Comparé à Lehman Brothers, Evergrande ne semble pas avoir la même capacité de nuisance en cas de chute. (Photo: Shutterstock)

Comparé à Lehman Brothers, Evergrande ne semble pas avoir la même capacité de nuisance en cas de chute. (Photo: Shutterstock)

Même si la perspective s’éloigne, une éventuelle défaillance du deuxième plus grand promoteur immobilier de Chine en termes de ventes n’est pas écartée et pourrait avoir des répercussions au-delà des frontières chinoises. Mais des retombées limitées, estime-t-on chez Schroders.

Les principales retombées d’une déconfiture d’Evergrande, géant de l’immobilier mondial, seront d’abord politiques et sociales, s’accordent à dire les analyses. Pour qui l’État chinois ne pourra dès lors pas ne pas intervenir.

Mais d’abord, comment en est-on arrivé là? Des fautes de gestion, des diversifications hasardeuses, l’attrait de l’argent facile, voire une certaine mégalomanie des dirigeants, peuvent être mis en avant, tout comme le ralentissement de la croissance chinoise. Mais surtout, après des décennies d’argent facile, le gouvernement a pris de nouvelles mesures pour freiner la spéculation immobilière. Les ratios d’emprunts ont été durcis, les grands promoteurs ont été contraints de ramener leur niveau d’endettement en dessous de certains paramètres baptisés «lignes rouges», et, surtout, ils ne peuvent plus vendre de biens avant d’en avoir achevé la construction. Ce qui était le modèle économique d’Evergrande.

Déconfiture boursière

L’incertitude croissante quant à l’avenir d’Evergrande, exacerbée par la restructuration imminente de la dette accumulée (près de 300 milliards de dollars), a entraîné un élargissement des écarts de crédit et un durcissement des conditions d’accès au marché. «Au cours des dernières semaines, la baisse des ventes de biens immobiliers et les progrès décevants en matière de cession d’actifs ont entraîné une nouvelle détérioration de la position de la société. La persistance de nouvelles négatives, combinée à la faiblesse du sentiment du marché, a entraîné une spirale descendante, et les canaux de financement de la société se sont pratiquement fermés, ce qui a considérablement miné la confiance des investisseurs dans Evergrande.»

L’action de la société a chuté de 85% depuis le début de l’année, et de 48% depuis le début du mois de septembre, entraînant dans son sillage l’indice MSCI China, qui a perdu 5,7%. Le rendement de son obligation à cinq ans libellée en dollars américains a de son côté grimpé à plus de 560%.

Quelles seraient les retombées si la société s’effondrait?

Il y a un risque évident que la confiance en prenne un coup et pèse sur la reprise déjà faible de la consommation.
David Rees

David ReeséconomisteSchroders

Pour Robin Parbrook, gestionnaire du fonds Asian Equities, «une défaillance pourrait entraîner la chute de nombre de ses homologues commerciaux dans la chaîne d’approvisionnement et faire grimper les ratios de prêts non productifs du système bancaire chinois. Une défaillance d’Evergrande pourrait également entraîner un retard important dans la livraison de ces logements et avoir des répercussions sociales.» D’après les observateurs, une faillite serait synonyme de 1,4 million de logements inachevés, pour une valeur totale de 170 milliards d’euros.

Autre conséquence prévisible, «l’activité de construction, qui s’est déjà considérablement affaiblie ces derniers mois, pourrait rester déprimée si Evergrande et d’autres promoteurs n’ont pas la capacité de livrer les unités qui ont déjà été vendues», estime David Rees, économiste principal pour les marchés émergents. Ce qui pourrait en cascade déclencher une baisse des prix de l’immobilier, qui pourrait à son tour entraîner un tarissement des préventes de nouveaux projets, ce qui aggraverait les tensions dans un secteur qui représente quand même 29% du PIB. «Il y a un risque évident que la confiance en prenne un coup et pèse sur la reprise déjà faible de la consommation.»

Autant de conséquences qui semblent impensables pour le gouvernement chinois.

