Près de 60.000 personnes ont déjà perdu leur emploi dans la tech depuis le début de l’année. La faute à l’appétit des actionnaires et aux retards pris dans les développements ou les levées de fonds. (Photo: Shutterstock)

Près de 60.000 personnes ont déjà perdu leur emploi dans la tech depuis le début de l’année. La faute à l’appétit des actionnaires et aux retards pris dans les développements ou les levées de fonds. (Photo: Shutterstock)

Les annonces de licenciements se multiplient en ce début d’année dans la tech. Si les chiffres semblent impressionnants, beaucoup restent sous la barre des 10%, le cap symbolique de la «courbe de vitalité» introduite par Jack Welch dans les années 1980 chez General Electric.

185 sociétés de la tech ont déjà licencié 57.601 employés depuis le début de l’année. Dont 38.000 chez seulement quatre géants: 12.000 chez Google, 10.000 chez Microsoft, 8.000 chez Amazon et 8.000 chez Salesforce. Beaucoup d’autres avaient anticipé ce mouvement dès le dernier trimestre de 2022, avec les 11.000 chez Meta (le 9 novembre), les 4.100 chez Cisco (le 16 novembre) ou encore les 3.700 chez Twitter (le 4 novembre).

Plus que les chiffres, il faut regarder le pourcentage de la masse salariale concernée par les réductions d’effectifs: 2% chez Amazon, 5% chez Microsoft, 6% chez Google ou 10% chez Salesforce.

, le CEO de Google, Sundar Pichai, n’évoque à aucun moment le fait que l’entreprise ait «trop» recruté pendant la crise du Covid et qu’il lui faut revenir à une certaine forme de normalité. Mais que le groupe entend se préparer à des lendemains difficiles.

L’employé, l’actionnaire et la «structure de coûts»

Même chose pour son homologue de Microsoft, Satya Nadella, qui dit : «Nous alignerons notre structure de coûts sur nos revenus et là où nous voyons la demande des clients.» Six jours plus tard, le CEO de Microsoft dévoilait des bénéfices nets en baisse de 12% au deuxième trimestre 2023 et, surtout, seulement 9,7 milliards de dollars de dividendes aux actionnaires, en baisse de 11% par rapport au même trimestre de l’année précédente.

Les géants utilisent une idée mise en pratique dans les années 1980 par le CEO de General Electric, Jack Welch, surnommé «Neutron Jack», qui licenciait chaque année les 10% de ses effectifs les moins performants. Les managers étaient «invités» à classer les employés de leurs équipes selon trois notes. 20% devaient obtenir la note A, 70% la note B et 10% obtenaient donc la note C. Ces derniers étaient licenciés selon la théorie de la «courbe de vitalité».

Si le patron sous-entendait que sa stratégie avait un effet sur ceux qui restaient dans l’entreprise, elle avait surtout un effet sur les investisseurs: la réduction rapide du coût de la main-d’œuvre permettait une augmentation significative du bénéfice par action au trimestre suivant. Assez pour que Wall Street adore, que d’autres chefs d’entreprise s’y mettent aussi et que Fortune le désigne «manager of the century» à la fin de sa carrière.

Welch et son héritage contesté

Dans son passionnant ouvrage, «The Man Who Broke Capitalism», le journaliste du New York Times David Gelles en fait la figure paternelle des Elon Musk, Mark Zuckerberg et autre Jeff Bezos. La véritable leçon, selon lui, est que la stratégie de M. Welch, décédé en 2020 et qui a eu les honneurs de Donald Trump, est très court-termiste. «Loin d’être l’entreprise la plus précieuse sur Terre et un conglomérat qui s’étendait sur le monde et toutes ces différentes industries, GE va maintenant être essentiellement découpé en trois morceaux distincts – et c’est la fin de l’histoire», écrit-il.

Il faudra, aujourd’hui, mesurer comment la mauvaise image des sociétés qui licencient à tour de bras avec beaucoup de légèreté a un impact sur les recrutements des plus talentueux des nouvelles générations. Voire comment ces licenciements auront un impact sur les rapports ESG des entreprises cotées et qui, à terme, pourraient aussi y perdre plus rapidement qu’elles y gagnent: après tout, plus l’entreprise est structurée pour avoir les bonnes données au sujet de ses employés, plus elle est responsable de ces 10% qu’elle juge trop inefficaces pour rester dans l’entreprise. Soit elle recrute à côté de la plaque, soit elle ne les accompagne pas assez bien.

Les «petites» plus exposées

Évidemment, plus la société de technologie est petite, plus la mécanique est différente. Il lui faut alors générer assez de revenus – si possible récurrents – pour absorber ces coûts humains et leur évolution. Ou bien accélérer les levées de fonds au moment même où les investisseurs commencent à être plus exigeants.

En dehors de celles qui ont déjà fait faillite depuis le 1er janvier, Mojo Vision et Parler ont déjà supprimé 75% de leurs équipes respectives; GoMechanic, Mudafy et Camp K12, 70%; American Robotics, 65%, et Fate Therapeutics, 50% – les seules sociétés à avoir licencié plus de la moitié de leurs employés depuis le début de l’année.

Le malheur des uns fait-il le bonheur des autres? Cela reste aussi à démontrer, même sur un marché de la tech sous tension… où les talents sont rares et précieux.