Quelle est la place de la legaltech au sein d’Allen & Overy?
. – «Nous sommes investis depuis longtemps dans le domaine de la legaltech. Nous avons un incubateur à Londres, appelé Fuse, qui invite régulièrement, depuis 2017, des start-up travaillant sur des outils intéressants pour l’industrie juridique.
Notre objectif est de devenir plus efficaces et de gérer au mieux les produits standardisés et administratifs. Par exemple, nous utilisons des plateformes où les différentes parties d’une transaction peuvent intervenir en même temps sur un contrat pour en faire avancer la négociation.
Et ensuite est arrivée l’intelligence artificielle (IA) avec un partenariat avec Harvey, une solution juridique affiliée à OpenAI…
«Harvey est un nouveau projet qui a été piloté à partir de Londres par un de nos associés spécialisés dans les produits d’IA. Harvey est un outil qui va aider notre firme à fournir du conseil et à produire des documents, tels que des contrats ou des présentations. Nous avons pu commencer à l’utiliser dès novembre 2022. Ainsi, nos équipes ont déjà pu se familiariser avec un outil qui, à moyen terme, deviendra probablement largement démocratisé dans le monde juridique.
Comment s’intègrent les fonctionnalités d’Harvey dans le quotidien de vos avocats?
«Actuellement, cet outil nous permet d’effectuer des recherches et des analyses, et de produire des documents. Cependant, nous savons qu’il n’est pas parfait et qu’il peut commettre des erreurs. Parfois, il va même inventer des éléments pour donner une réponse (le phénomène d’hallucination, ndlr).
Cela signifie que cet outil sert principalement d’aide, car il permet d’accélérer le travail initial, mais tout ce qu’il produit doit être vérifié par les avocats pour s’assurer qu’il utilise les bonnes sources et qu’il n’a pas commis d’erreurs d’analyse. Ainsi, les avocats doivent corriger les éventuelles erreurs et ajuster le texte en conséquence avant de l’utiliser pour donner un avis.
Quels changements cet outil génère-t-il pour vos équipes d’avocats?
Nous constatons une tendance à l’utilisation croissante du droit luxembourgeois dans les transactions interna-tionales. Cela a entraîné un changement dans le rôle des avocats luxembourgeois, qui occupent désormais une position de leader dans la coordination et la gestion de projets internationaux. Cela contraste avec la situation d’il y a une dizaine d’années, où les avocats luxembourgeois jouaient plutôt un rôle de soutien. Les gains de temps générés par l’IA leur permettront alors de se concentrer encore davantage sur les tâches de lead counsel.
L’IA ne remplace pas l’avocat dans la négociation, qui nécessite des judgement calls.
Au niveau opérationnel, quels gains percevez-vous depuis l’implémentation d’Harvey?
«L’outil peut déjà améliorer l’efficacité en faisant gagner du temps aux avocats, à hauteur de deux heures par semaine. Il n’y a pas de vision selon laquelle l’avocat est entièrement remplacé, et tout est automatisé. L’intelligence artificielle a l’avantage d’apprendre et d’évoluer, devenant ainsi de plus en plus efficace. À moyen terme, sur certains types de services standardisés, cet outil pourrait nous permettre d’améliorer notre efficacité.
Serait-ce aussi un moyen, à terme, de compenser partiellement les pénuries de talents dans le secteur juridique?
«Si nous parvenons à utiliser la legaltech et l’IA pour devenir plus efficaces sur des activités process-driven, nous allons utiliser tout ce temps-là pour continuer à implémenter notre stratégie, qui est d’être vraiment en lead counsel sur les grandes transactions internationales.
Notons cependant que, si Harvey peut être une aide lors de la rédaction d’un contrat, il ne remplace pas l’avocat dans la négociation, qui nécessite des judgement calls, en collaboration avec le client et dans une dynamique compliquée, avec deux voire trois parties impliquées.
Comment vos équipes ont-elles été formées à l’utilisation d’Harvey?
