La variation des politiques doit permettre de documenter leurs effets pour qu’elles continuent d’être «corrigées» pour être plus efficaces, suggèrent les études de Guido Imbens. (Photo: Frédéric Baiard/FCB Photography pour le Liser)

La variation des politiques doit permettre de documenter leurs effets pour qu’elles continuent d’être «corrigées» pour être plus efficaces, suggèrent les études de Guido Imbens. (Photo: Frédéric Baiard/FCB Photography pour le Liser)

Dix ans après son dernier passage au Luxembourg, le réputé professeur de Stanford, Guido Imbens, y est revenu comme prix Nobel d’économie (2021) pour ses «contributions méthodologiques à l’analyse des relations de cause à effet». Invité du Liser, il a parlé d’intelligence artificielle et de machine learning pour aider le politique.

À trois mois des élections législatives et après deux mandats de la coalition «Gambia», qui n’a pas envie de mesurer l’efficacité des politiques menées par (DP), (LSAP) et le gouvernement? Dans un contexte de prix du logement plus raides que l’ascension de l’Everest, de compétition mondiale au niveau des talents, de mobilité à l’arrêt et de polycrises, est-ce même seulement possible?

Dix ans après son dernier passage au Luxembourg, alors comme professeur d’économie à Stanford, le Néerlandais d’origine et Américain d’adoption Guido Imbens est venu participer à deux jours de réflexion du Liser sur le machine learning dans les programmes d’évaluation. Un de ses thèmes de prédilection qui lui ont valu de partager le prix Nobel d’économie, fin 2021, avec le Canadien David Card (pour ses études empiriques sur le marché du travail et le salaire minimum) et l’Américano-Israélien Joshua Angrist (pour leurs contributions méthodologiques à l’analyse des relations de cause à effet).

Conversation, en marge de l’événement organisé par le Liser, dans un des salons du Royal.

Comme observateurs de la vie politique, nous aimerions pouvoir mesurer l’efficacité des politiques publiques. Pensez-vous que c’est possible? Il faut des outils, des critères, le pays est petit et ouvert… Plus de la moitié des forces de travail vient de l’étranger…

Guido Imbens. — «Oui, c’est un gros défi. Mais je pense que c’est un gros défi partout. Surtout parce les économistes se penchent sur l’évaluation des politiques dans des contextes où l’on pourrait moins penser à en faire l’expérimentation. Vous pourriez penser à avoir de grands groupes de comparaison, mais une partie d’entre eux ne se prêtent pas aux évaluations avec votre situation. Pour réaliser une partie de son travail récompensé par le Nobel, David [Card, , ndlr.] a examiné l’effet des modifications du salaire minimum dans un État. Il a utilisé des comparaisons avec d’autres États. Maintenant, ici, vous devrez trouver des régions qui vous imitent ou que vous imitez d’une manière ou d’une autre. Ça n’a pas besoin d’être parfait. Quitte à ce que quelqu’un contrôle en permanence les résultats obtenus. Il y a un très bel ensemble de méthodologies.

Ici, vous devrez trouver des régions qui vous imitent ou que vous imitez d’une manière ou d’une autre. Ça n’a pas besoin d’être parfait.
Guido Imbens

Guido Imbensprofesseur d’économie à Stanford et prix Nobel d’économie 2021

Il y a eu une étude où les co-auteurs ont examiné l’effet de l’unification allemande sur le PIB ouest-allemand. Cela leur a-t-il coûté? Cela a-t-il amené des choses? Pour voir la trajectoire du PIB ouest-allemand, ils ont utilisé une combinaison d’autres pays, l’Autriche, la Suisse, les Pays-Bas, le Japon, les États-Unis. Cela permet d’imaginer ce à quoi on pouvait s’attendre avant l’unification et ce qu’on a obtenu à cause de l’unification. Ce n’est pas parfait parce qu’il y a des éléments que vous ne pouvez pas appréhender a priori. Il y a aussi l’exemple de l’effet du Brexit sur le Royaume-Uni. Ce n’est qu’un seul changement de politique et ce n’est qu’une seule unité géographique, mais vous pouvez toujours faire beaucoup de progrès et arriver à des estimations assez crédibles d’une politique. Ces méthodes sont également utilisées pour examiner l’effet de diverses politiques liées à des pandémies, etc. Il n’y a donc pas toujours de groupe de contrôle naturel, mais vous pouvez toujours trouver des comparaisons qui vous aident à faire des progrès.

