Voici à quoi pourrait ressembler l’unité de production d’hydrogène selon la société qui porte le projet, la française H2V. (Photo: H2V/e-Login4)

Voici à quoi pourrait ressembler l’unité de production d’hydrogène selon la société qui porte le projet, la française H2V. (Photo: H2V/e-Login4)

Faute de débouchés industriels à court terme, la société française H2V, qui voulait ouvrir une gigafactory d’hydrogène vert dans l’agglomération de Thionville à horizon 2030, devrait «se limiter» à produire des carburants de synthèse pour l’instant. Un projet désormais estimé à plus de 550 millions d’euros.

La Lorraine n’avait pas de pétrole, mais elle avait des idées. Avec le discret virage d’H2V, elle aura un peu de pétrole vert et toujours des idées. Palme d’Or de la Transition énergétique pour le comité de France en 2023 et considérée comme une audacieuse précurseure, la filiale de Samfi Invest, H2V, doit d’abord chercher à avoir du carburant elle-même pour aller plus loin. Du carburant financier. 

«Aujourd’hui, on s’oriente clairement vers la fabrication de carburants de synthèse notamment d’e-saf (carburant synthétique pour l’aviation) car les débouchés industriels arriveront plus tard. D’ici 2040, 70% des besoins d’hydrogène seront consommés pour les carburants de synthèse. Des régulations vont se mettre en place et vont induire l’utilisation de carburants de synthèse pour remplacer le kérosène. On anticipe une hausse de la demande dès 2030, par la règlementation, mais aussi par la volonté des compagnies aériennes de verdir leur image. L’avantage, aussi, de la production d’e-saf en France, c’est que peu importe son origine, qu’elle soit bas-carbone ou issue du renouvelable, les critères d’éligibilité sont les mêmes. Et en France, on est très bien positionné car on a beaucoup d’électricité bas carbone. Cela nous paraît une option intéressante», explique le CEO d’H2V, Alexis Martinez.

«Côté luxembourgeois, il y aurait des opportunités mais elles ne sont pas forcément immédiates. Les débouchés industriels restent une option, mais avec une temporalité repoussée», indique Alexis Martinez, qui confirme que des discussions ont bien eu lieu avec des acteurs industriels luxembourgeois, sans vouloir les citer. «Aujourd’hui, à mon avis, la stratégie ‘hydrogène’ du Luxembourg n’est pas complètement arrêtée non plus. Est-ce qu’on est plus sur du renouvelable ou du bas carbone? Ça n’est pas arrêté, même s’il y a plutôt une appétence au renouvelable, mais ce sont des sujets encore en réflexion par le gouvernement.»


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Le débouché industriel n’est pas si intéressant que pressenti. «Le problème, c’est le prix. L’hydrogène dans l’industrie vient souvent en remplacement du gaz, donc il faut que son prix de revient soit semblable au gaz, entre 2,5 et trois euros le kilo. Aujourd’hui, on n’est pas à ce niveau-là. Pour y arriver, il faut des subventions et aujourd’hui du côté français, la volonté est de centrer les subventions sur un certain nombre d’applications de l’hydrogène. Son utilisation en substitution du gaz n’est pas une priorité. Et pour avoir des prix plus faibles, il faut améliorer les processus, baisser le prix de l’électricité et il faut aussi des subventions», soupire Alexis Martinez.

Si H2V change son fusil d’épaule pour donner plus de viabilité à son projet, il s’agit aussi de donner plus de viabilité à son plan de financement, de ce projet colossal initialement chiffré à 550M€… au moins. 

550M€, un montant sous-estimé?

Le montant de l’investissement donné lors de la présentation initiale du projet sera revu à la hausse selon le porteur de projet. «Nous devons refaire un certain nombre d’études. Redessiner le projet va générer une enveloppe d’investissement probablement plus élevée, et surement pas plus basse. Nous sommes dans un marché évolutif, cela fait partie du jeu dans les filières émergentes, il faut s’adapter aux réalités du marché, on ne fait pas le marché. Nous communiquerons un montant d’investissement quand tout sera plus clair».

Pour le financement, H2V comptera sur Samfi Invest, dont elle est une filiale. Il s’agit d’une holding familiale créée par un entrepreneur normand, actionnaire majoritaire de H2V. «Mais nous allons réfléchir à de nouveaux modes de financement. Nous avons signé un partenariat avec la Caisse des dépôts en France, la Banque des territoires, pour financer une partie de nos investissements, c’est un accord à hauteur de 55 millions d’euros et on travaille à d’autres sources de financement qui viendraient en complément», prévoit-il, sans détailler de plan de financement clair.

