Guy Daleiiden (Photo:Guy Wolff/Maison Moderne)

Guy Daleiiden (Photo:Guy Wolff/Maison Moderne)

Le dixième Lëtzebuerger Filmpräis se tiendra le 11 novembre et récompensera le meilleur du cinéma luxembourgeois. Au fil des années, le pays a su construire une industrie solide soutenue par le Film Fund qui met en œuvre l’ensemble de la politique de soutien à la production audiovisuelle du gouvernement. Son directeur, Guy Daleiden, donne un coup de projecteur sur ce secteur.

Comment est né le Film Fund?

Guy Daleiden. – «Le Fund est né il y a une trentaine d’années, à la suite des festivités des 75 ans d’indépendance du Luxembourg. Le ministère de la Culture avait lancé un appel pour la création d’un long métrage en langue luxembourgeoise. Le film retenu s’appelait Schacko Klak, de Paul Kieffer et Frank Hoffmann. Après le succès de cette œuvre, le gouvernement a décidé de créer le Fonds national de soutien à la production audiovisuelle, qui était géré par le Centre national de l’audiovisuel. Parallèlement, il y a eu la création d’une aide fiscale au ministère d’État pour attirer des productions internationales, principalement des séries, des soaps, sur le territoire luxembourgeois, et pour activer la production, notamment pour la diffusion sur RTL: on avait les moyens de diffuser, mais on ne produisait rien.

Le Film Fund bénéficie d’une indépendance et met en œuvre la politique de soutien à la production audiovisuelle du gouvernement. Comment choisit-il les films qui seront soutenus?

«Cela dépend premièrement de la qualité du film, de son scénario, de son originalité, de sa structure, mais aussi du retour pour le Luxembourg, et pas seulement sur le plan financier. L’argent qu’on donne doit idéalement être dépensé dans l’économie luxembourgeoise, mais on regarde aussi le niveau d’engagement des techniciens, des cinéastes, des comédiens. Un bon scénario peut toujours devenir un mauvais film, mais un mauvais scénario ne donnera jamais un bon film. Quand je vois aujourd’hui les nominations d’œuvres luxembourgeoises à travers le monde, je crois que les choix du comité sont bons. Et le travail de nos cinéastes n’est pas mal du tout. On voit surtout les comédiens et comédiennes avant tout, mais on ne voit pas tout ce qu’il y a derrière…

 Les aides financières ne sont pas le seul soutien que vous apportez à la production audiovisuelle. Quelles sont vos autres missions?

«Notre accompagnement passe d’abord par cette aide financière sélective. C’est la seule aide publique dont les œuvres peuvent bénéficier. Rien qu’avec cela, on a déjà rempli une grande partie de notre mission. À côté de cela, on fait la promotion du secteur, des techniciens, des réalisateurs, des producteurs, des comédiens… Pour les engager sur de nouveaux films, mais aussi pour attirer de nouvelles œuvres vers le Grand-Duché. Cette promotion est importante parce qu’on doit tout faire en coproduction: on ne peut pas tout développer tout seul dans notre petit pays.

 Au-delà de l’aspect financier, pourquoi les coproductions sont-elles intéressantes pour l’industrie luxembourgeoise?

«Car vous avez la possibilité de vous orienter vers des partenaires étrangers, et cela donne de la visibilité. Vous avez aussi la garantie que l’œuvre va pouvoir sortir et être diffusée sur les territoires respectifs. Vous avez aussi la possibilité d’inclure des techniciens, des producteurs et des réalisateurs ou des comédiens internationaux, ce qui donne un transfert de savoir-faire intéressant. Finalement, cela apporte beaucoup plus que si on devait se reposer uniquement sur nous-mêmes. Cela pousserait les producteurs à rester dans leur coin. Il y a aussi une diversité culturelle très riche au Luxembourg qui doit s’exporter et s’ouvrir à d’autres horizons. On ne doit donc pas se contenter de coproduire de façon classique entre le Luxembourg, la Belgique et la France, mais se tourner vers d’autres territoires, des pays avec lesquels on ne coproduit pas régulièrement.

 Quels pays, par exemple?

«On a développé un lien extrêmement fort avec le Québec, mais aussi avec des pays de l’Est. Nous préparons un accord de coopération avec l’Islande, avec Israël, avec la Palestine. On travaille également un peu avec des pays africains. Cela donne aux producteurs une possibilité de raconter des histoires différentes, de faire découvrir des cultures, des personnes et des paysages moins connus.

