David Hoyer débranche le câble bleu qui relie la pompe médicale au bébé en plastique. Dans le centre de recherche d’IEE à Contern, où sont garées deux grosses BMW, un X5 noir truffé de capteurs et une série 8 V12 blanche, le head of engineering accelerator «Artificial Intelligence/Machine Vision» passe le fil derrière la banquette arrière, rebranche le poupon à ses poumons artificiels, pose la main sur sa layette blanche pour s’assurer qu’il «respire».
«Il faut être créatif!», lâche-t-il en se retournant, au milieu des cartons qui entourent les 300 employés d’IEE, à quelques jours du déménagement vers le nouveau campus de Bissen, ce lundi. Porte-clé du X5 en main, il ferme la porte et fait mine de s’éloigner.
«Il y a un enfant dans la voiture», dit le véhicule quelques secondes plus tard. Si le conducteur s’était déjà trop éloigné, il aurait reçu un message voire un appel sur son téléphone portable pour lui délivrer le message et sauver la vie de ce bébé.
Une trentaine de morts par an aux États-Unis
52 bébés sont morts dans une voiture en plein soleil l’an dernier aux États-Unis. Il en meurt une trentaine en moyenne, chaque année, dans le seul pays où des statistiques sont disponibles. Deux minutes sur Google avec «bébé», «oublié», «voiture», et on retrouve des dizaines d’histoires sordides en Europe...
Il ne faut pas plus de 20 minutes en plein soleil pour que le pire se produise.
Pourquoi IEE a décidé de s’attaquer à ce «marché de niche» au milieu des 1,2 million de victimes de la route chaque année? Parce qu’il n’existe pas d’autres solutions que d’avoir recours à la technologie.
L’horreur, pour un parent en premier lieu, d’oublier son bébé dans la voiture, correspond à un bug de plus en plus fréquent: l’omniprésence des téléphones portables confrontée à une concurrence des mémoires.
Il ne s’agit pas ici de condamner ni d’excuser personne. Professeur de psychologie, pharmacologie et physiologie moléculaires, directeur du programme de collaboration en neurosciences et du centre de recherche préclinique et clinique sur le SSPT à l’université américaine de Floride du Sud, David Diamond suit cette problématique depuis les années 1980.
Deux mémoires en concurrence
Le chercheur a fini par expliquer ce problème. La mémoire, écrit-il dans une note pour une association américaine de protection de l’enfance, Kids and Cars, est double: la mémoire prospective, de la planification et de l’action (ex: amener un enfant à l’école), située dans l’hippocampe et le cortex préfrontal, entre en concurrence avec la mémoire de l’habitude des noyaux gris centraux.
Si cette dernière domine la première, il n’est pas rare qu’une personne oublie de passer au pressing, acheter un cadeau ou à l’épicerie. Les conséquences sont nettement moins dramatiques qu’oublier un enfant assoupi à l’arrière sans qu’un élément – un sac à langer par exemple – rappelle sa présence au conducteur.
Parmi les 820 enfants morts de chaleur en 20 ans, seuls 54% ont été oubliés par leurs parents. 26,3% étaient montés dans la voiture par eux-mêmes et 18,9% avaient été laissés consciemment dans la voiture par leurs parents.
Signe que même la technologie ne résoudra pas tout. Mais IEE a décidé d’envoyer des signaux à basse fréquence, capables de détecter le moindre mouvement, voire la respiration qui soulèverait la petite poitrine d’un seul millimètre.
Le «hands off» dopé par les endormis
est loin d’être le seul produit sur lequel travaillent les 650 employés d’IEE au Luxembourg (à Contern pour la recherche et à Echternach pour la production), auxquels il faut ajouter les 2.000 chez All Circuits en France.
Avec un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros et des ventes dans 11 pays, IEE est active dans le bâtiment ou la santé. Par exemple, sa solution de comptage des individus par caméra 3D est utilisée par l’aéroport d’Orly, à Paris, avec 200 capteurs disséminés un peu partout.
Le croisiériste Aida prévoit d’équiper certains paquebots de 20 à 30 capteurs pour savoir où sont les passagers en cas de problème. Des marques de sport ont déployé en magasins une selle connectée, capable de déterminer quelle selle devrait acheter un client selon sa pratique sportive.
Mais ces capteurs équipent plus de 300 millions de voitures. Et ces derniers temps, une technologie luxembourgeoise a le vent en poupe: le «hands off detection».
La solution a valu «l’équivalent d’un Oscar du cinéma à la société luxembourgeoise», explique le marketing manager and global regulatory strategist, Thierry Mousel. Un Pace Award en 2018 vaut toutes les publicités du monde. Si le conducteur n’a pas les mains sur le volant, les alertes se multiplient.
Malgré une communication très soignée de Tesla, l’Autopilot ne permet pas de dormir au volant, ni même seulement de le lâcher.