Il y a eu beaucoup de battage médiatique qui laisse penser que la filière a un niveau de maturité qu’elle n’a pas.
Alexis Martinez

Alexis MartinezCEOH2V

Malgré ce changement de cap dans le projet, l’agglomération de Thionville et le président du syndicat mixte ouvert e-Login4, qui exploite la zone de l’Europort, comptent grandement sur cette future gigafactory, qui constituerait une part importante du développement du Parc d’activités industrielles et logistiques. Car e-Login4 – les collectivités locales – avait racheté ces friches en 2014 à ArcelorMittal, mais l’Europort qu’elle y ambitionnait n’a pas connu le développement espéré. «Le modèle de départ était différent. Sur cette zone, on avait imaginé faire de l’amodiation, c’est-à-dire que nous restions propriétaires et nous faisions un bail de longue durée pour la mise à disposition. Mais les sociétés n’étaient pas intéressées par ce fonctionnement donc nous avons changé de modèle, en décidant de vendre les parcelles», retrace le président du syndicat e-Login4, également adjoint au maire de Thionville et vice-président de la Communauté d’agglomération en charge du développement économique et de l’aménagement des ZAC, Jean-Charles Louis.

Le syndicat mixte est officiellement toujours propriétaire du terrain sur lequel H2V compte s’installer. Mais un accord a déjà été passé. «Le projet de H2V nous a séduits, car il s’agit de construire un parc industriel et logistique, dans un bassin qui a une solide histoire industrielle, et en plus dans le domaine des énergies nouvelles, décarbonées et d’avenir. Le premier contact avait eu lieu en 2021. La collectivité ne participe pas financièrement au projet. Pour nous, l’intérêt réside dans la création d’activité économique et d’emplois. Notre contribution a été de leur vendre le terrain (pour 4,6M€ ndlr), et nous ne cherchons pas à faire de profit foncier ou immobilier. Nous avons signé une promesse synallagmatique de vente pour le terrain, dans lesquels nos deux parties sont engagées, depuis avril 2022. Avec notre aménageur Sodevam, nous assurons aussi les études qui coûtent des frais. Nous aménageons le terrain pour amener l’électricité en un point du terrain, l’eau et le gaz. Nous reprendrons aussi les effluents et créerons un accès routier pour l’usine. Tout cela constitue le prix de vente, nous ne cherchons pas à faire de bénéfices», insiste Jean-Charles Louis.

Mais la communauté d’agglomération bénéficierait évidemment de retombées fiscales telles que la CVAE (contribution sur la valeur ajoutée) et la CFE (contribution foncière des entreprises). «La promesse de vente signée sera transformée en acte notarié de cession lorsque les permis de construire seront obtenus», précise l’élu.

H2V a déjà engagé beaucoup de dépenses dans ce projet, et cela constitue en quelques sortes un point de non-retour.
Jean-Charles Louis

Jean-Charles LouisPrésident du syndicat e-Login4et vice-président de l’agglomération

Et malgré le changement de stratégie de la société, le syndicat ne craint pas de retour en arrière. «H2V a déjà engagé des sommes importantes en études et en recherche. Ils ont travaillé très tôt avec RTE pour sécuriser l’alimentation en électricité de l’usine et travaillent aussi avec Enedis pour alimenter l’usine. Ils ont déjà engagé beaucoup de dépenses dans ce projet et cela constitue en quelques sortes un point de non-retour», pense-t-il.

En attendant que H2V affine son projet industriel, «il faudra aussi sécuriser l’alimentation en eau puisque la production d’hydrogène vert se fait à partir de l’électrolyse de l’eau. Contrairement à l’hydrogène gris qui se fait à partir d’hydrocarbures. Cela requiert plus de trois millions de mètres cubes d’eau par an. Là H2V travaille avec la station d’épuration à proximité, à 500 mètres. L’eau qu’elle rejette serait utilisée dans le processus d’électrolyse, mais aussi pour refroidir l’électrolyseur. C’est un projet extrêmement vertueux», défend Jean-Charles Louis.

L’élu du Thionvillois, et président du syndicat qui gère l’Europort parle d’un projet vertueux, sur une zone idéale, avec un accès aux autoroutes, à la Moselle et au réseau ferroviaire. (Photo: Maison Moderne)

L’élu du Thionvillois, et président du syndicat qui gère l’Europort parle d’un projet vertueux, sur une zone idéale, avec un accès aux autoroutes, à la Moselle et au réseau ferroviaire. (Photo: Maison Moderne)

 La prochaine étape majeure consistera aussi en «un processus de concertation publique à la rentrée, après les vacances, avec un schéma industriel de base clarifié», annonce Alexis Martinez. «Il ne s’agit pas seulement d’une enquête publique. Il y aura aussi des réunions de concertation, à l’image de ce qui s’est fait pour l’A31 bis. La commission nationale du débat public a déjà désigné deux garants de cette concertation qui sera lancée au second semestre», complète l’élu thionvillois.

En termes d’emplois directs, le projet prévoit l’embauche de 120 personnes, «et à peu près le double en emplois indirects, comme les services ou la maintenance», ajoute Jean-Charles Louis.