Le secteur se porte bien quand on voit le nombre de films qui sont produits. Mais il ne faut pas oublier que le Covid a fait de gros dégâts, dont certains ne sont pas résolus…
Guy Daleiden

Guy DaleidenDirecteurFilm Fund 

 Le Luxembourg est plutôt «petit» dans l’industrie du cinéma. Comment le fait-on rayonner dans le monde entier?

«On doit d’abord faire la promotion au niveau national, montrer à la population que le secteur existe et qu’il est vibrant. Les films circulent déjà au Luxembourg, mais ce que veulent les réalisateurs, c’est qu’ils soient vus au niveau international. C’est beaucoup plus difficile parce que nos œuvres sont loin d’être les seules à exister. En Europe, on produit entre 2.000 et 3.000 longs métrages par an. Si nous, nous en faisons une vingtaine, vous imaginez la difficulté à placer ces films au cinéma ou à la télévision. Et là, on n’a pas encore parlé des œuvres américaines ou asiatiques… 

Aujourd’hui, comment se porte l’industrie du cinéma au Luxembourg?

«Le secteur se porte bien quand on voit le nombre de films qui sont produits. Mais il ne faut pas oublier que le Covid a fait de gros dégâts, dont certains ne sont pas résolus, notamment en ce qui concerne la fréquentation des salles de cinéma. Il y a toujours des œuvres en attente de diffusion. Au Luxembourg, nous sommes gâtés parce que les films ont pu sortir, mais sur des coproductions minoritaires et internationales, il y a eu des freins. Pendant cette période, les gens sont restés chez eux et ont regardé des œuvres différemment. Ils n’ont pour l’instant pas d’intérêt à retourner au cinéma. C’est un problème.

Comme d’autres secteurs d’activité, celui du cinéma est-il confronté à des difficultés pour la main-d’œuvre?

«Oui, c’est clair et net. Des gens ont décidé de changer de métier pendant la période Covid, principalement des techniciens. On manque aussi de jeunes, et il n’y a pas d’évolution à ce niveau-là. Il y a un travail à faire, que ce soit par rapport à la production, aux réalisateurs, aux comédiens et aux techniciens. Il y a un besoin de renouvellement, cela ne veut pas dire que les anciens doivent s’arrêter, mais il faut faire en sorte que les jeunes s’intéressent à ce secteur.

Comment?

«Premièrement en faisant sa promotion. On a prévu l’an prochain des manifestations en ce sens. Il faut travailler davantage avec les écoles, lancer des journées de l’audiovisuel, reprendre l’initiative “presse à l’école” pour la décliner autour du cinéma… Il y a plein d’initiatives que l’on peut développer pour susciter l’intérêt des jeunes et démontrer qu’il y a des débouchés. C’est un secteur artistique, passionnant, qui donne une ouverture d’esprit, qui fait raconter des histoires, voyager, rêver…

C’est un secteur qui, quand même, reste un peu plus fermé que d’autres, malgré le message de liberté et d’ouverture d’esprit que l’on véhicule.
Guy Daleiden

Guy DaleidenDirecteurFilm Fund

C’est étonnant, la culture de l’image est pourtant très forte de nos jours, et elle prend une grande place dans le quotidien des jeunes, les réseaux sociaux le montrent.

«Oui, c’est vrai; l’image prend une place énorme. Je crois qu’on est tous attirés par l’image. Et c’est pour cela que, contrairement à une pièce de théâtre, à la poésie, à la danse ou à la musique, c’est encore plus difficile de rencontrer des spectateurs. Étant donné qu’on est confronté à des images partout, le lien avec le cinéma devrait être plus évident. Mais chacun s’y intéresse différemment. C’est sur l’aspect professionnel qu’il faut attirer les jeunes, c’est le premier objectif, et deuxièmement inclure la diversité culturelle dans le secteur.

Comment inclure cette diversité culturelle?

