Ce lundi soir, à Differdange, le CEO d’Ocsial, Konstantin Notman, a présenté sa future usine luxembourgeoise. Plus grande que celles de Moscou et de Shanghai. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Ce lundi soir, à Differdange, le CEO d’Ocsial, Konstantin Notman, a présenté sa future usine luxembourgeoise. Plus grande que celles de Moscou et de Shanghai. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Ocsial, qui a levé plus de 100 millions de dollars depuis le début de l’année, pour une valorisation de 2,3 milliards de dollars, sera présente dans toutes les batteries des voitures électriques d’ici trois ans, a assuré son CEO, Konstantin Notman, lundi soir, à Differdange.

Ce n’est plus le vent, mais une tornade qu’Ocsial a dans le dos. Dix ans après ses débuts, la société spécialisée dans le graphène et les nanomatériaux prévoit de commencer la construction de sa plus grande usine, à Differdange, au début de l’année 2022. Lundi soir, au Hall O de Differdange, son CEO, Konstantin Notman, avait donné rendez-vous aux élus locaux et à la population pour présenter l’entreprise, ses ambitions et sa future usine. Quelques minutes auparavant, tout sourire, le dirigeant s’est posé au fond de la salle pour évoquer la prochaine entrée en bourse, son assurance d’avoir une technologie incroyable et ses ambitions, surtout dans le secteur automobile.

M. Notman, cette réunion signifie que vous avez quasiment terminé de répondre aux demandes des administrations pour pouvoir installer votre usine au Luxembourg. Était-ce difficile de compléter les démarches et de dialoguer avec les autorités?

Konstantin Notman. – «Ce n’était pas très facile. Il y a eu beaucoup de demandes très spécifiques, notamment autour des questions de sécurité, d’environnement, etc. Nous sommes passés par une procédure très complexe et très chère. Cela nous a pris quelque trois années.

Est-ce plus long que dans d’autres pays?

«Non. Je ne peux pas dire cela. Il faut prendre en compte le fait que nous faisons quelque chose de très… ‘exotique’! Nous ne travaillons pas dans une carrière ou dans la mine. Nous faisons des matériaux uniques. 

Nous avons vu, récemment, des industriels comme Fage ou comme Google faire face à des inquiétudes, notamment environnementales. Est-ce que cela veut dire que vous êtes un industriel «clean»?

«D’abord, tous nos développements sont ‘encapsulés’. Je suis très fier du niveau d’ingénierie que nous avons atteint. Tout est fermé. Vous savez, mes enfants sont au Luxembourg, et je vis au Luxembourg depuis six ans et demi. J’ai besoin d’être vraiment certain que mon usine est vraiment sûre. J’espère qu’au premier trimestre de l’année prochaine, nous pourrons commencer à construire cette usine. Nous avons encore un peu de travail et de papiers à remplir, mais tout va bien se passer. Et nous sommes ouverts au dialogue, avec les communes, avec le ministère de l’Économie et avec la population. Cela fait partie de notre stratégie. Nous ne nous cachons pas. Rien n’est dans l’ombre.

Pardon, mais les hommes d’affaires russes n’ont pas toujours donné une bonne image. Si je prends seulement votre année, je peux voir que vous avez levé du capital en une dizaine de levées de fonds de gens inconnus, qui viennent de Russie, qui sont probablement Russes avec un passeport chypriote, ou de sociétés comme Da Vinci Capital Management, qui a eu quelques soucis à gauche et à droite. Vous pensez que cela renvoie une bonne image de votre société?

«D’abord, nous ne sommes pas une société russe. Il faut le préciser. Depuis le premier jour de notre société, nous sommes une société luxembourgeoise. Pour de vrai. Établie par différentes personnes, des Australiens, des Chypriotes et des Russes. Aujourd’hui, nos principaux actionnaires sont Chypriotes, Britanniques, Australiens ou autres. Daikin est devenu notre actionnaire le plus connu. Et si Daikin entre dans notre capital, vous imaginez bien qu’ils ont fait leur due diligence. Oui, je suis né en Russie. Mais j’ai travaillé en Russie, en Allemagne, au Luxembourg. J’espère que, jusqu’à ma retraite, je serai au Luxembourg. Du moins, j’ai beaucoup de choses à faire ici!

Justement, j’ai essayé de trouver des détails sur votre carrière. Mis à part le fait que vous êtes diplômé en philosophie, il n’y a pas grand-chose. Et la philosophie, c’est assez éloigné des nanoparticules…

«C’est vrai, je suis diplômé en philosophie. Doctorant, même. J’ai reçu une des meilleures éducations en Russie. Qu’est-ce que cela veut dire? Logique mathématique, logique formelle et beaucoup d’autres choses, comme l’histoire des sciences. J’en suis très fier. 

