L’allègement du bouclier tarifaire à destination des particuliers et la réforme des frais de réseau vont conduire à une hausse du prix de l’électricité, à partir du 1er janvier. Pour les professionnels, une corvée… «Il y a de fortes chances que les plus petites entreprises soient impactées», regrette le directeur conseils et services de la Chambre des métiers, Gilles Reding.
«L’artisanat est un secteur relativement hétérogène, avec de grands consommateurs en énergie, et des moins grands. Les consommateurs les plus impactés se situent dans l’alimentation. Les bouchers qui ont besoin de froid, les boulangers qui ont besoin de chaud et de froid, les menuiseries qui ont besoin de beaucoup d’électricité… Dans d’autres secteurs, c’est au contraire la main-d’œuvre qui est prépondérante sur les coûts, plus que l’énergie. On ne peut donc pas généraliser, mais avec l’incertitude géopolitique et la taxe carbone qui augmente d’année en année, il y a de toute façon une tendance à la hausse des prix de l’énergie. Outre l’électricité, le carburant est beaucoup consommé dans l’artisanat. Cela impacte les entreprises, et notamment leurs marges. Parce que, souvent, il n’est pas possible de transposer la hausse vers le prix final du produit ou du service», développe le dirigeant de la chambre professionnelle.
Changer d’habitudes… ou pas
«Avec l’essor des pompes à chaleur dans les maisons ou du recours à la mobilité électrique, par exemple, l’idée derrière le changement de tarification, c’est aussi de demander aux consommateurs de modifier leurs habitudes», observe Gilles Reding. Recommandation est ainsi faite aux usagers de veiller à mieux répartir leur consommation d’électricité dans la journée pour atténuer la «douloureuse». «Mais une entreprise manufacturière ou un boulanger qui fait son pain n’ont pas la possibilité de lisser leur consommation, c’est inconcevable», objecte-t-il.
Réforme en vue
«Les frais de réseau ne sont pas les mêmes pour les ménages que pour l’industrie lourde et l’industrie moyenne, parce qu’ils ne sont pas connectés aux mêmes réseaux», retient le head of industrial policy à la Fedil, Gaston Trauffler, qui ne prévoit donc pas d’impact significatif dans le secteur. «En revanche, une réforme s’annonce pour 2026 quant aux frais de réseau pour la moyenne tension, ainsi que pour la haute et la très haute tension», anticipe-t-il.
«La facture d’énergie dans son entièreté représente un fardeau assez élevé, puisque depuis la crise énergétique et la guerre en Ukraine, les prix ont fortement augmenté. Ils sont redescendus, mais ils sont toujours deux à cinq fois plus élevés que ceux de nos partenaires commerciaux comme les États-Unis, l’Inde ou la Chine. Selon les produits, les pourcentages de coûts dans la production sont de 20 ou 25%, ce n’est pas négligeable du tout», explique le spécialiste de la Fedil, laquelle avait signé en début d’année une note proposant une réforme des coûts de réseau afin de combler une partie du handicap concurrentiel.
«Si nous ne faisons rien…»
«C’est un des seuls moyens disponibles pour faire baisser la facture, surtout si on veut décarboner l’électricité. Sur l’électron en lui-même, il n’y a pas grand-chose à faire. Cela s’achète sur les Bourses, et nous sommes connectés à l’un des marchés les plus élevés, l’Allemagne. Pourtant, il faut que l’électricité soit bon marché. Donc, il faut que les coûts du réseau soient bon marché. Travailler sur ces coûts permettrait de rendre l’électricité plus attractive. C’est très technique, nous sommes en contact avec l’ILR. Cette question joue directement sur le la compétitivité du site luxembourgeois industriel. Si nous ne faisons rien, on finira par être les plus chers dans notre voisinage européen. Pour arrêter de brûler le gaz et aller vers l’électricité, il faut que les coûts soient abordables.»
«Désavantage compétitif»
Dans son document de travail de février dernier, la Fedil dénonçait, en résumé, une répartition injuste des frais de réseau, les clients industriels devant à ses yeux supporter des coûts disproportionnés au regard de l’effort consenti en matière de baisse de consommation. La Fedil suggère que les frais de réseau soient indexés sur l’impact réel de chaque entreprise et de repenser les périodes de pointe. Sans une refonte, prévient la Fedil, la transition énergétique serait menacée. Au même titre que la compétitivité du pays, encore elle…
Sur le sujet, «le rapport de Mario Draghi sur l’avenir de la compétitivité européenne a mis en lumière, si c’était encore nécessaire, l’ampleur du désavantage compétitif que subissent les industriels européens en raison du coût de l’énergie», pointe la senior economist à la Chambre de commerce, Lucie Martin.