«On a développé des accords spécifiques avec différents pays. Par exemple, en 2017, avec le fonds irlandais, pour soutenir les œuvres de femmes réalisatrices et de femmes scénaristes. Nous avons inclus les personnes non binaires. Nous avons soutenu une étude sur le rôle de la femme dans la production audiovisuelle au Luxembourg; elle sera présentée bientôt. Nous ne sommes pas trop mauvais, mais on n’est pas très bons non plus. Nous ne sommes pas encore au stade où les femmes sont représentées à 50% à tous les niveaux. Il y a aussi un travail à faire pour inclure des personnes qui viennent d’autres milieux et pour qui ce n’est pas naturel de s’intéresser au secteur du cinéma. Un secteur qui, quand même, reste un peu plus fermé que d’autres, malgré le message de liberté et d’ouverture d’esprit que l’on véhicule.

Le Luxembourg dispose-t-il d’un vivier d’acteurs et d’actrices suffisant?

«Oui, c’est le domaine où l’on a évolué le plus rapidement ces dernières années. De jeunes comédiens se lancent à l’international. Il y a les confirmés, comme Marie Jung, Vicky Krieps, mais aussi des jeunes comme Hana Sofia Lopes, Sophie Mousel, etc. C’est intéressant car, par le passé, on a parfois rencontré des difficultés pour trouver, par exemple, une femme entre 35 et 45 ans qui puisse parler trois langues sans accent.

Guy Daleiden au Filmfound Luxembourg (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Guy Daleiden au Filmfound Luxembourg (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

 Quels sont, selon vous, les défis à relever pour maintenir voire développer encore davantage, la production audiovisuelle luxembourgeoise?

«Le premier, c’est d’attirer les jeunes, et deuxièmement d’inclure la diversité culturelle dans le secteur. Le troisième défi, c’est la durabilité, c’est-à-dire d’être capable de produire des films de façon durable.

C’est-à-dire?

«Tout d’abord, on a tous compris qu’on n’a plus besoin d’utiliser de gobelets en plastique! Mais ça ne se limite pas à cela. Il y a beaucoup de travail à faire au niveau des décors. Des idées sont analysées dans ce sens pour stocker et réutiliser les décors. Il y a quelques années, cela n’intéressait personne car c’était plus facile et moins cher de jeter et de refabriquer. L’autre point important, ce sont les déplacements, pour coproduire efficacement sans devoir déplacer les équipes dans le monde entier. Sur ce point, nous sommes investis dans une initiative commune avec les pays germanophones, mais aussi avec les Belges, les Québécois, les Français et les Suisses. Nous allons présenter des initiatives en début d’année prochaine.

Le 10e Filmpräis se tiendra le 11 novembre et récompensera le meilleur du cinéma luxembourgeois dans 14 catégories. Comment l’événement a-t-il évolué?

«Au départ, le Fund ne faisait pas partie du jury. Puis on s’est demandé si on ne pouvait pas, comme dans les autres pays, faire voter le secteur. Comme pour les Oscars, pour lesquels l’Académie des Oscars vote. Nous avons alors incité le secteur à créer une académie du film, D’Filmakademie, et on a décidé que le Filmpräis s’organiserait en collaboration entre nos deux structures. Pour cette édition, ce que l’on peut déjà dire, c’est que la qualité est très élevée! Le premier Filmpräis comportait quatre ou cinq prix. Désormais, on a doublé les prix en créant différentes catégories. Cela montre l’évolution du secteur au Luxembourg et c’est une preuve de qualité.

Que peut-on dire du cru 2023?

«C’est très clair: c’est un très bon cru. Il y a un très beau niveau et je crois qu’il sera difficile pour les professionnels de choisir. En ce qui concerne la coproduction internationale, cela sera sans doute très serré. Pour les coproductions nationales, ça ne sera pas plus simple mais peut-être plus évident. Enfin, au niveau des comédiens, des techniciens, ça sera très serré. Je m’attends à une belle soirée.

 

Qu’est-ce qui fait la spécificité d’un film luxembourgeois?

«C’est difficile de définir ce qu’est la touche luxembourgeoise dans un film. C’est plus facile à identifier sur la façon de travailler et de pratiquer. On nous dit qu’on a rarement vu une telle diversité dans les équipes: ça parle toutes les langues, les gens viennent de partout, et ça reflète aussi ce qu’est le Luxembourg. Savoir jongler avec tout cela, c’est la spécificité luxembourgeoise. On nous dit souvent qu’on a rarement vu une telle solidarité. Tout le monde fait son maximum pour montrer aux équipes internationales le travail fait chez nous. On peut être concurrents sur le territoire, mais dès qu’on sort du pays, on fait front. Cette union, j’estime qu’elle est primordiale pour le bon développement de notre petit secteur.