Cela vous aide, dans le business? Est-ce assez pour diriger cette entreprise?

«Oui! Cela aide beaucoup. Les bases fondamentales sont là. Comme une fondation, qui vous aide à avoir une méthode pour acquérir des connaissances et des compétences. Les bonnes universités vous enseignent d’abord comment avoir une bonne méthodologie. Pour le reste, vous avez Wikipédia… Non, je plaisante. Il n’y a qu’une chance sur un million d’avoir une opportunité comme celle d’Ocsial. Je connais personnellement la plupart des dirigeants des constructeurs automobiles, beaucoup de ceux qui dirigent des géants de la chimie ou de l’industrie. Nous faisons avec des choses incroyables (il montre une série de produits très concrets dans lesquels Ocsial intervient, ndlr). Nous avons de nouvelles cellules de batteries, capables de stocker plus d’énergie. Ces bonbonnes d’oxygène sont utilisées par 20.000 pompiers britanniques. Nous pourrions produire les mêmes pour l’hydrogène – ce sera notre prochaine étape. 

Que représente cette usine que vous montrez ici, pour la première fois, dans la stratégie globale de votre société?

«Ce sera la plus grosse. Mais nous aurons aussi notre plus grand centre de recherche et de développement au monde. Nous avons déjà un centre de R&D à Foetz, particulièrement dédié aux composants automobiles, mais ce n’est pas assez. Il aura quatre lignes de business principales, dont les batteries. L’Europe sera la prochaine capitale mondiale des batteries. C’est pour cela que nous avons récemment décidé d’ajouter cette ligne. 320 personnes seront employées ici – 50% de techniciens et 50% d’ingénieurs, de scientifiques et de techniciens qualifiés. 

Si vous avez des clients qui veulent de l’électricité verte, cela a un impact très positif sur le développement de la filière, qui sait qu’elle va pouvoir vendre son électricité!
Konstantin Notman

Konstantin NotmanCEO d’Ocsial

Le Luxembourg est un pays où la main-d’œuvre coûte cher, non? Par rapport à la Russie et à la Chine, où vous êtes aussi implanté…

«Honnêtement, ce n’est pas si différent. Surtout pas dans notre business. D’un autre côté, sur les seuls aspects économiques, l’électricité est nettement moins chère et il n’y a pas d’interruption. C’est très important pour nous, parce que notre activité avance 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Nous sommes un très bon client des fournisseurs. Nous consommons 100% d’énergie verte. C’est possible. C’est un marché très développé, et nous pouvons même y signer des ‘futures’ sur cinq ans, avec des contrats, des prix et des sources fixes. C’est très important. 

C’est l’un des principaux problèmes que rencontre Google dans l’installation de son data center, à Bissen…

«Oui, en effet. Mais c’est un excellent pas vers le développement d’énergies vertes. Si vous avez des clients qui veulent de l’électricité verte, cela a un impact très positif sur le développement de la filière, qui sait qu’elle va pouvoir vendre son électricité! Le principal problème des éoliennes allemandes est qu’elles ne trouvent pas des clients qui veulent de leur énergie en continu. Si quelqu’un veut ça, cela a un bénéfice pour tout le monde, pour transformer l’approvisionnement en électricité.

Quel est le montant de vos investissements?

«Au début, nous avions prévu d’investir dans les 125 millions d’euros. Aujourd’hui, nous sommes à 300 millions. Nous n’avions pas prévu des processus de postproduction comme ceux que nous mettons en place.  Nous avons développé de nouveaux business. Et nous avons décidé de vraiment augmenter la taille de notre centre de R&D parce qu’il y a un besoin réel. Pas à pas, l’addition a augmenté.

Et vous avez trouvé l’argent?

«Oui. Ce n’est pas un secret. Nous avons levé plus de 100 millions de dollars cette année. Seulement cette année. Nous sommes toujours en train de lever de l’argent, et je suis sûr que tout va bien se passer. Aujourd’hui, nous sommes valorisés à 2,3 milliards de dollars! Nous sommes une des licornes. Une des rares dans le domaine des matériaux. 

