fixe d’ailleurs pour objectif – pour les pays à revenu élevé ou intermédiaire – «la satisfaction d’au moins 90% de leurs besoins en personnel de santé avec leurs propres ressources humaines, conformément aux dispositions du Code de pratique mondial de l’OMS pour le recrutement international des personnels de santé». 

Dans le contexte de digitalisation des systèmes de santé, mais aussi des parcours de soins, «nous aurons aussi besoin de nouvelles compétences dans la cybersécurité, mais aussi des data managers pour gérer les données», pointe Sylvain Vitali. 

La santé mérite une gouvernance solide

Face à tous ces défis, «il faut un système de gouvernance coopérative et concertée. Il faut que cela devienne une des priorités nationales», propose le représentant de la FHL. L’étude Lair-Hillion réalisée en 2019 indique qu’au Luxembourg, «pas moins de 22 instances interviennent à un moment ou à un autre dans la gestion des ressources professionnelles de la santé, sans qu’il y ait véritablement de concertation globale sur les problèmes rencontrés.»

Pour la FHL, ces assises consisteraient concrètement à «réunir tous les acteurs autour de la table» afin de mettre en place une gouvernance digne de ce nom. Il faudrait selon elle mobiliser le ministère de la Santé et de la Sécurité sociale évidemment, mais aussi celui du Travail, de la Digitalisation, ou encore celui en charge de l’Immigration pour, par exemple, faciliter le recrutement de professionnels hors UE, mais aussi du Logement ou de la Mobilité pour des questions d’attractivité des talents.


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S’ajouteraient les prestataires de soins, les associations professionnelles, l’Uni ou encore les centres de recherche; «le Lih qui pourrait mener une analyse de fond sur des données objectives et robustes sur l’évolution de la morbidité de la population; le Liser (Luxembourg Institute of Socio-Economic Research) qui étudierait plutôt les compétences sociologiques. Afin de ne pas se contenter des données actuelles», illustre le représentant de la FHL et de conclure: «Il faut une réponse nationale solidaire et créative».