Robert Scharfe s’apprête à quitter la Bourse de Luxembourg après neuf années passées à la tête de cette institution. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Robert Scharfe s’apprête à quitter la Bourse de Luxembourg après neuf années passées à la tête de cette institution. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Robert Scharfe quitte la Bourse de Luxembourg après neuf années à en avoir fait une institution moderne et prête à résister à la concurrence. Reconnue au niveau ­international comme locomotive de la finance durable et au niveau ­européen comme porte d’entrée vers les marchés chinois, elle doit désormais servir de modèle à l’ensemble de la Place. «Nous devons nous orienter vers des activités dont nous pourrons être fiers», insiste le CEO, estimant qu’il faut en finir définitivement avec certaines pratiques du passé.

À quelques semaines de la retraite, dans quel état d’esprit êtes-vous?

. – «Je me sens positif et motivé. Après une ­carrière de 44 ans dans la finance internationale, j’ai toujours autant d’énergie pour aborder ces sujets, qui continuent à m’intéresser et que je pourrais d’ailleurs aborder dans d’autres environnements et d’autres contextes.

Votre vraie passion, c’est la finance internationale?

«J’ai fait toute ma carrière dans la finance internationale, lors de laquelle j’ai eu la chance de pouvoir toucher à tout ce que l’on appelle aujourd’hui l’investment banking: activités de salle de marché, corporate finance, montage d’opérations de financement, asset management, compliance et risk management. Il s’agit là d’un éventail extrêmement large d’activités, qui m’a conduit aux quatre coins du monde. C’est donc cette combinaison de know-how et de contacts internationaux qui ont marqué ma carrière et qui vont garder leur importance dans les années à venir.

Vous avez donc visiblement des projets clairs pour l’avenir proche…

«J’observe qu’au cours des dernières années, la finance durable a vraiment été le thème en pointe dans la finance internationale. C’est un sujet qui concerne tout le monde, sur tous les continents. Notre place financière, à vocation internationale, se focalise aussi davantage sur ce thème, tout comme les États-Unis et l’Asie, d’ailleurs. C’est donc cette thématique qui m’occupera pour les années à venir.

Avez-vous déjà élaboré des pistes concrètes d’action?

«Elles se concrétisent peu à peu. Mais je serai encore très occupé professionnellement jusqu’à mon dernier jour à la Bourse de Luxembourg (le 21 avril, ndlr). La crise sanitaire a compliqué les choses et exige beaucoup d’attention pour faire en sorte que nous puissions fonctionner correctement. Mais, plus concrètement, je voudrais pouvoir partager mes connaissances, mon expérience et mes contacts par rapport à des sujets qui m’intéressent, et donc, en premier lieu, tout ce qui a trait à la durabilité, mais aussi à une gestion durable.

Vous avez travaillé jusqu’à 67 ans. Êtes-vous pour l’allongement de la vie active au-delà de 65 ans?

«Si j’ai poursuivi mes activités au-delà des 40 années qui constituent une carrière complète, c’est parce qu’au niveau de la Bourse, nous étions lancés dans un projet de développement intéressant, qui m’a motivé à poursuivre mon activité au-delà de la limite d’âge officielle. J’étais embarqué au sein d’une équipe extrêmement dynamique qui comptait sur mon expérience.

La Bourse est-elle désormais entre de bonnes mains?

«Elle est entre d’excellentes mains pour aborder tous les défis de l’avenir. Nous avons pu organiser la succession en interne (, , sera la nouvelle CEO en avril, ndlr). Il faut aussi remarquer qu’en plus d’avoir choisi la personne la plus compétente, c’est aussi la première fois, en plus de 90 ans, qu’une femme occupera le poste de CEO.

Je me posais beaucoup de questions personnelles sur l’utilité réelle de la finance et son lien avec l’économie réelle.
Robert Scharfe

Robert ScharfeCEOBourse de Luxembourg

Vous avez pris la direction de la Bourse à un âge où certains pensent déjà à prendre leur retraite. Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter ce poste?

«J’ai quitté le secteur bancaire quelques années après la crise financière de 2008, qui m’a fondamentalement marqué. Je me posais beaucoup de questions personnelles sur l’utilité réelle de la finance et son lien avec l’économie réelle. J’ai essayé de comprendre les outrances qui ont provoqué cette crise. J’étais sur le point de passer à autre chose et, comme mon épouse voulait continuer à travailler jusqu’à la retraite officielle, je me suis dit qu’il fallait que je me trouve une activité sérieuse [rires]. C’est à ce moment que s’est présentée l’opportunité du poste de CEO de la Bourse de Luxembourg.