Nous avons aujourd’hui quelques discussions avec des Spac, aux États-Unis. Mais nous n’avons encore rien décidé.
Konstantin Notman

Konstantin NotmanCEO d’Ocsial

Un milliard aujourd’hui, ce n’est plus grand-chose dans le monde des licornes, où l’on parle plutôt de cinq…

«Cinq milliards? Nous y serons au maximum dans deux ans. Ça va vite d’un point de vue financier, mais ça va aussi très vite d’un point de vue technologique. Ce n’est pas une bulle parce que nous avons une technologie de transition énergétique unique. Le graphène, diront certains, ce n’est que de la poudre noire. Mais, d’un autre côté, c’est un booster, un coup d’accélérateur pour la mobilité électrique – densité énergétique des batteries, allégement du poids des châssis des voitures, meilleure résistance au roulage, moins de remplacements de batterie. Ocsial est tournée vers la mobilité électrique. Nous intervenons à tous les niveaux des voitures électriques modernes. Nous ne sommes pas une société qui fait du B2B, mais du T2T, ‘technology to technology’. Tous nos accords sont couverts par des brevets (une soixante, selon nos informations, ndlr) et par des accords de confidentialité très stricts. 

Comment vous voyez-vous , dans cinq ans?

«Dans cinq ans, nous serons une société avec une incroyable valorisation. C’est de notoriété publique que nous voulons aller en bourse. Quand? D’ici un an. Nous avons, aujourd’hui, quelques discussions avec des Spac, aux États-Unis. Mais nous n’avons encore rien décidé.

Mais vous voulez aller en bourse…

«Bien sûr. Aux États-Unis. La taille de la société est plus grosse que les standards européens. Nous n’avons pas de dettes. Zéro dette. Cela fait partie de notre stratégie. Nous parlons de la liberté. Ce qui coûte le plus cher, c’est la liberté.

Si vous levez de l’argent si facilement, vous n’avez pas besoin de passer par une Spac…

«D’un côté, vous avez raison. De l’autre, cela nous ouvre l’accès aux liquidités, au capital… Nous sommes déjà très loin dans ce processus.

Il est très important de casser les stéréotypes!
Konstantin Notman

Konstantin NotmanCEO d’Ocsial

Le Luxembourg aurait donc la plus importante usine d’un géant mondial?

«Oui, mais le Grand-Duché est vraiment très important pour nous. ‘Business friendly’ et multiculturel… Nous sommes très intéressés par cela.

C’est de la diplomatie!

«Non. Nous avons des employés de plus de 24 pays différents. Ils parlent différents langages, ils ont des échanges internes, pas seulement culturels, mais aussi professionnels. Ils élèvent nos standards dans le développement du business, mais aussi dans la dimension scientifique. À Shanghai, ce n’est pas la même chose, ni en Allemagne. Ces échanges accélèrent notre développement. Nous faisons les choses plus vite grâce à cela. Il est très important de casser les stéréotypes, les ‘templates’ que vous créez pour vous-mêmes. Vous venez avec votre opinion sur le marché asiatique, ça ne marche pas du tout. Vous allez sur un mode très agressif sur le marché américain, vous êtes totalement rejeté. Comment adapter vos modèles sans aller vous confronter à des gens qui connaissent ces modèles? 

Vous serez toujours le CEO de cette société, dans cinq ans?

«Honnêtement, je n’ai pas le temps de penser à quoi que ce soit d’autre. Toute ma vie est connectée à Ocsial. Oui, j’ai des enfants qui étudient au Luxembourg et aux Pays-Bas. Toute mon activité passée n’a pas toujours été couronnée de succès. J’ai survécu avec du pain et du beurre. Mais j’ai toujours été intéressé à l’idée de faire quelque chose d’absolument révolutionnaire. Ici, vous pouvez changer 70% des matériaux. Et ce n’est pas une métaphore. Nous travaillons avec toutes les industries. Ce qui est très important, pour moi, c’est que nous sommes très attractifs pour les talents et les personnes. Quand vous avez une très bonne idée, peut-être folle parfois, vous devenez très attractif pour les génies, les cerveaux brillants. Parfois, vous doutez qu’ils soient humains tellement ils sont brillants, tellement ils vont loin dans la créativité. Quand vous dialoguez avec eux, c’est incroyable. Sur une base quotidienne, j’éprouve beaucoup de satisfaction envers beaucoup de nos projets. Je suis très fier que des pompiers, qui sauvent des vies, utilisent nos bonbonnes d’oxygène. Tous ceux qui ont travaillé dessus sont fiers!

Imaginez que quelqu’un comme Elon Musk, qui travaille dans le secteur spatial avec ses fusées, mais aussi dans les batteries et les voitures électriques, vous dise: «Hey, toi, j’ai vu ce que tu peux faire. J’ai besoin de tes produits!». Ça serait fantastique, non?

«Nous travaillons avec le top 10 des fabricants de batteries au monde. Ils achètent aussi nos matériaux pour les prochaines générations de batteries. Ils sont les fournisseurs de tous les grands constructeurs dans le monde. Je suis sûr que dans trois ans, nous serons dans toutes les voitures électriques du monde. Je n’en suis pas sûr à 100%… mais à 110%!»