Le Français Gérard Mourou reçoit le prix Nobel de physique, en 2018, des mains du roi de Suède. (Photo: Fondation Nobel / Alexander Mahmoud)

Le Français Gérard Mourou reçoit le prix Nobel de physique, en 2018, des mains du roi de Suède. (Photo: Fondation Nobel / Alexander Mahmoud)

Le 15 novembre, le ministre luxembourgeois de l’Énergie a demandé aux autorités françaises de fermer la centrale nucléaire de Cattenom. Un scénario d’autant moins près d’arriver que le prix Nobel de physique 2018 travaille sur un projet ré-vo-lu-tion-naire.

«Les seules centrales sûres à 100% sont les centrales fermées!» La formule est digne des Trois Mousquetaires, mais le ministre de l’Énergie, , ne fait pas plus mouche que ses prédécesseurs. Il y a 20 ans que des hommes politiques luxembourgeois invitent la France à renoncer à la centrale nucléaire de Cattenom. .

Avec 8% de la production d’électricité nationale, les quatre tours de l’autre côté de la frontière continueront pendant encore un moment à recracher leur fumée blanche sans que cela signifie que Gérard Mourou est devenu le Pape de la sécurité nucléaire. Des mauvaises langues racontent même que Cattenom a sécurisé la taille d’une autre centrale de quatre tours sur son terrain…

Gérard Mourou? Le prix Nobel de physique de 2018, avec son ancienne étudiante canadienne Donna Strickland, récompensé pour ses travaux sur des sortes de lasers aux propriétés particulières, précieuses dans le domaine médical ou industriel.

Au début de son projet, , «un étudiant était en train de monter son expérience, d’aligner le laser. D’un coup, ‘pof’, il prend un coup de laser dans l’œil! On l’amène à l’hôpital, et quand l’interne l’a examiné, il s’est exclamé: ‘Incroyable! Qu’est-ce que c’est comme laser?’ L’œil était endommagé, mais là, la blessure était ‘parfaite’. C’est-à-dire qu’il y avait une tâche, nette, sans débris autour, alors qu’habituellement une lésion provoquée par un laser ressemble à un volcan. On a pensé qu’il y avait là, matière à essayer cette technologie dans le domaine de l’ophtalmologie. Deux ou trois jours après, le médecin m’a téléphoné en me demandant de faire partie de notre équipe, et nous avons travaillé ensemble à l’élaboration de cette technique.»

C’est à partir de cela que s’est développée la technologie de soin des yeux au laser.

Une technologie prête dans 10 à 15 ans

À partir de cette technique et sur la base de certaines thèses élaborées depuis 30 ans, le professeur assure qu’il pourrait réduire la radioactivité des déchets nucléaires (surtout l’uranium 235 et le plutonium 239) de 24.000 ans… à 30 minutes. «On est déjà capable d’irradier avec un laser à grand flux beaucoup de matière d’un seul coup, la technique est donc parfaitement applicable, et théoriquement, rien ne s’oppose à une utilisation à l’échelle industrielle. C’est le projet que je suis en train de lancer en collaboration avec le CEA. Nous pensons que d’ici 10 ou 15 ans, nous pourrons vous montrer quelque chose.»

Le cœur d’un atome est composé de protons et de neutrons. À partir de ces lasers très concentrés et puissants, le professeur et son compère  entendent modifier l’ADN des déchets radioactifs pour les neutraliser.

Cette transmutation – c’est le nom officiel de cette technologie – intéresse évidemment les pays qui ont recours à l’énergie nucléaire. Comme la France (qui en dépend à 71%) ou l’Ukraine (56%), dans l’ordre selon Bloomberg, devant la Slovaquie (55%) et la Belgique (51%), pour ne citer que ceux qui se situent au-dessus de 50%.

Deux kilos de déchets par an et par personne

En France, la production nucléaire génère deux kilos de déchets nucléaires par an et par personne. Les «frigos» à déchets français de La Hague, de Marcoule, de Cadarache et de Valduc sont tellement pleins qu’EDF et Orano, en charge de la gestion des déchets, sont prêts à dépenser de 25 à 35 milliards d’euros supplémentaires pour ouvrir en 2025 à Bure – à 200 kilomètres ou 2h20 de Luxembourg-ville… – un nouveau site d’enfouissement.

, les stocks mondiaux de déchets nucléaires se montent à:

- 2,4 milliards de tonnes de résidus de traitement de l’uranium;

- 1.188.200 tonnes d’uranium (tU) appauvri (en 1999, avec une augmentation de 60.000 tU par an), ce qui pourrait correspondre aujourd’hui à environ 2 millions de tonnes.

- 46.686 tonnes de métal lourd (tML) de combustibles usés dans 14 pays; l’AIEA estime que 370.000 tML de combustibles usés ont été produites depuis le début de la production électronucléaire civile, dont 120.000 tML ont été retraitées;

- 373.313m3 de déchets liquides de haute activité;

- un stock mondial de plutonium de 520 tonnes.

100 milliards de dollars pour le stockage

Le coût de ce stockage s’élèverait à 100 milliards de dollars – Chine, Russie et Inde non comprises –, selon General Electrics.

Devant l’urgence et avec une nouvelle conscience environnementale qui gagne les esprits, le professeur à l’École polytechnique, directeur du Laboratoire d’optique appliqué de l’École nationale supérieure de techniques avancées à Paris et directeur fondateur du Center for Ultrafast Optical Science (centre de la science optique ultrarapide) de l’Université du Michigan, continue d’évangéliser.

À 74 ans, il sait qu’il n’a plus tellement de temps à consacrer à son ambition. Hier soir encore, le Français a évoqué ses recherches dans le cadre des , au Teatro Colosseo de Turin, sorte de Rockhal italienne.

Les industriels français de l’énergie sont derrière lui. Les autres un peu moins: la question des déchets n’est qu’une partie de la problématique, avec celle de l’usure des infrastructures, dans lequel le combustible est rechargé tous les 12 à 18 mois.