Dans quel état de santé était l’institution au sortir de cette crise?

«Elle a connu des soubresauts et a été ­impactée. Le ralentissement substantiel des activités des marchés de capitaux a pesé sur la santé de la Bourse. En plus de cela, de nouveaux concurrents sont apparus dans le domaine de la cotation, et ça, c’était nouveau. Jusque-là, il s’agissait quasiment d’une chasse réservée à la Bourse de Luxembourg. Cette nouvelle situation était notamment liée à la crise, d’autres acteurs ayant la volonté de développer de nouvelles sources de revenus. Mais elle était aussi due à l’introduction de la directive Mifid, qui a fondamentalement changé le monde boursier. À partir de 2007, Mifid a aboli les monopoles de traitement des valeurs mobilières sur les plateformes boursières et a libéralisé le système. De nouvelles plateformes ont donc vu le jour un peu partout.

C’est donc dans ce nouvel environnement concurrentiel que vous êtes entré en fonction?

«Effectivement. La Bourse de Luxembourg était reconnue comme une place de cotation très importante, surtout pour le volet obligataire international. Mais, à l’époque, il s’agissait plutôt d’une «administration» pour la cotation. Le plus grand challenge a été d’en faire un prestataire de services innovateur, à l’écoute des marchés et des clients, pour consolider sa position. C’est donc à cela que je me suis attelé au cours de ces neuf années.

Quelle a été votre première grande décision?

«Après trois mois de présence, en 2012, j’ai proposé au conseil d’administration un déménagement des activités. Nous étions répartis dans plusieurs bâtiments dans des bureaux mal agencés, où, personnellement, j’étouffais. Les gens ne savaient pas communiquer correc­tement entre eux, et l’institution manquait clairement de visibilité vers l’extérieur. Aujour­d’hui, on voit que la Bourse est une institution remarquable et remarquée. Ce nouvel environ­nement, plus agréable, a également permis un changement de culture. Nous avons pu nous regarder dans le miroir et voir qui nous voulions être en tant qu’institution.

La Bourse de Luxembourg a tissé des liens étroits avec les bourses chinoises. Qu’est-ce qui a motivé ce choix stratégique?

«Rapidement, nous avons analysé le développement potentiel de la Bourse en regardant d’où pouvaient provenir les émetteurs de demain. Aux alentours de 2015, la Chine, deuxième économie mondiale, avait donné des signes d’ouverture de son système financier vers l’inter­national. Nous avons perçu que des milliers de sociétés chinoises allaient, tôt ou tard, se tourner vers les marchés de capitaux internationaux pour financer leurs projets. La création de liens avec la Chine nous a beaucoup occupés, avec un point culminant en 2017, année lors de laquelle je me suis rendu six fois en Chine. C’était important de le faire. La Chine était perçue comme un immense challenge, voire comme un danger. La Bourse, elle, s’est montrée ouverte à ce qu’il se passait. Aujourd’hui, je considère toujours que nous avons intérêt à coopérer avec la Chine, à bien comprendre ce pays très différent. Mais, pour cela, il faut s’investir, créer des liens, constituer des bases de confiance. Tout cela nous a très bien réussi.


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Mais que recherchez-vous concrètement en collaborant avec les grandes bourses chinoises?

«Pour nous, la situation était claire: un certain nombre de grandes institutions chinoises opéraient déjà sur le marché international. Les grandes banques commerciales qui se sont installées au Luxembourg entre-temps, mais aussi un certain nombre de sociétés chinoises qui étaient cotées sur différentes bourses européennes. Notre démarche était d’utiliser les banques comme des vecteurs d’introduction auprès de leurs clients corporate. Par ailleurs, ce qui nous distingue des autres bourses, c’est la mise à disposition gratuite, auprès des investisseurs, de toutes les informations relatives aux valeurs mobilières que nous cotons. C’est un élément important, notamment quand vous investissez dans des titres de sociétés moins connues. L’objectif était donc clairement d’attirer des investisseurs de tous types au Luxembourg, ­convaincus que c’est à la Bourse de Luxembourg qu’ils seraient les mieux servis.

