En 2040, il y aura excès de personnes formées en informatique, mais pénurie d’artisans, estime, à regret, Michel-Edouard Ruben. (Photo: Archives Maison Moderne)

En 2040, il y aura excès de personnes formées en informatique, mais pénurie d’artisans, estime, à regret, Michel-Edouard Ruben. (Photo: Archives Maison Moderne)

Pour ses 20 ans, Paperjam ouvre la réflexion sur le futur du Luxembourg. Vers le Luxembourg en 2040: Utopia? Dystopia? Durant toute l’année, Paperjam veut favoriser l’échange de réflexions sur ce futur qui n’est pas si lointain. Michel-Edouard Ruben, économiste à la Fondation Idea, livre quelques «certitudes» personnelles sur le futur du pays dans 20 ans.

Paperjam invite à écrire quelques lignes sur le Luxembourg en 2040. Personne ne devrait accepter cette invitation parce que faire des prévisions concernant l’avenir est une activité dangereuse dans laquelle même les plus brillants esprits se ridiculisent.

Pensez par exemple à ce bon vieux Stanley Jevons. Chimiste, brillant économiste, précurseur du développement durable qui publia en 1865 «Sur la question du charbon», il était persuadé que les forêts étaient vouées à disparaître avec la demande croissante de bois et que le papier, matière indispensable pour véhiculer le savoir, deviendrait un bien de plus en plus rare et cher. Ni une ni deux, il fit ce qu’aurait fait toute personne cohérente et croyante dans ses propres prévisions: le plein de papier. Cela s’avérera toutefois totalement vain et sans autre intérêt que celui du plaisir éprouvé par ses arrières-petits-enfants quand ils écrivent sur du papier qu’arrière-grand-papa Jevons avait stocké dans son sous-sol.

Plus proche de nous, Jeremy Rifkin annonça la fin du travail dans un best-seller apocalyptique publié en 1995, sobrement intitulé «The End of Work». Mais depuis la sortie de son «essai», des millions d’emplois ont été créés, de nombreux nouveaux métiers sont apparus, et le taux d’emploi des femmes a progressé de près de 20 points dans les pays de l’OCDE.

Bref, le futur n’est jamais ce qu’il avait l’habitude d’être et personne ne sait de quoi le Luxembourg sera fait en 2040, pas plus que quiconque ne savait au début du millénaire qu’en 2020 la finance se parerait de vert, que la Chine serait le principal partenaire commercial de 2/3 des pays du globe et un concurrent systématique des pays de l’OCDE en matière de haute technologie – alors qu’elle n’était que leur «atelier de t-shirts, de jouets et d’assemblage» au moment de rejoindre l’OMC –, qu’un homme d’affaires new-yorkais qui avait eu un petit rôle dans «Maman, j’ai encore raté l’avion» serait président des États-Unis, que le cannabis serait sur le point d’être légalisé au Luxembourg, que des gens qui emmagasinaient de quoi se payer du bœuf de Kobe ne jureraient que par des graines de quinoa, que le Royaume-Uni serait sorti de l’Union européenne (sans que ce ne soit un désastre économique), que le principal taux directeur de la BCE serait à 0%, que des millions de personnes ‘s’enjaillereaient’ sur des vidéos de chats, de tutos beauté et d’e-sport, que les rappeurs américains les plus en vue (Drake, Young Thug, Post Malone) seraient des êtres fragiles qui miaulent – alors que début 2000 les rappeurs les plus chauds (DMX, The Game, 50 Cent) étaient de très gros bras –, ou que le prix du m2 dépasserait les 10.000 euros au Limpertsberg et au Kirchberg.

Il est donc logique (et vrai) de dire que je n’ai aucune idée de ce à quoi ressemblera le Luxembourg en 2040.

Voici quand même quelques «certitudes» personnelles à ce sujet.

De la démographie

Sauf catastrophe (de type guerres, famine, explosion nucléaire, décroissance, épidémie mortelle, rachat ou annexion de territoires voisins), le Grand-Duché de Luxembourg fera toujours 2.586km2 en 2040, mais comptera 850.000 habitants (soit près de 40% de plus qu’aujourd’hui), davantage de résidents étrangers que de Luxembourgeois, 45.000 seniors (+ de 65 ans) de plus que de personnes de moins de 15 ans (alors qu’en 2020 il y a 10.000 jeunes de moins de 15 ans de plus que de seniors de plus de 65 ans), seulement 96 femmes pour 100 hommes, et devra accueillir tous les jours 340.000 frontaliers.

Je fais le ‘pari’ qu’il y aura d’ici 2040 quelques manifestations de type ‘gilets jaunes’ au Kirchberg.

Michel-Edouard RubenéconomisteFondation Idea

Le Kirchberg, qui devrait continuer à être le «poumon» de l’économie du pays, changera alors significativement de visage et comptera quelque 22.000 habitants (contre seulement 4.000 actuellement) et plus de 60.000 emplois.