«Selon les données compilées par l’auteur, les prix de l’électricité pour l’industrie en Europe sont 158% supérieurs à ceux pratiqués aux États-Unis. L’écart est presque identique avec la Chine. Dans ce contexte, toute augmentation du prix de l’électricité est de nature à creuser encore ce désavantage compétitif et constitue donc une menace pour notre économie, en particulier pour les industries électro-intensives exposées à une forte concurrence internationale», explique-t-elle.
Un quart des dirigeants préoccupés
Quelques chiffres pour mieux comprendre la part d’inquiétude chez les professionnels. Selon le dernier Baromètre de l’économie, près d’un quart (22,7%) des chefs d’entreprise considèrent qu’un accès abordable à l’énergie sera un défi majeur en 2025. «On remarque toutefois des différences selon le secteur d’activité. Les secteurs les plus inquiets sont l’Horeca (49,9% des dirigeants de ce secteur voient cela comme un défi) et l’industrie (47,4%). Un tiers des entreprises des secteurs du commerce (34,4%) et des transports (31,2%) semblent inquiets aussi. Les secteurs les moins préoccupés sont les services financiers (1,9%), les services hors finance et la construction (13%)», détaille Lucie Martin.
«Il est intéressant de noter que les secteurs les plus inquiets sont précisément ceux qui avaient déclaré, début 2022, utiliser une grande part d’électricité parmi toute l’énergie qu’ils utilisent dans le cadre de leurs activités. Ainsi, parmi toute l’énergie consommée par les entreprises du secteur de l’Horeca (électricité, gaz, pétrole et mazout), l’électricité représente 37%. C’est 22,3% pour l’industrie, et 21,6% pour le commerce», poursuit la spécialiste.
«On remarque aussi que l’accès abordable à l’énergie est perçu tous les ans un peu moins comme un défi pour l’année à venir. Après avoir atteint un pic pour l’année 2023, 51% des entreprises voyant l’accès abordable à l’énergie comme un défi majeur pour le développement de leur activité fin 2022, cette inquiétude ne touchait plus que 29% des entreprises pour l’année 2024, et maintenant 23% pour 2025. Début 2022, il était intéressant de noter que l’impact principal de la hausse des coûts était la baisse du chiffre d’affaires (pour 57% des dirigeants) et la perte de compétitivité (pour 36%). Il est difficile de dire comment les entreprises vont répercuter cette hausse l’année prochaine, mais début 2022, 41,5% des entreprises déclaraient avoir répercuté partiellement ces hausses sur les prix de vente (ce pourcentage montait même à 75% pour l’industrie, 59% pour la construction, et 51% pour l’Horeca). D’où la menace d’une reprise inflationniste après la stabilisation opérée ces derniers mois. On note d’ailleurs dans les prévisions du Statec que la hausse du prix de l’électricité jouera un rôle important dans le rebond d’inflation attendu en 2025, rien qu’en raison de l’énergie.»
Adaptation
«Autre point intéressant, à l’époque, 19% des entreprises envisageaient de mettre en place des mesures d’économie d’énergie au sein de leur entreprise (31% de l’industrie, 26% de la construction, 23% du commerce, 21% des services financiers et 18% de l’Horeca), ce qui peut en effet expliquer que les entreprises perçoivent de moins en moins l’accès abordable à l’énergie comme un défi majeur, élément évoqué précédemment. Elles ont appris à s’adapter, et surtout, aujourd’hui, cette hausse des prix de l’électricité a été annoncée bien en amont. Il s’agissait essentiellement de mesures comportementales (pour 44% des entreprises), du passage vers des véhicules électriques (24%) ou encore de l’investissement dans des technologies plus efficaces (19%)», liste Lucie Martin.
Pour la Chambre de commerce également, rappelle l’économiste, «il est impératif de baisser les coûts de l’électricité par des allégements significatifs des coûts de réseau sur la haute et la moyenne tension pour les entreprises SEQE (système d’échange de quotas d’émission), afin de rétablir leur compétitivité, et les entreprises non-SEQE porteuses de projet de décarbonation par l’électrification».
«Les entreprises cherchent à anticiper»
À ce titre, «les demandes pour obtenir des aides pour investir dans l’efficience énergétique ou dans les énergies renouvelables sont en forte hausse», constate le directeur conseils et services de la Chambre des métiers, Gilles Reding. «Pour le pacte environnemental, un régime d’aide temporaire du ministère de l’Économie pour les entreprises, qui peuvent en profiter à hauteur de 100.000 euros, nous nous sommes retrouvés submergés avant la deadline du 15 novembre. Ce serait bien que ce régime soit prolongé, c’est une de nos demandes, très pragmatique», conclut-il, «les entreprises cherchent à anticiper la hausse, elles essaient d’investir pour demeurer compétitives.»