Cela nous a bien réussi. Je suis convaincu que la Chine a encore un énorme potentiel. La bourse verte, ou LGX, a d’ailleurs contribué à attirer nombre de ces émetteurs, dans la mesure où la Chine était active dans la finance verte bien avant que l’UE mette en place son plan d’action. Nous avions l’instrument adapté pour leur donner de la visibilité sur les marchés internationaux. Avec comme effet secondaire que la visibilité de la Bourse a rayonné sur la place financière dans son ensemble.

Et si la Bourse de Shanghai avait un jour marqué de l’intérêt pour la Bourse de Luxembourg, petite institution indépendante?

«Pour l’instant, elle a pu prendre une participation dans Astana International Exchange au Kazakhstan, mais n’est pas encore arrivée jusqu’en Europe [rires]. Plus sérieusement, il faut reconnaître l’importance de notre institution pour la place financière dans son ensemble. J’ai souvent dit que «si la Bourse de Luxembourg va bien, la moitié du Kirchberg va bien», dans la mesure où nous apportons des affaires qui nécessitent l’intervention de spécialistes de tous types (consultants, ­avocats, etc.). C’est évidemment aux actionnaires de décider quel est le meilleur sort pour cette Bourse, mais je crois que nous devons rester ouverts et regarder toutes les opportunités et toutes les situations qui pourraient se poser, tout en gardant toujours à l’esprit ce que doit être l’intérêt du Luxembourg. L’indépendance de la Bourse est sans doute un gage de dévelop­pement économique pour le pays.

Récemment, vous avez pris des parts dans des start-up. Avec quels objectifs?

«À partir de l’année 2019, nous nous sommes rapprochés des fintech. Nous estimions qu’il était possible de combiner des business bien établis avec les développements de ces jeunes pousses et d’offrir un terrain d’exercice bénéfique aux deux parties. En même temps, cela nous permettait d’accélérer notre processus de digitalisation. Nous nous sommes surtout intéressés à des fintech qui ont une solution à proposer par rapport à des défis que nous avions identifiés. Nous avons donc investi dans la plateforme d’origination d’emprunts Origin, basée à Londres, dans StarTalers, une plateforme luxembourgeoise destinée aux investisseuses, et, tout récemment, dans Tetrao, qui extrait des données sur une base industrielle selon les principes de l’intelligence artificielle. Ce sont des sujets qui nous intéressent énormément et qui nous font avancer beaucoup plus rapidement.

Le LGX est une success-story sans pareille réalisée avec des investissements relativement modestes.
Robert Scharfe

Robert ScharfeCEOBourse de Luxembourg

Avez-vous le souvenir de choses que vous avez tentées et qui n’ont pas abouti?

«Dans les grandes lignes, nous avons réussi nos projets. Ceci dit, nous avons essayé de nous développer davantage à l’international, notamment via des prises de participation dans des sociétés qui auraient pu compléter l’éventail de nos activités, mais sans succès. De grands acteurs autour de nous ont des moyens nettement plus importants et surveillent de près ce que nous faisons. Faut-il avoir des regrets? Pas forcément, cela nous a permis de redoubler d’efforts pour pouvoir faire mieux par la suite. C’est d’ailleurs une des choses qui caractérisent cette institution: elle n’est pas seulement innovatrice, elle est efficace, de petite taille, avec un esprit d’équipe développé, et chaque soi-disant échec a contribué à souder cette équipe.

La création du est, par contre, sans doute le plus grand succès?

«Effectivement. Il s’agit d’une success-story sans pareille réalisée avec des investissements relativement modestes. Après la conférence de Paris sur le climat, nous avons perçu qu’une économie plus durable allait susciter des financements énormes. À l’époque, beaucoup de gens nous ont demandé ce que nous voulions vraiment faire. Nous étions déterminés, et le conseil nous a suivis. C’est clair qu’il fallait oser la finance durable. Le LGX nous a vraiment aidés à renforcer notre image de marque sur le marché international et, alors que nous sommes entrés dans sa cinquième année de fonctionnement et malgré une concurrence qui vient désormais de tous les grands opérateurs, nous gardons une part de marché mondiale de 50% au niveau des obligations vertes, sociales et durables.


