Nadia Manzari, avocate, spécialiste des enjeux de digitalisation de la finance. (Photo: Maison Moderne)

Nadia Manzari, avocate, spécialiste des enjeux de digitalisation de la finance. (Photo: Maison Moderne)

En moins d’une quinzaine d’années, la technologie a bouleversé l’industrie des services financiers en profondeur. Pour Nadia Manzari, avocate, spécialiste des enjeux de digitalisation de la finance, la réglementation agit comme un catalyseur de la transformation des acteurs. Si le Luxembourg entend se positionner comme leader de la fintech, il lui appartient de prendre la mesure des évolutions réglementaires à venir et d’anticiper les opportunités qui en découlent.

C’est à la suite de la crise financière de 2008, à l’entame des années 2010, que le concept de fintech s’est considérablement popularisé. À l’époque, Nadia Manzari évoluait au sein de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), où elle a développé une expertise approfondie autour des enjeux de digitalisation des services financiers. L’avocate, désormais à son propre compte, est donc particulièrement bien placée pour rendre compte de la manière avec laquelle la technologie a transformé le secteur. «Aujourd’hui, la plupart des services financiers sont digitalisés. Ces dernières années, suite notamment à l’adoption des directives sur les services de paiement (PSD 1 et PSD2), nous avons vu de nombreux nouveaux acteurs émerger, tirant avantage de leur maîtrise de la technologie, parmi les acteurs du secteur financier. Ces derniers ont notamment poussé les acteurs traditionnels à évoluer ou, dans d’autres cas, les ont soutenus dans leur transformation», commente Nadia Manzari.

La fintech a déjà transformé la finance

Le principal gagnant de cette digitalisation, au final, est le bénéficiaire des services financiers, qu’il soit épargnant ou investisseur. La technologie mise en œuvre lui permet d’accéder plus aisément à un large éventail d’outils, de produits ou de solutions, le plus souvent depuis son Smartphone ou son laptop. Les démarches administratives pour ouvrir un compte ou bénéficier d’une solution de financement ont aussi été facilitées. Les opérations s’effectuent désormais beaucoup plus rapidement. «Si on prend un peu de recul, on peut mieux prendre la mesure de la manière avec laquelle les technologies ont bouleversé l’industrie financière, comme d’autres par ailleurs. À quels moments, aujourd’hui, un client a-t-il besoin de se rendre dans son agence bancaire pour effectuer des opérations?», interroge l’avocate. «La plupart d’entre elles peuvent être effectuées très facilement à distance, quel que soit le moment.» 

Améliorer l’expérience, un enjeu clé

On constate que la capacité des acteurs à offrir une expérience améliorée à leurs utilisateurs, en faisant usage de la technologie, leur confère un avantage compétitif majeur. «C’est ce qui a permis à des néo-banques et d’autres acteurs de la fintech d’émerger, profitant des opportunités que leur offrait la réglementation pour se positionner et, au final, parvenir à acquérir beaucoup de clients. S’ils y sont parvenus, c’est aussi parce que les acteurs traditionnels n’ont pas toujours été prompts à s’engager dans une démarche de digitalisation de leurs services, regardant ces évolutions avec réticence», poursuit la juriste. «Les choses ont depuis lors évolué. Aujourd’hui, l’ensemble des opérateurs du marché ont pris la mesure de l’enjeu. L’intégration des technologies financières est un axe stratégique sur lequel ils travaillent au jour le jour.»

La réglementation, catalyseur du changement

La réglementation joue un rôle déterminant dans la transformation numérique des services financiers. «Elle agit toujours comme un catalyseur. On l’a vu avec les directives sur les services de paiement. Prochainement, la mise en œuvre de la réglementation relative au marché des cryptoactifs (Mica) devrait aussi reconnaître de nouveaux acteurs», poursuit Nadia Manzari. «En renforçant la protection des investisseurs, en établissant un cadre pour l’ensemble des parties prenantes du secteur et en veillant à garantir la stabilité du marché, la réglementation crée des conditions de confiance propice à l’adoption des nouvelles technologies, au développement de nouveaux produits et services.»

Un écosystème dynamique

Considérant ces évolutions, comment le Luxembourg se positionne-t-il sur le segment de la fintech et comment l’activité peut-elle être davantage soutenue à l’avenir? «Depuis plusieurs années, l’État soutient le développement d’un écosystème fintech dynamique. On compte par mal d’acteurs de la RegTech, qui développent des solutions technologiques qui permettent de répondre plus efficacement à la pression réglementaire grandissante», explique Nadia Manzari. «Ces sociétés innovantes, toutefois, se positionnent davantage comme des prestataires IT, au service des acteurs en place, que comme de nouveaux compétiteurs. De manière générale, cependant, on constate que les acteurs traditionnels ont appris à s’appuyer sur les acteurs de la fintech pour accélérer leur transformation. De manière générale, ces derniers privilégient la collaboration avec les acteurs bien établis pour soutenir leur croissance.»

Façonner la finance de demain

Et pour l’avenir? Luxembourg a encore certainement de belles cartes à jouer, si l’on considère les développements réglementaires à venir, autour de Mica, de la finance décentralisée, PSR, PSD 3 ou encore de Fida, qui promeut l’ouverture de l’accès aux données financières. «Si, de premiers abords, ces réglementations sont porteuses de nouvelles exigences et sont souvent vues négativement, l’enjeu est de pouvoir identifier les opportunités qu’elles représentent à moyen et long termes. Dans cette optique, il faut essayer d’avoir plusieurs coups d’avance, de développer une vision ambitieuse, afin de bien accompagner la mise en œuvre de ces réglementations», commente Nadia Manzari. «Avec un régulateur ouvert et proactif, à l’écoute du marché, Luxembourg peut attirer de nouveaux acteurs innovants et renforcer sa position autour de ces sujets. Il faut prendre conscience que ces réglementations, en encadrant les nouveaux usages de la technologie, façonneront la finance de demain.»