Selon le dernier rapport de la Cour des comptes européenne (CCE), «les investissements de l’UE dans l’intelligence artificielle (IA) n’ont pas suivi le rythme dicté par les leaders mondiaux. L’UE peine à développer l’écosystème européen d’intelligence artificielle et n’a pas réussi à doper suffisamment les investissements dans le domaine de l’IA pour faire jeu égal avec les leaders mondiaux du secteur.»
La Commission européenne avait pourtant, à partir de 2018, pris des mesures pour développer un tel écosystème en se penchant sur la réglementation, les infrastructures, la recherche et l’investissement, et en fixant les premières règles générales relatives à l’utilisation de ces technologies. En 2018 et en 2021, la Commission européenne et les États membres s’étaient en outre mis d’accord sur des mesures visant à développer un écosystème d’IA fondé sur l’excellence et la confiance, qui placerait l’UE en bonne voie pour s’ériger en chef de file mondial d’une IA de pointe, éthique et sûre, note la Cour.
4% des demandes de dépôt de brevets viennent d’Europe
Concrètement, les objectifs de l’UE en matière d’investissements publics et privés dans ce secteur étaient de 20 milliards d’euros pour la période 2018-2020, un montant de 20 milliards par an étant prévu pour la décennie suivante. La Commission européenne a entrepris de porter l’enveloppe budgétaire de l’UE pour l’IA à 1,5 milliard d’euros pour la période 2018-2020 et a prévu 1 milliard d’euros par an pour la période 2021-2027. Tout cela pour que 75% des entreprises européennes utilisent l’IA d’ici à 2030. On est encore loin du compte: la moyenne européenne s’établissait à 8% en 2021. Au Luxembourg, un peu moins de 40% des grandes entreprises ont recours à au moins une technologie siglée IA. Pour les PME, le taux d’utilisation tombe à un peu plus de 10%.
Chiffre clé pour mesurer l’écart qui se creuse: sur le plan de l’investissement global dans le domaine de l’IA, l’écart entre les États-Unis et l’UE a plus que doublé entre 2018 et 2020, l’Europe accusant un retard de plus de 10 milliards d’euros. L’écart ne s’est pas réduit depuis et pourrait vite devenir irrattrapable si l’on regarde les chiffres relatifs au dépôt de brevets dans le domaine de l’IA: moins de 4% des demandes déposées dans le monde en 2021 provenaient d’Europe et d’Asie centrale, contre environ 17% pour l’Amérique du Nord et 62% pour l’Asie de l’Est et le Pacifique.
Mauvaise coordination et mauvais suivi
Pourquoi un tel échec? La Cour des comptes pointe deux raisons principales.
La première tient à une mauvaise coordination des efforts de l’Union européenne avec ceux des États membres. «La crédibilité des plans de l’UE a souffert du fait que la Commission européenne n’avait pas mis en place de système approprié de suivi de l’efficacité des investissements dans l’IA. Qui plus est, les modalités de la contribution des États membres aux objectifs d’investissement globaux de l’UE n’étaient pas claires, ce qui s’est traduit par une absence totale de vue d’ensemble à l’échelle européenne», relève la Cour.
La deuxième raison invoquée tient en l’absence de suivi de ses investissements. Selon elle, «bien que les dépenses consacrées à l’IA soient en augmentation, l’Union a tardé à mettre en œuvre de nouveaux dispositifs favorisant la mise sur le marché des innovations dans le domaine de l’IA, de sorte qu’aucun résultat notable n’avait été obtenu au moment de l’audit».
«Les objectifs d’investissement de l’UE sont trop vagues et obsolètes (ils n’ont pas changé depuis 2018) et leur manque d’ambition contraste avec l’objectif de création d’un écosystème d’IA compétitif au niveau mondial. Bien que la Commission européenne soit généralement parvenue à augmenter les dépenses budgétaires de l’UE consacrées aux projets de recherche dans le domaine de l’IA, elle n’a pas donné de réel coup d’accélérateur au cofinancement privé. Elle doit également faire davantage pour que les résultats des projets de recherche financés par l’Europe dans le domaine de l’IA soient pleinement commercialisés ou exploités», poursuit la Cour.
Réévaluer les objectifs
Pour l’avenir, la Cour des comptes préconise une meilleure gouvernance ainsi que des investissements publics et privés plus importants et surtout mieux ciblés. «Des investissements dans l’IA, massifs et ciblés, sont un facteur décisif qui déterminera la vigueur de la croissance économique de l’UE dans les années à venir», affirme Mihails Kozlovs, le membre de la Cour responsable de l’audit.
Le rapport se conclut par cinq préconisations:
- réévaluer l’objectif d’investissement de l’UE en faveur de l’IA et convenir avec les États membres des modalités de leur contribution;
- évaluer le besoin d’un instrument de soutien en capital financé par l’UE axé sur les PME innovantes dans le domaine de l’IA;
- veiller à ce que les infrastructures d’IA financées par l’UE fonctionnent de manière coordonnée;
- marquer les dépenses en faveur de la recherche et de l’innovation dans le domaine de l’IA dans l’ensemble du budget de l’UE;
- définir des objectifs et des indicateurs de performance, suivre régulièrement les progrès réalisés et intensifier son action de soutien à l’exploitation des résultats de la recherche dans le domaine de l’IA financée par l’UE.