Les hard-discounters ont fait petit à petit leur nid au Luxembourg. (Illustration: Maison Moderne)

Les hard-discounters ont fait petit à petit leur nid au Luxembourg. (Illustration: Maison Moderne)

Dans un pays de petite taille où la densité de l’offre commerciale est très élevée, les enseignes de hard-discount – ou «smart-discount», comme certaines veulent être appelées – se portent à merveille et nourrissent toutes des ambitions d’expansion. Un succès dû à une stratégie extrêmement bien réfléchie.

Petit à petit, les hard-discounters, qui préfèrent désormais être appelés «smart-discounters», y ont fait leur nid. Aldi, Lidl, Action ou Colruyt se portent à merveille au Luxembourg. Actuellement, Aldi Lux­em­bourg, dont le siège est à Ca­pellen, compte 16 magasins. Le dernier a été inauguré en novembre à Pommerloch. «On ne va pas avoir 50 ou 100 Aldi en plus, mais cinq, six ou sept nouveaux dans les années à venir, c’est raisonnable», indique Pierre-Alexandre Rocour, managing director de la marque. Il est vrai qu’Aldi a le vent en poupe: une croissance à deux chiffres les cinq dernières années, un chiffre d’affaires qui dépasse les 100 millions d’euros depuis deux ans…

Lidl, autre acteur phare du marché, a ouvert un premier magasin en 2005. Si l’enseigne reste discrète sur son chiffre d’affaires, Julien Wathieu, son porte-parole, aligne d’autres indices qui témoignent de la très bonne santé de la marque: «Nous avons engagé 30 collaborateurs cette année et sommes désormais 300. Notre 11e magasin ouvrira au début de 2020 à Huldange (commune de Troisvierges, ndlr). À Differdange, on démolit notre ancienne implantation pour la reconstruire entièrement. Si on considère Foetz, qui a ou­­vert cette année, Huldange et ­Dif­­­ferdange, cela représente des investissements à hauteur de 32 millions d’euros.»

Action est également dans une dynamique positive. Arrivé en septembre 2015 avec un premier magasin à Mersch, il en compte désormais sept. C’est à Mersch aussi que Colruyt a ouvert sa première surface de vente. Le groupe belge en compte désormais quatre. «Colruyt voulait avoir le temps de bien analyser le marché. Main­tenant, nous avons de nouveaux projets, via des magasins de taille moyenne, adaptée», souligne David Legrand, country manager de Colruyt. Mais lancer Okay, la version «magasin de quartier» de Colruyt, n’est pas encore à l’ordre du jour. «Il y a cependant, je pense, du potentiel pour des magasins comme Okay ou Okay Compact (400 à 650 m2 au plus, ndlr) au Luxembourg», souligne David Legrand.

Un ancrage local

La recette de leur succès est constituée de plusieurs ingrédients. Le premier tient d’une volonté de paraître local. Lidl a bien senti cette demande de ses clients et offre donc une soixantaine de produits nationaux «via Luxlait, Cobo­lux…»: «Chaque année, nous voulons augmenter de 10% l’offre de produits locaux.» Aldi a aussi adapté sa gamme.

«On est donc sans doute plus local ici que dans d’autres pays où Aldi est aussi présent, concède Pierre-Alexandre Rocour. Chez nous, on retrouve également Luxlait, les Eaux Minérales de Beckerich, les bières Diekirch… et le frais est travaillé avec Grosbusch.» Même tactique chez Colruyt, qui «travaille avec des producteurs locaux».

Le second ingrédient est la capacité à s’adapter aux tendances du moment. Ainsi, le bio ne cesse de coloniser les rayons. «Dans chaque magasin, on a environ 50 références bio», relève Julien Wathieu. «Un produit sur cinq qui se crée est bio, on ne peut l’ignorer», souligne David Legrand. Lidl, Colruyt et Aldi ont aussi lancé la chasse au plastique. Si le contenu fait l’objet de nombreuses attentions, le contenant aussi. C’est le troisième ingrédient.

«La seconde phase de rénovation de tous nos magasins débutera l’an prochain, développe Pierre-Alexandre Rocour. Nous voulons, concevoir le magasin idéal pour le client.» Et proposer dans ses Lidl du futur «une expérience de shopping moderne, dans un environnement où la circulation est repensée, réfléchie».

Sans perdre son âme

Enfin, si ces enseignes ont fait preuve d’une grande adaptabilité, elles n’ont pas non plus perdu leur âme. «On n’augmente pas nos prix, car nous sommes au Luxembourg et que les revenus sont plus élevés», confirme Pierre-Alexandre Rocour. Julien Wathieu abonde dans le même sens: «C’est la qualité, ici comme ailleurs, qui est au centre de notre politique.»

Le plus dur, finalement, éternelle lutte du commerçant, reste d’attirer le client dans le magasin. «C’est vrai, et en général, une fois qu’il est venu, qu’il a vu et comparé, il est convaincu et ne repart plus», conclut Julien Wathieu.

Flexibiliser l’ouverture le dimanche

(DP), ministre des Classes moyennes, l’avait indiqué lors de son entrée en fonction: la réforme de la loi sur les heures d’ouverture des magasins fait partie de ses priorités. «C’est toujours le cas et des discussions sont en cours avec les différents partenaires. On doit en tout cas faire évoluer les choses, car le système de dérogation ne correspond plus à la réalité de notre époque, il faut plus de flexibilité», explique le ministre. Ce dossier pourrait aboutir l’année prochaine, ce qu’espère la CLC.

La consommation par tête stagne

Beaucoup de magasins, cela ne signifie pas que la consommation est exponentielle. Les chiffres peuvent en effet parfois être trompeurs. «La consommation augmente, comme cela avait été démontré dans une de nos études de 2017, souligne Bastien Larue, chef de l’unité Conjoncture au Statec. Mais cette augmentation est surtout due à l’augmentation de la population.»

Si on prend en compte «la consommation par tête, c’est nettement moins bon puisque cette dernière a moins augmenté que le revenu disponible réel par tête, ce qu’on appelle le pouvoir d’achat: la quantité de biens et de services qu’on peut s’offrir». Ce qui démontre une prudence chez le consommateur, qui, plutôt que de dépenser, souhaite économiser, ou placer son argent dans l’immobilier, des actions… Une tendance forte, dont l’origine se situe en 2004, soit avant la crise financière, et qui se poursuit actuellement, faisant du Luxembourg une exception européenne.

Cette faible dynamique de la consommation se reflète aussi dans les choix des ménages. Depuis 2000, les dé­­penses en achats alimentaires, alcool et tabac, habillement, transport, presse et restauration sont en baisse. Par contre, les dépenses pour la santé, les communications, l’enseignement, les services financiers sont en hausse. «Ce sont aussi des tendances qui s’inscrivent sur le long terme, conclut Bastien Larue. L’analyse de 2017 garde toute sa pertinence deux ans plus tard.»