En février, . Environ . Ou encore ceux du , réalisés en 2017 à l’horizon 2060, . De quoi s’y perdre.
Différentes méthodologies
Pourquoi les chiffres diffèrent-ils? La Fondation Idea explique avoir effectué ses calculs «avec les hypothèses qui [lui] semblaient les plus raisonnables en matière de mortalité, de natalité et d’immigration nette». La différence avec les autres s’expliquant par ses estimations de productivité. «Dans le PDAT, ils ont misé sur une productivité très élevée. Alors que nous l’avons calculée en regardant par branche les évolutions de la valeur ajoutée des 30 dernières années, qu’on a projetées avec affinage. On en déduit un nombre d’emplois et un besoin en population nouvelle.»
«Notre méthodologie permet de déterminer les gains de productivité nécessaires pour atteindre les différents taux de croissance du PIB à long terme», précise de son côté Tom Haas, chef de l’unité Modélisation et prévisions au Statec. «Il s’agit du concept de la productivité apparente du travail, qui inclut le progrès technologique, mais aussi les gains en intensité capitalistique.»
Dans le document expliquant ses projections, l’institut rappelle qu’«il n’existe pas de consensus sur les perspectives de croissance à très long terme. Certains considèrent que les gains de productivité liés à la digitalisation resteraient plutôt limités. Le vieillissement de la population et le désendettement nécessaire des ménages et entreprises devraient même contribuer à une baisse continuelle de la croissance. D’autres anticipent que les gains de productivité liés à l’automatisation, l’intelligence artificielle ou encore les énergies renouvelables ne sont qu’à leurs débuts.» D’où quatre scénarios très différents.
Pascale Junker, chargée de direction au ministère de l’Économie, insiste sur le fait que la démarche de Luxembourg Stratégie diffère. «Notre méthode est celle de la prospective stratégique participative et non de projections macroéconomiques. Elle est basée sur l’imaginaire collectif de ce que pourrait être l’avenir.» Elle fournit tout de même des chiffres, mais «à titre purement indicatif, à partir de sources connues».
Pour arriver à 1,2 million d’habitants en 2050, alors que le Statec n’atteint ce résultat qu’en 2060, «nous avons transposé [les données du Statec, ndlr] pour pousser les extrêmes et refléter les tendances passées à sous-estimer le solde migratoire et la progression de l’espérance de vie». Ce que confirme Idea: «Le scénario ‘dynamisme positif’ de 2004-2022 entrevoyait pour 2020 un Luxembourg à 395.000 emplois (contre 475.000 dans les faits), un nombre de frontaliers compris entre 136.000 et 168.000 (contre 200.000) et une population allant de 511.000 à 561.000 habitants (contre 626.000).»
Interrogée sur l’origine du scénario à 770.000 habitants, Pascale Junker répète que «ces chiffres sont fictifs».
Prudence quant à une hausse de la productivité
Différentes méthodes pour différents résultats… Mais qui s’approche le plus de la réalité? Paperjam a posé la question à deux spécialistes en économie de l’Université du Luxembourg.
«En 10 ans, la population est passée d’environ 500.000 à 600.000 habitants, soit une croissance de 2,1% par an. Si on l’extrapole, on obtient 1,1 million d’habitants en 2050», résume François Koulischer.
«Je comprends qu’il y ait plusieurs scénarios. C’est ce qu’on demande aux statisticiens», explique Arnaud Bourgain, aussi membre du Conseil national de la productivité. «Les universitaires sont plus prudents.» Il glisse tout de même que «quand on regarde la littérature, les économistes vont plutôt vers l’explication du ralentissement de la productivité. Je serais donc un peu frileux de prendre les scénarios les plus optimistes.» Même si «c’est de la simple déduction à partir de la littérature actuelle. Est-ce qu’on peut l’extrapoler sur les 30 années à venir? Personne ne peut le dire. Si on regarde aux 15 dernières années et aux crises que nous avons connues…»
Une base de réflexion
Alors, pourquoi effectuer ces projections? «L’IGSS (Inspection générale de la sécurité sociale, ndlr) fait des calculs sur le financement des retraites», répond Arnaud Bourgain. «Cela peut aussi ouvrir la réflexion sur les infrastructures nécessaires.»
Un exercice plus difficile pour un pays comme le Luxembourg. «Nous avons connu une forte hausse de la force de travail, des migrations et des frontaliers. Il y a plus de volatilité que dans un pays moyen.»
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) réalise aussi ses projections. «À si long terme, nous préférons parler de scénarios», rectifie Yvan Guillemette, économiste au sein de l’organisation. Afin de mieux «refléter le fait que nous ne sommes pas vraiment en mesure de déterminer la croissance de la productivité dans 30 ans».
Pour les projections de court terme, la méthode consiste en une analyse des «cycles économiques». Or, «on ne projette pas de cycles» à un horizon plus éloigné. Dans ce cas, «nous regardons quelle a été la situation des 15 dernières années» pour projeter un scénario central, explique alors l’économiste. «Dans les années 70 à 90, nous avons connu des taux plus élevés. Il n’est pas impossible que nous connaissions de nouvelles avancées technologiques». D’où l’ajout d’un scénario optimiste.
Enfin, on complète par un scénario pessimiste pour «équilibrer». L’expert admet qu’«il est normal d’envisager le scénario de base comme le plus raisonnable». Pour l’OCDE, celui-ci sert notamment de «point de comparaison pour envisager l’impact d’une réforme», sur le marché du travail par exemple.
Aucun économiste ne peut donc prédire l’avenir. Mais on comprend un peu mieux comment et pourquoi ils essaient de le faire.