Le sénateur, issu de la majorité présidentielle, propose d’imposer aux fabricants de tabac (Philip Morris International, British American Tobacco, Japan Tobacco International et Seita-Imperial Tobacco) des quotas de livraison par pays, fondés sur la quantité exacte de tabac fumée par leurs habitants, une mesure élaborée et exigée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Selon lui, 600 millions de cigarettes seraient livrées chaque année au Luxembourg, au lieu de 3 milliards actuellement, mais 48 milliards de cigarettes seraient livrées en France, contre 30 milliards à ce jour. Son idée permettrait à Bercy d’empocher 5 milliards d’euros supplémentaires chaque année en accises et TVA.
Interrogé sur ces chiffres, le sénateur n’est jamais revenu vers nous. Mais ses chiffres ne sont plus à jour. Ces dernières années, les ventes de cigarettes au Luxembourg ont connu une augmentation de 10% par an. En 2023 se sont écoulées 4,44 milliards de cigarettes et 6.158 tonnes de tabac. Quelle est la part de ces produits véritablement consommés au Luxembourg, compte tenu de la présence quotidienne de 200.000 frontaliers? C’est encore une autre histoire, puisqu’aucun interlocuteur ne reconnaît de chiffre officiel. Mais si l’on applique une hausse proportionnelle à celle des ventes à la hausse de la consommation locale, on arrive plutôt à 880 millions de cigarettes par an.
Prenons maintenant l’autre partie. Les 4,44 milliards de cigarettes et 6.158 tonnes de tabac ont généré un chiffre d’affaires de 1,9 milliard d’euros au Luxembourg, selon le rapport annuel du ministère des Finances. Dont 1,289 milliard d’euros reviennent directement dans les caisses de l’État (1,025 d’accises et 0,264 de TVA). Les statistiques de la Commission européenne permettent de comprendre pourquoi très facilement: un paquet moyen de 20 cigarettes coûte 5,80 euros au Luxembourg (dont 4,06 euros de taxes), contre 11,50 euros en France (dont 9,78 euros de taxes).
Si l’on appliquait une simple règle de trois et que les cigarettiers ne puissent plus livrer que 880 millions de cigarettes par an au Luxembourg, les recettes fiscales tomberaient à 254 millions d’euros, soit une perte, pour les finances publiques, d’un peu plus d’un milliard d’euros.
Le calcul est simpliste compte tenu des impacts négatifs de ce que l’on appelait autrefois «le tourisme à la pompe» et qui est bien décortiqué dans .
Mais il donne une idée de l’enjeu. Un autre enjeu, de santé publique, devrait-il amener le gouvernement luxembourgeois à revoir sa position sur la fiscalité du tabac? Le contrôle des filières d’approvisionnement (légales et illégales) et un prix plus élevé ont un impact décisif sur la consommation… qui a, elle, un impact sur le coût des soins de santé: chaque année au Luxembourg, environ 3.000 nouveaux cas de cancers sont diagnostiqués, et plus de 1.100 personnes décèdent des suites de la maladie…