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Cette grande innovation nous a aussi rapporté de nombreux prix et reconnaissances. Le magazine Environmental Finance, une référence dans la finance durable, nous a décerné cinq fois d’affilée le prix Bourse de l’année ces cinq dernières années. C’est quelque chose d’impensable. Mais c’est lié au fait que cette plateforme a su évoluer chaque année. Nous avons aussi reçu, en 2020, le Global Climate Action Award des Nations unies, remis à 13 ­institutions du monde entier. Nous avons reçu ce prix dans la catégorie Financing for ­Climate Friendly Investment, et nous sommes la seule institution financière à être reconnue. C’est la preuve que nous avons fait les bons choix.

Ces dernières années, la Bourse s’est révélée être un grand ambassadeur de la finance verte au Luxembourg. Comment est né cet intérêt?

«Il faut se rappeler que la Bourse a déjà coté le premier emprunt vert en 2007. Il avait été émis par la Banque européenne ­d’investissement. Ces émissions vertes sont ensuite arrivées au compte-gouttes au cours des années suivantes. Mais, à l’époque, en pleine crise financière suivie de la crise de la dette souveraine, elles n’étaient pas vraiment sur le radar. Pour nous, le véritable déclencheur est survenu en 2015 avec l’accord de Paris sur le climat et la promotion des 17 objectifs de développement durable des Nations unies. Nous nous sommes alors posé la question de savoir ce que nous pouvions faire pour contribuer au développement de ce marché, sachant que nous avions déjà été en contact avec ces instruments depuis 2007. Par la suite, la visibilité du travail que nous avons effectué par rapport à la finance verte a fait prendre cons­cience à pas mal de gens sur la place financière que quelque chose de fondamental était en train de naître. L’État, qui figure parmi nos actionnaires, a également pu observer qu’il s’agissait d’un phénomène capital pour le développement du centre financier dans son ensemble.

Que reste-t-il à faire pour assurer ce développement?

«Malgré les importants progrès déjà réalisés, la finance durable représente, en volume, une faible partie de l’ensemble. Elle est évidemment en croissance, et la pandémie y a contribué, mais, et cela a souvent été dit, il faut encore aller beaucoup plus loin et plus rapidement. La finance durable est vraiment la finance d’avenir. C’est une finance propre, transparente, directement liée à l’économie réelle. Elle opère selon des standards et des normes internationalement reconnus, et elle acquiert progressivement une base scientifique pour déterminer ce qui est durable. Elle se traduit à travers des projets ou des comportements de sociétés qui ont des objectifs très clairs, mesurables et surtout compréhensibles par tout le monde. Les acteurs de l’économie sont en train de modifier leurs comportements en faveur de plus de durabilité. Et cette nouvelle économie durable nécessite une finance durable pour la supporter. Il existe donc là une ­opportunité de rêve pour la place financière luxembourgeoise de se réorienter. Notamment parce que la finance durable n’a pas ce problème d’image que d’autres activités peuvent avoir.

C’est l’avenir de la Place?

«Personnellement, j’en suis convaincu. Pour la Place de Luxembourg, il ne peut pas ­uniquement s’agir d’un effet de mode. C’est clairement une opportunité unique de nous spécialiser, de devenir un leader, dans le sens de celui qui est convaincu et tire les initiatives, et d’oser aller plus loin que ce qui est exigé sur le moment.

Le Luxembourg a été assez bien critiqué au niveau international ces dernières an­nées, pas plus tard encore qu’il y a quelques semaines avec le dossier OpenLux. Y a-t-il eu des moments lors desquels vous avez douté de la pratique des affaires instituée sur la Place luxembourgeoise?

«La place financière luxembourgeoise a, pendant très longtemps, agi sous l’influence de réglementations locales. Le cadre réglementaire est, au fil des années, devenu de plus en plus européen, voire international. Parallèlement, l’essor fulgurant de la place financière, qui représente aujourd’hui plus d’un tiers du PIB du pays, a fait que les activités se sont diversifiées. Aujourd’hui, le moment me semble opportun pour se poser des questions sur les choix futurs à faire pour pouvoir continuer à faire croître cette Place, mais dans un cadre de transparence et de durabilité. Il faut recréer des liens étroits avec l’économie réelle. Cela entraînera certains choix qu’il faudra ­assumer. Mais notre expérience et notre ouverture très importante vers l’international sont les outils idéaux pour assurer la croissance de cette place financière dans un contexte de modification des normes et des standards internationaux.


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Y a-t-il, selon vous, une réflexion à avoir sur le futur de la Place?