 D’où vous vient cet intérêt pour le cinéma?

«J’ai eu la chance d’être au lycée avec Paul Lesch (un des pionniers du cinéma luxembourgeois, ndlr) l’ancien directeur du CNA. On était proches. Paul faisait souvent part de sa passion. Je me rappelle qu’un professeur nous avait posé des questions sur des acteurs qui jouaient dans des films. Dans la classe, certains avaient les réponses et avaient cette culture-là. Je me suis demandé d’où ils savaient tout ça. C’est quelque chose qui est né là. Ensuite, à l’université, je passais bien plus de temps dans les salles de cinéma que dans les salles de cours!

Selon vous, quelle est la recette d’un bon film?

«C’est un film qui m’appelle, qui ne m’ennuie pas, dans lequel il y a des revirements, qui est original, qui surprend. Quelque chose qui fonctionne dans sa narration, qui est poétique, qui donne des sensations, qui fait réfléchir, rêver, voyager. Un bon film dépend aussi beaucoup de ses acteurs, mais il faut avant tout raconter une histoire qui passionne. Et, naturellement, chacun est différent, chacun éprouve les sensations et ce qu’on lui raconte de façon différente.

À titre personnel, quel genre cinématographique vous plaît le plus?

«Comme dans la lecture, car je lis beaucoup, tout ce qui tourne autour des crimes m’intéresse. Mais je n’ai pas un genre préféré. Ce qui m’intéresse le plus, ce sont des films qui révèlent quelque chose. Par exemple, tout ce qui tourne autour du crime psychologique, j’aime bien. Je veux aussi passer un bon moment, rire, mais pas devant un film bébête, il faut une certaine subtilité.

Estimez-vous que le soutien de l’État est suffisant?

«Je crois qu’on peut être contents et fiers que les gouvernements respectifs aient soutenu le secteur, avec la création des différentes aides, et sans implication dans les décisions ou orientations du Fund. C’est important pour nous.

Ce qui est fabuleux dans le cinéma, c’est qu’il peut vous toucher différemment selon la situation dans laquelle vous êtes au moment où vous le regardez. Ce sont des sensations uniques.
Guy Daleiden

Guy DaleidenDirecteurFilm Fund

Luxembourg s’est fait une place solide dans le genre de l’animation et s’ouvre aussi aux œuvres en réalité virtuelle avec une catégorie dédiée au Filmpräis. Quels seront les futurs genres explorés?

«Ce qui est important, c’est de tout le temps se demander si l’on évolue correctement. Nous regardons de plus en plus ce qui se passe au niveau des jeux vidéo et allons lancer un appel à propositions pour le développement de jeux vidéo. On a décidé de travailler sur ce sujet parce qu’on voit une évolution, et parce que ça fait partie de cette diversité que l’on recherche.

Est-ce qu’il y a un film, selon vous, qui a marqué l’histoire du cinéma luxembourgeois?

«Je crois qu’on ne peut pas en retenir qu’un. Je suis plutôt d’avis que les films marquent des générations. Mais le plus important, c’est lorsqu’un film marque son spectateur, même s’il n’a pas marqué l’histoire du cinéma. Ce qui est fabuleux dans le cinéma, c’est qu’il peut vous toucher différemment selon la situation dans laquelle vous êtes au moment où vous le regardez. Ce sont des sensations uniques. C’est ça qui, pour moi, est la raison d’être du cinéma. Et c’est pourquoi je serai toujours un grand défenseur du septième art et des nouvelles formes de productions audiovisuelles, car je crois que cela apporte énormément de richesse.

Comment voyez-vous le secteur dans dix ans?

«J’espère que l’on se sera encore diversifié. Que les trois défis que j’évoquais seront atteints, notamment qu’il y aura eu un passage de relais des précurseurs vers les jeunes talents, sans faille. Que notre secteur restera apprécié au niveau international. Et que l’on avancera encore dans cette diversité des œuvres.»

 Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de Paperjam du mois de novembre, paru le 25 octobre. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. Cliquez sur ce lien pour vous abonner au magazine. Votre entreprise est membre du Paperjam+Delano Business Club? Vous pouvez demander un abonnement à votre nom. Dites-le-nous via