«Les formations étaient légères dans le sens où, avant de commencer à utiliser Harvey, il fallait d’abord en connaître les risques. C’est ce que nos formations visaient à enseigner, afin que tout le monde sache qu’il est important de tout vérifier, que l’outil n’est pas infaillible. En soi, l’utilisation d’Harvey est assez intuitive et ne nécessite pas un training de 10 heures.
Vu l’ampleur du phénomène, le Barreau s’intéresse-t-il aux enjeux de l’IA?
«Actuellement, nous n’avons pas connaissance d’échanges spécifiques au sein du Barreau ou d’autres organisations professionnelles concernant l’IA. En outre, le sujet de l’IA et de son utilisation dans le domaine juridique est délicat pour nous, notamment en raison de notre partenariat avec Harvey et des obligations contractuelles de confidentialité qui y sont associées. Par conséquent, il peut être difficile de discuter ouvertement de ce sujet, même avec des confrères, sans risquer d’enfreindre ces obligations.
La raison de tels échanges au niveau sectoriel serait l’éventualité d’une réglementation de l’IA pour les métiers juridiques. Qu’en pensez-vous?
«En ce qui concerne la réglementation des outils d’IA dans les métiers juridiques, il est important de noter que notre profession est déjà soumise à des règles déontologiques. Cela inclut, par exemple, le secret professionnel, qui doit être respecté quelle que soit la technologie utilisée.
L’utilisation d’outils tels que ceux fournis par Harvey doit donc être conforme à ces règles, notamment en ce qui concerne la confidentialité des données clients. À première vue, il ne semble pas nécessaire d’introduire une réglementation spécifique pour ces outils, car ils servent principalement à faciliter notre travail et à améliorer l’efficacité de nos services.
Qu’en est-il des aspects de propriété intellectuelle et de responsabilité professionnelle associés à l’IA?
«Il est vrai que des questions se posent concernant la propriété intellectuelle et la responsabilité liées à l’utilisation de ces outils d’IA. Par exemple, lorsque l’IA génère une partie d’un avis juridique, des questions peuvent se poser quant à la propriété intellectuelle de ce contenu et à la responsabilité en cas d’erreurs ou d’informations erronées.
Pour les générations futures d’avocats, il pourrait s’avérer avantageux d’acquérir des compétences en programmation et en technologie.
À ce titre, il est important de souligner que ces outils ne remplacent pas complètement l’intervention humaine. Les avocats continuent de jouer un rôle essentiel dans la vérification, la personnalisation et la validation des conseils et des documents produits par ces outils.
Comment voyez-vous évoluer l’usage de l’IA dans les métiers juridiques?
«Nous assistons à une nouvelle révolution industrielle qui a le potentiel d’impacter tout le monde, sans exception. Pour nous, le principal défi réside dans l’utilisation efficace des outils technologiques à notre disposition, car chaque équipe au sein de notre organisation se concentre sur des tâches différentes. C’est pourquoi nous avons développé Harvey en first movers pour permettre aux équipes de l’utiliser par rapport à leurs besoins spécifiques et de réfléchir à la meilleure façon de l’intégrer dans leurs activités quotidiennes.
Les compétences exigées à l’embauche des avocats de demain s’en trouveront-elles changées?
«La question de savoir si les avocats devront se former davantage à la technologie est un sujet récurrent depuis quelques années déjà. Pour les générations futures d’avocats, il pourrait s’avérer avantageux d’acquérir des compétences en programmation et en technologie. Bien que ces compétences ne soient pas indispensables aujourd’hui, il est possible que la situation évolue au cours des 10 prochaines années, rendant ces compétences de plus en plus précieuses.
Même si on ne devient pas un professionnel du codage, il est important de se doter d’une solide compréhension des outils technologiques disponibles et de savoir les utiliser de manière efficace. Pour ceux qui choisissent d’acquérir des compétences en programmation, cela pourrait représenter un avantage compétitif sur le marché du travail.»
Cette interview a été rédigée pour l’édition magazine de parue le 26 avril 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
.
Votre entreprise est membre du Paperjam + Delano Business Club? Vous pouvez demander un abonnement à votre nom. Dites-le-nous via