«Oui, il faut s’interroger sur la manière dont on doit positionner cette Place, en se montrant conforme par rapport aux standards internationaux et, là où c’est possible, en allant même une étape plus loin, tout en assurant une approche pragmatique entre les diffé­rents acteurs et le régulateur pour maintenir l’attractivité de la Place dans les activités qui importent.

Y a-t-il encore du travail à faire pour répondre aux standards internationaux?

«Les fondements de cette Place sont extrêmement solides, mais par rapport à certains créneaux, il convient de se poser la question de savoir si nous voulons encore faire reposer notre évolution sur ces activités. Plutôt que de vouloir se défendre à tout prix, il faudrait peut-être utiliser ces attaques comme une opportunité de remettre en question certaines pratiques et de prendre les mesures qui seront profitables à long terme. Il faut faire ce qui est nécessaire pour pouvoir être fier de ce que la Place luxembourgeoise réalise.

Vous ne ressentez plus cette fierté?

«Il existe un sentiment ambivalent dans la société luxembourgeoise par rapport à sa place financière. On en a besoin pour soutenir le développement économique, mais on ne la soutient pas vraiment. À Londres, par exemple, on voit l’effet inverse. Alors qu’elle est chahutée par le Brexit, tout est mis en œuvre pour que la City garde son rayon­nement international dans une approche business-oriented et très pragmatique de l’ensemble des acteurs, y compris les autorités nationales. Le Luxembourg doit faire des choix pour qu’on puisse défendre sa Place en son âme et conscience. Et être fier de montrer la mission qu’elle remplit en matière de financements internationaux.

Et cela passe par la concentration d’une part de l’activité sur la finance durable plutôt que sur d’anciennes pratiques…?

«Des enquêtes récentes montrent que les métiers du secteur financier ne font plus partie des préférences des jeunes aujourd’hui. La finance durable a le potentiel pour faire changer ce sentiment. Les jeunes cherchent une raison d’être à leur travail et demandent à voir ­l’impact de ce qu’ils font. Il faut construire ­massivement là-dessus. Et il ne suffit pas de dire que «nous sommes une place financière durable», il faut agir à tous les niveaux et se montrer encore beaucoup plus proactifs.

Cela devrait faire taire les critiques?

«Le poids de l’activité de la place financière par rapport à la taille du pays entraînera encore des critiques, même si ce n’est pas un argument valable. Ce n’est pas la critique de la taille qui devrait nous occuper, nous devrions plutôt mettre l’accent sur le fait que tout ce qui se pratique ici a du sens dans l’intérêt de la société au sens le plus large. Nous devons mettre en évidence qu’une grande part des capitaux gérés depuis le Luxembourg sont déployés dans des projets hors de nos frontières. C’est cela qu’il faut mettre en exergue. Risquer sa réputation pour quelques activités ou clients connexes n’en vaut pas la peine. Il faut se montrer exigeant.

La fin du secret bancaire, par exemple, comment l’avez-vous vécue?

«On pourrait encore faire le parallèle avec le développement de la finance durable au Luxembourg. Soit je suis passif et j’attends que l’on m’impose certains comportements et des obligations de reporting, soit je fais le choix d’être le «meilleur de la classe» et je construis moi-même l’avenir. La situation était la même avec le secret bancaire. Il ne servait à rien de vouloir s’attacher à quelque chose qui, in fine, était de toute manière condamné. On a donc bien fait de l’abolir de notre propre initiative. On peut regretter de ne pas l’avoir fait un peu plus tôt, mais construire une place financière sur des standards qui ne sont pas acceptables sur le plan international est en tout cas une mauvaise stratégie.

Comment analysez-vous l’évolution des médias économiques au cours de votre carrière?

«Les médias économiques et financiers jouent aujourd’hui, beaucoup plus que dans le passé, un rôle d’investigation critique. C’est très important que les médias ne se limitent pas seulement à rapporter et informer, mais bien qu’ils prennent des attitudes critiques et ­questionnent. C’est indispensable: ils assurent le fait que les dirigeants se posent les bonnes questions par rapport à leurs comportements.

Revenons à votre parcours. À la sortie des études, qu’est-ce qui vous a attiré vers le monde de la finance?