Un événement de crédit d’Evergrande pourrait être géré par les régulateurs sans entraîner de risques de contagion importants pour l’économie en général.
Roy Diao

Roy Diaoresponsable des titres à revenu fixe pour l’AsieSchroders

Qui commence à agir en sous-main. Ainsi, Roy Diao, responsable des titres à revenu fixe pour l’Asie, pense qu’«une certaine forme de facilitation gouvernementale est susceptible de maintenir l’ordre pendant la restructuration de la dette, ou même un scénario de défaut potentiel». Sur le terrain, certains signes allant en ce sens ont été observés: le gouvernement chinois a centralisé les affaires judiciaires contre Evergrande dans un tribunal de Guangzhou afin de réduire les perturbations opérationnelles, et a également coordonné les négociations avec les parties prenantes afin de reprendre les travaux de construction sur certains projets immobiliers. «Comme les décideurs politiques ont déjà une expérience des grandes restructurations précédentes, comme celle d’Anbang Insurance, nous pensons qu’un événement de crédit d’Evergrande pourrait être géré par les régulateurs sans entraîner de risques de contagion importants pour l’économie en général.»

L’objectif semble être de limiter les retombées économiques et de sauver certains créanciers.

Le modèle économique du marché chinois de la promotion immobilière est celui de la prévente.
Tom Wilson

Tom Wilsonresponsable des actions des marchés émergentsSchroders

«Le modèle économique du marché chinois de la promotion immobilière est celui de la prévente. Par conséquent, la défaillance d’Evergrande laissera un grand nombre d’acheteurs sans les appartements qu’ils ont déjà payés. Nous nous attendons donc à ce que le gouvernement divise les projets d’Evergrande et demande aux entreprises publiques (SOE) ou aux quasi-SOE de les reprendre. C’est déjà le cas, par exemple, à Shenzhen. Les banques devront peut-être prendre des dépréciations sur leurs prêts à Evergrande, mais, à long terme, les pertes devraient être limitées, les prêts étant pour la plupart garantis. Enfin, les autorités provinciales sont également susceptibles de soutenir les entrepreneurs et les fournisseurs d’Evergrande», analyse Tom Wilson, responsable des actions des marchés émergents.

Quid alors d’un éventuel effet de contagion à d’autres économies mondiales?

Les problèmes d’Evergrande pourraient avoir un impact indirect sur d’autres économies, principalement dans le monde émergent.
David Rees

David ReeséconomisteSchroders

Pour David Rees, économiste principal pour les marchés émergents, «un impact direct sur les autres économies serait probablement dû à une baisse de la demande de produits de base si l’activité de construction devait continuer à s’affaiblir. Cela serait particulièrement préoccupant pour les économies telles que le Brésil, le Chili et l’Afrique du Sud, qui exportent des métaux industriels vers la Chine. Les problèmes d’Evergrande pourraient avoir un impact indirect sur d’autres économies, principalement dans le monde émergent, s’ils devaient refroidir le sentiment et déclencher un ‘arrêt brutal’ des flux de capitaux, mais nous n’en sommes pas encore là.»

Des retombées somme toute limitées. 

Pour ce qui est des marchés, on fait remarquer chez Schroders que, même si la société est un émetteur notable sur le marché asiatique du haut rendement, sa taille y reste modeste. «Dans les principaux indices d’actions, sa représentation est minime, tout comme dans les indices d’obligations d’entreprises des marchés émergents.» 

«Evergrande étant le plus grand émetteur d’obligations à haut rendement de Chine, nous avons déjà constaté un certain impact sur les spreads de la dette à haut rendement asiatique et mondiale, mais cela devrait être temporaire. En cas de repli plus prolongé du marché immobilier chinois, les prix de certaines matières premières pourraient être affectés négativement», résume Tom Wilson, responsable des actions des marchés émergents.

De fait, le marché des métaux, dont le plus grand client est le secteur chinois de la construction, commence à être impacté. À Singapour, le minerai de fer a reculé de 30% depuis début septembre, passant sous la barre symbolique des 100 dollars. À Londres, le cuivre a perdu 7% en quelques jours. Quant à la hausse de l’aluminium, elle marque le pas.

Le sentiment général à l’égard du secteur immobilier chinois reste déprimé.
Robin Parbrook

Robin Parbrookgestionnaire du fonds d’actions asiatiquesSchroders

Sur le front des actions, «le sentiment général à l’égard du secteur immobilier chinois reste déprimé», note Robin Parbrook, gestionnaire du fonds d’actions asiatiques. Un pessimisme qui touche également les acteurs en aval de la chaîne d’approvisionnement de l’immobilier, notamment les fournisseurs d’appareils ménagers et de meubles

«Nous continuons à avoir une opinion défavorable du secteur immobilier chinois, car le secteur est très réglementé, et des politiques plus strictes sont mises en œuvre dans différentes villes de Chine. Les efforts continus du gouvernement chinois pour désendetter le secteur immobilier pourraient également exercer une pression continue sur les liquidités du secteur.»