Six projets en France

Sur l’Europort de Thionville, Illange, Uckange et Florange, H2V veut développer une gigafactory d’hydrogène vert sur 31 hectares en deux phases. À horizon 2028-2029, elle vise une capacité de 200 MW (soit une production annuelle d’environ 28.000 tonnes d’hydrogène, avec un raccordement de RTE via une liaison souterraine de 225.000 volts au poste électrique). En phase deux, elle prévoit également une capacité de 200 MW, soit une capacité totale de 400 MW à terme, correspondant à 56.000 tonnes d’hydrogène à horizon 2030.

Si la société française H2V ne semble pas avoir encore complètement défini les contours précis de sa stratégie pour ce projet évoqué depuis deux ans, elle continue à avoir pour ambition de «remplacer l’hydrogène gris, décarboner l’industrie et la mobilité lourde, principaux émetteurs de CO2.»

Elle porte six projets d’envergure dans l’Hexagone. À Dunkerque, elle veut installer une unité de production massive d’hydrogène vert, en partenariat avec ArcelorMittal. À Fos-sur-Mer, elle prévoit aussi une unité de production, avec de la production de e-methanol en plus. À Valenciennes, elle s’est positionnée dans un projet connecté au futur réseau hydrogène franco-belge. En Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie, sa stratégie cible aussi la mobilité lourde et les e-carburants.

Le Luxembourg attentif

En matière d’hydrogène et ses activités liées, le projet de H2V n’est pas le seul à faire parler de lui dans la Grande Région. Un autre projet d’envergure est scruté par les acteurs du secteur comme par les politiques: MosaHyc, un projet de transport d’hydrogène bas carbone entre la France et l’Allemagne qui repose sur la conversion d’une canalisation de 90 km pour créer le premier hydrogénoduc transfrontalier «ouvert». Un projet porté par Engie, qui s’est fixé l’objectif de créer 700 km de réseaux de transport dédiés à l’hydrogène d’ici 2030 en Europe. Le projet total est chiffré à 110 millions d’euros et a fait l’objet d’un partenariat entre GRTgaz (filiale indépendante de transport de gaz d’Engie) et Creos Deutschland le 10 avril dernier. Sa mise en service est prévue en 2027.  

Outre la France et l’Allemagne, il y a quelques jours, ce sont la Belgique et le Luxembourg qui ont aussi franchi un pas, . La lettre d’intention prévoit que la collaboration du gestionnaire luxembourgeois de réseaux d’électricité et de gaz naturel Creos et du gestionnaire belge des infrastructures de transport de gaz naturel Fluxys passera par «le développement de leurs infrastructures d’hydrogène respectives, l’évaluation du transport transfrontalier de l’hydrogène par le biais d’études de faisabilité conjointes, l’accompagnement du développement d’une législation-cadre nationale et européenne et l’analyse des programmes de financement nationaux et européens qui pourraient soutenir la construction d’une infrastructure d’hydrogène au Luxembourg et en Belgique.»


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Au Luxembourg, les élus semblent observer avec attention le développement de la filière. En témoigne une récente question parlementaire du député LSAP Mars di Bartolomeo qui soulignait: «Les chercheurs du Centre français de la recherche scientifique (CNRS) viennent de découvrir d’importantes quantités d’hydrogène blanc, gaz qui se forme naturellement, dans le sous-sol du bassin minier de Lorraine/Moselle. Ces réserves ont été trouvées lors de sondages allant jusqu’à plus de mille mètres de profondeur», avant de questionner le gouvernement sur l’intérêt d’associer le pays au projet Regalor conduit par les chercheurs lorrains.

 «Les services du ministère de l’Économie en charge de la stratégie hydrogène du Luxembourg, en concertation avec le service géologique du Luxembourg, ont établi un contact direct avec les chercheurs de ce projet (…) Il est important de suivre de près l’évolution en Lorraine et d’assurer un monitoring précis des gaz lors de forages géologiques au Luxembourg», a répondu le ministre de l’Économie et de l’Énergie, (DP), qui a aussi précisé que pour le moment, aucune détection d’hydrogène géologique au Luxembourg n’était à souligner.

Selon l’accord de coalition, «le Luxembourg reconnaît le potentiel considérable de l’hydrogène dans les secteurs d’application les plus divers, à savoir le stockage de l’énergie ou le stockage tampon pour le réseau en général, l’industrie, la mobilité ou encore les foyers privés. La priorité sera accordée à la production et à la distribution d’hydrogène renouvelable. Concrètement, le gouvernement veillera à ce que le Luxembourg soit raccordé aux gazoducs au niveau européen et à ce qu’une infrastructure d’approvisionnement en hydrogène soit mise en place pour la mobilité et le transport décarbonés. La production d’hydrogène sera favorisée au niveau national et international. Des investissements seront réalisés non seulement dans la production d’hydrogène, mais aussi dans la logistique y afférente, qui permettra l’importation, le transit et le stockage.»