«En tant que détenteur d’une maîtrise en sciences économiques, j’avais surtout fait des études théoriques et je voulais comprendre à quoi cela servait. J’ai donc rejoint la Banque générale du Luxembourg. J’ai eu directement l’oppor­tunité de rejoindre un département naissant, celui des opérations financières internationales. Il s’agissait à l’époque d’une toute petite entité au sein de la banque, mais qui, au cours des années, s’est développée de manière substantielle. Nous avons participé au développement de la place financière en touchant à tout, mais, en même temps, en devant tout construire. C’est justement cela qui était intéressant.

Si vous n’aviez pas fait cette carrière, qu’auriez-vous fait?

«Étant jeune, j’étais très attaché à la nature et aux animaux. Une carrière de garde forestier aurait pu me tenter.

Quels ont été les moments les plus forts de votre vie professionnelle?

«Les moments les plus forts ont chaque fois été ceux où l’on réalisait des projets pour lesquels on s’interrogeait réellement sur la manière de procéder pour pouvoir en venir à bout. Il y en a eu autant à l’époque BGL que pendant la période Fortis ou encore à la Bourse. Nous avions beaucoup de défis à relever. Mais les réussir nous offrait une grande satisfaction et nous donnait la motivation pour continuer et persévérer.

Si vous deviez citer un exemple…?

«Au début des années 1990, à la banque, nous étions parvenus à positionner le franc luxembourgeois en tant que quatrième monnaie la plus utilisée dans les financements d’emprunts internationaux. Cela veut dire que nous avions développé un marché luxembourgeois qui prenait une dimension très importante. La BGL était l’opérateur numéro un dans ce domaine, ce qui nous a valu des mentions dans la presse spécialisée internationale.

Vous vous êtes aussi retrouvé chez Fortis Belgique à un moment délicat de son parcours. Une période difficile à gérer?

«L’expérience Fortis, depuis l’année 2000, fut une expérience très intéressante et riche. Nous opérions à un niveau beaucoup plus important que le noyau luxembourgeois. Cela a aussi été le moment où j’ai pu le plus mettre en valeur mon ouverture envers d’autres cultures et d’autres pays, ce qui m’a permis de reprendre la responsabilité de toutes les salles de ­marché au niveau du groupe. Elles étaient réparties sur quatre continents dans 17 pays. Évidemment, la fin a été moins heureuse avec le déclenchement de la crise financière. Fortis a malheureusement été une des premières institutions financières à avoir été touchées. Mais, comme toute expérience dans la vie, celle-là m’a marqué et m’a permis de ­contribuer au développement de la finance ­internationale, ce que j’ai fait au cours des 10 dernières années. J’avais pris conscience qu’il y avait des choses à changer globalement dans la finance.

Vous nous avez parlé de vos projets futurs dans la finance durable. Vous en caressez d’autres pour les prochaines années?

«Outre la finance durable, où beaucoup de choses restent à faire, je me suis toujours intéressé à l’univers des jeunes pousses, fintech, greentech, etc. Je crois beaucoup en la combi­naison des activités déjà établies avec les plus innovantes. Enfin, j’espère encore pouvoir contribuer à développer les ressources humaines. J’ai eu la grande chance, tout au long de ma carrière, de travailler avec des gens très ­dif­- fé­rents et qui m’ont beaucoup inspiré. Aujour­d’hui, on a besoin d’une nouvelle race de dirigeants qui incarnent les aspects de durabilité et qui soient capables de reconnaître l’impact que cela peut avoir sur la société. Concrètement, j’aimerais pouvoir guider un certain nombre de personnes dans le développement de leur carrière.

Où voyez-vous la Bourse de Luxembourg dans 10 ans?

«Les marchés financiers sont en train de changer fondamentalement. Je ne cesse de le dire depuis 40 ans, mais tout s’est nettement ­accéléré aujourd’hui. Ce qui est désormais impératif pour tout opérateur dans ce domaine, c’est de garder une ouverture d’esprit et un sens de l’innovation. Il existe en fait de nombreuses opportunités, mais il faut savoir les repérer et avoir le courage d’agir. Si la Bourse de Luxembourg maintient cette ouverture d’esprit et cette capacité d’innovation, malgré un environnement qui continuera à évoluer, elle pourra rester bien positionnée pour offrir de la valeur supplémentaire à ses clients et aux opérateurs sur les marchés. Or, aussi ­longtemps que l’on apporte de la valeur ajoutée, on garde toute notre raison d’être et une perspective de pérennité.»

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de  qui est parue le 24 mars 2021.

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