Covid-19 oblige, Werner Hoyer (BEI) et Klaus Regling (MES) conversaient depuis Luxembourg avec les autres intervenants de la conférence. (Photo: Laurent Antonelli/Blitz)

Covid-19 oblige, Werner Hoyer (BEI) et Klaus Regling (MES) conversaient depuis Luxembourg avec les autres intervenants de la conférence. (Photo: Laurent Antonelli/Blitz)

De Christine Lagarde à Paschal Donohoe, des intervenants de choix ont rappelé lors d’une conférence mardi l’héritage du rapport Werner, alors que l’UE et la zone euro sont confrontées à une nouvelle crise synonyme d’intégration renforcée.

Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, Klaus Regling, directeur général du Mécanisme européen de stabilité, Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif de la Commission européenne, Paschal Donohoe, président de l’Eurogroupe, , président de la Banque européenne d’investissement… Le gratin de la gouvernance économique de l’UE était réuni par écrans interposés mardi pour une conférence sur «L’Union économique et monétaire par étapes – anniversaires du rapport Werner et des fonds de sauvetage de l’euro», organisée par The Bridge Forum Dialogue, une asbl présidée par , gouverneur de la Banque centrale du Luxembourg.

«Pierre Werner est une figure paternelle pour le Luxembourg, un diplomate pointu, un ministre des Finances qui connaissait la technicité de la finance et un pionnier», rappelle  (DP), ministre des Finances, en introduction. «Dans son rapport devenu célèbre, il dit: ‘L’Union économique et monétaire apparaît comme un ferment pour le développement d’une union politique dont elle ne pourra à la longue se passer.’ Aujourd’hui, on dirait un ‘accélérateur’ plutôt qu’un ‘ferment’. Mais comment être plus visionnaire que cela?»

Le ministre actuel des Finances en finit avec le souvenir d’une conversation sur la construction européenne avec M. Werner en 1983, au cours de laquelle ce dernier lui a dit: «Ces questions européennes sont très difficiles, mais en politique, le pire n’est jamais certain.» «C’était sa devise, et j’y ajoute qu’il y a toujours de l’espoir quand vous persévérez», conclut M. Gramegna.

Pierre Werner était la parfaite combinaison du technocrate pointu et du grand visionnaire.

Christine LagardeprésidenteBanque centrale européenne

Les dirigeants des institutions économiques européennes reconnaissent le précieux héritage de l’ancien Premier ministre et ministre des Finances luxembourgeois. «Il était la parfaite combinaison du technocrate pointu et du grand visionnaire», souligne Mme Lagarde. Construction de l’Union économique et monétaire en trois étapes, irréversibilité du processus, gouvernance macroéconomique, intégration financière, union politique comme objectif final… «C’est lui qui a posé les fondations de beaucoup de ce que nous connaissons aujourd’hui – hormis la Banque centrale européenne.»

Mme Lagarde n’hésite pas à pointer les lacunes persistantes de la gouvernance économique européenne. «Nous avons quelque part laissé tomber M. Werner: nos marchés ne sont pas suffisamment intégrés et exacerbent les chocs plus qu’ils ne les absorbent. Le marché américain absorbe 70% des chocs et le nôtre seulement 25%.» Manque également la coordination des politiques fiscales.

«Le rapport reflète l’essence du projet politique de l’UE, qui est d’être toujours en mouvement», commente Paschal Donohoe, président de l’Eurogroupe. «C’est un engagement politique envers la stabilité et le changement en même temps. Nous irons toujours vers le progrès et nous ne devons jamais perdre de vue ce que nous avons accompli, rien que ces derniers mois.»

On peut espérer que l’UE ne soit pas simplement capable de sortir de la crise, mais qu’elle soit plus forte et se donne des perspectives vertes et digitales.

Valdis Dombrovskisvice-président exécutifCommission européenne

Une référence aux instruments créés pour faire face aux effets de la crise sanitaire du Covid-19, comme SURE (Soutien temporaire à l’atténuation des risques de chômage en situation d’urgence), offrant 100 milliards d’euros de garanties pour les États membres devant faire face à des dépenses supplémentaires pour compenser les pertes de revenus des salariés au chômage ou des indépendants.

La Commission a également approuvé plus de 200 décisions nationales visant à soutenir l’économie en levant l’interdiction des aides d’État, et déclenché la clause dérogatoire permettant aux États membres une plus grande flexibilité dans leur budget. La BCE, quant à elle, a lancé un programme d’achat d’urgence de titres privés et publics pour 1.350 milliards d’euros, et la BEI s’est engagée à investir 20 milliards d’euros supplémentaires dans les PME.

Sans compter le plan Next Generation de 750 milliards d’euros décidé en parallèle au budget 2021-2027. «Nous sommes tombés sur un accord sur l’instrument de résilience avec 37% des dépenses devant être liées à la lutte contre le changement climatique et 20% liées à la digitalisation», ajoute M. Dombrovskis. «Cela permet d’espérer que l’UE ne soit pas simplement capable de sortir de la crise, mais qu’elle soit plus forte et se donne des perspectives vertes et digitales.»

Il est clair que la politique fiscale doit être coordonnée dans l’Union économique et monétaire.

Klaus ReglingprésidentMécanisme européen de stabilité

Une UE qui adapte aussi sa réaction au type de crise, souligne Klaus Regling, président du Mécanisme européen de stabilité, qui regroupe les instruments créés pour contrer la crise de l’euro en 2010: le Fonds européen de stabilité financière et le Mécanisme européen de stabilité financière. Celui qui a en partie rédigé le brouillon du Pacte de stabilité et de croissance pour l’Allemagne l’assure: «Quand une crise se produit, nous devons être rapides, bien organisés, bien se coordonner entre institutions et gouvernements, et fournir un soutien approprié selon la nature du problème à réparer.» Ce qui explique que le soutien du MES aux coûts de santé avancés par les États dans le contexte de la pandémie de Covid-19 n’est soumis à aucune contrepartie ou condition, contrairement aux aides fournies aux États membres ayant laissé filer leur dette jusqu’à être pris à la gorge en 2010.

Les héritiers de Pierre Werner s’interrogent désormais sur la durée des mesures d’aide accordées, que ce soit sur la flexibilité budgétaire ou les aides d’État. Et sur les prochaines étapes à franchir pour rendre l’UE plus intégrée.

C’est là que la fiscalité apparaît en ligne de mire. «Il est clair que la politique fiscale doit être coordonnée dans l’Union monétaire», plaide M. Regling, qui appelle aussi les États membres à maîtriser leur endettement pour que la dette reste soutenable. Si M. Donohoe montre un optimisme prudent quant à l’élargissement des sujets fiscaux susceptibles d’être discutés au niveau de l’Écofin, M. Dombrovskis souligne l’aspect «obsolète» de la taxation de l’énergie décidée en 2003, surtout au regard des objectifs du Green Deal. Et rappelle le travail de la Commission avec l’OCDE sur une taxation des géants du numérique en adéquation avec leurs activités pays par pays. Il évoque encore l’objectif de l’UE de réduire sa dépendance envers les contributions des États membres, afin de stabiliser ses ressources. Le marché des quotas et la taxation digitale seraient deux pistes pour y parvenir.

Toujours attachés au principe de la construction par étapes, les héritiers de Pierre Werner ne manquent donc pas d’idées pour perpétuer sa vision et l’adapter à une réalité encore inimaginable dans les années 1970.