Je fais le «pari» qu’il y aura d’ici 2040 quelques manifestations de type «gilets jaunes» au Kirchberg, car des centaines (voire des milliers) de personnes ayant acheté en bail emphytéotique avec des conditions de revente particulières (du type «la valeur de reprise correspond au prix initial payé majoré de l’évolution du coût de la construction en considérant l’évolution uniquement à partir de la troisième année après achèvement de l’immeuble et déduction faite de 1% l’an, dès la première année d’achèvement par contre, des frais de construction au titre de la vétusté») découvriront incrédules que si en 2020 leur bien valait 50% du prix du marché, en 2040 il ne vaudra à la revente qu’entre 10% et 15% des prix du marché.  

Des insultes

Les insultes en disent énormément sur une société. Si tout se passe comme prévu, les insultes racistes, homophobes et misogynes ne seront à terme que des souvenirs honteux d’un passé dépassé et des propos non plus seulement condamnés, mais aussi (et surtout) sévèrement punis.

Mais parce que l’être humain restera toujours un adepte d’ostracisme, de nouveaux noms d’oiseaux fleuriront. Il ne sera en 2040 au Luxembourg pas rare d’entendre des gens en «traiter» d’autres de «carnivores», «d’influenceurs», de «mangeurs de quinoa», de «fluides», de «non inclusifs», de «tatoués», «d’utilisateurs de plastique», de «frontaliers», de «vieux des années 80», «d’économistes», de «chauffeurs pollueurs» ou de «trottinettistes». Par contre, dire «con comme un balai» ne sera plus vraiment d’actualité car, «smart city» oblige, les balais seront connectés…

De l’économie

Dans 20 ans, l’économie du Luxembourg aura (de nouveau) beaucoup changé. Le Grand-Duché réussira l’exploit (pour un si petit pays) d’être le haut lieu du financement mondial de la transition écologique et de la coopération (publique et privée) en matière spatiale, car d’ici 2040, la place financière sera reconnue comme le principal «green financial centre» au monde, et parce qu’aux fleurs actuelles du secteur des technologies de l’espace auront succédé de beaux et juteux fruits.

Il faudra en 2040 débourser davantage pour un plombier que pour un informaticien.

Michel-Edouard RubenéconomisteFondation Idea

Dans le même temps, le marché du travail connaîtra de sérieux problèmes d’inadéquation entre les qualifications de la population active et la demande de travail des entreprises et de la fonction publique. Il sera ainsi particulièrement difficile de trouver des enseignants, des policiers, des médecins, des infirmiers, des entomosiniers et des chauffeurs en nombre suffisant, car les «millennials» auront eu tendance à choisir leur métier à partir  (parmi les plus populaires) ou à vouloir vivre une vie paisible et sans effort de rentiers FIRE (Financial Independence, Retire Early) qui profitent de ce que leur auront légué leurs grands-parents une fois le «cemetery boom» advenu.

Il faudra ainsi en 2040 débourser davantage pour un plombier que pour un informaticien, car tout le monde saura coder, mais très peu sauront bricoler, et parce qu’il y aura excès de personnes formées en informatique, mais pénurie d’artisans, car l’artisanat n’aura, hélas, pas bénéficié d’un matraquage équivalent à celui en faveur des TIC.

De la politique monétaire

La politique monétaire est un art puisque les banquiers centraux sont des artistes amateurs de mots patients et de mots passion. Alors que depuis 10 ans les banques centrales produisent de l’art contemporain (taux négatifs, QE, forward guidance, tapering, tiering) dans un contexte de «basse-flation», d’ici 2040 la politique monétaire deviendra de l’art carrément abstrait entre émission de monnaie centrale fondante, utilisation de drone monétaire et ciblage non plus d’inflation, mais de progression salariale par décile.

La BCE sera d’ailleurs alors présidée par une banquière centrale – mi-chouette, mi-panthère, mi-faucon – adepte de rythme et de diapason qui donnera deux nouvelles couleurs (bleu et rose) à la politique monétaire qui, après le vert des années 2020-2030 (pour sauver la biosphère), aura pour mission officielle de .

De la politique

D’ici 2040, le Luxembourg aura eu une femme Premier ministre ( – CSV,  – DP,  – LSAP, ou  – Déi Gréng [désolé Mme Carole Thoma – Déi Lénk]). Aussi, Beyoncé aura été présidente (en réalité «queen») des États-Unis; le lien avec le Luxembourg est qu’elle nommera Kanye West ambassadeur auprès de l’Union européenne parce que sa femme est d’origine arménienne et qu’il a vécu à Paris.

Bref, , tout comme le «Feierstengszalot Beyayennatou».

#Paperjam20ans #Luxembourg2040

N’hésitez pas à échanger vos questions sur le Luxembourg dans 20 ans via #Paperjam20ans #Luxembourg2040 sur les réseaux sociaux.

Vous pouvez également partager vos contributions via ces hashtags ou en nous adressant votre carte blanche (en français ou en anglais) via [email protected].

10×6 Luxembourg 2040: Utopia? Dystopia? Pour fêter les 20 ans de sa marque phare Paperjam, Maison Moderne invite à  devant 1.200 invités qui aura lieu à la Philharmonie, le 27 mai prochain.