Il y a une petite musique qu’on entend de plus en plus et qui explique qu’avec un très bon jumeau numérique, on pourrait imaginer tous les scénarios, vérifier leurs impacts et retenir le meilleur selon la perspective qu’on a envie d’embrasser. Ça vous paraît crédible?

«Ça va marcher de temps en temps, mais ça ne va pas marcher tout le temps et c’est un facteur clé de la recherche dans laquelle j’ai été impliqué. C’est la “Credibility Revolution”, qui essaie de rassembler des preuves lorsque ces méthodes fonctionnent réellement bien. L’élément clé de l’analyse qui a été faite dans le cas de l’Allemagne de l’Ouest était de faire semblant. De tenir compte que l’unification allemande s’est réellement produite 10 ans plus tôt et voir si les méthodes qui s’appliquaient à ce moment-là permettaient de prédire ce qui s’est passé. Façon “j’ai bien prédit ce qui s’est réellement passé l’année dernière, parce qu’à ce moment-là, il n’y avait pas d’efficacité pour mesurer les conséquences de l’unification, car l’unification n’était pas encore arrivée”. Et donc, appliquer ces méthodes à ce moment antérieur vous permettrait d’évaluer si ces méthodes pour l’Allemagne de l’Ouest sont efficaces ou pas. Ce type de méthode peut vous dire parfois “oui, ici ça marche, mais pour cette autre question ça ne marche pas”.

Le Covid, ses incertitudes et l’obligation du politique à agir

«Il y a quelques années, j’ai participé à une réunion du comité de l’Académie nationale des sciences, où ils regardaient l’impact de la peine de mort sur la criminalité. C’est une grande controverse politique. Dans de nombreuses recherches où les gens faisaient des affirmations grandioses selon lesquelles oui, la peine capitale réduisait considérablement le crime. Deux séries d’études ont revendiqué une grande précision pour les estimations, mais leurs résultats étaient très, très contradictoires. Dans ce comité, nous avons examiné ces études sans pouvoir trancher. Il vaut mieux seulement essayer de trouver des méthodes qui vous aident au moins à dire quand ces choses fonctionnent et quand elles ne fonctionnent pas.

Au cours de la pandémie, il était clair qu’il y avait des décisions très difficiles à prendre. Les conséquences de ces décisions étaient associées à une énorme quantité d’incertitude. Les médias ont critiqué ces décisions, mais il était difficile de s’appuyer sur ce que nous connaissions des pandémies précédentes en raison de la mobilité des individus et de la connectivité des économies. Il était très difficile de prédire l’effet des politiques. Nous pouvons apprendre énormément du fait qu’il s’agissait de variations dans ces politiques et nous comprenons mieux certaines de ces choses maintenant, mais nous ne pourrons certainement pas nous contenter d’automatiser. Si certains s’amusaient à essayer ChatGPT ou des modèles de langage, ils découvriraient que les résultats ne sont pas bons: ils sont basés sur des expériences passées et les modèles ne sont pas très doués pour filtrer les choses à retenir et celles à écarter avant de donner une réponse.

Nous devons encourager la mise en place de certaines variations légitimes dans les politiques, ce qui nous aide à tirer parti des preuves pour élaborer de meilleures politiques au fil du temps.
Guido Imbens

Guido Imbensprofesseur d’économie à Stanford et prix Nobel d’économie 2021

Du coup, faudrait-il simplement donner du crédit à des hommes politiques qui essaient quelque chose? Même quand, à la fin, le résultat ne paraît pas exceptionnel?

«Je pense qu’il y a certainement beaucoup, beaucoup de valeur à essayer des choses et à être conscient du fait que nous n’avons pas les réponses à tout moment, mais qu’il peut être utile d’avoir des variations dans les politiques pour comprendre. La Food and Drug Administration insiste pour que les sociétés pharmaceutiques fassent des expériences aléatoires. Elle ne compte pas sur les compagnies pharmaceutiques pour dire: “Eh bien, nous pensons que cela va fonctionner’’. Nous devons encourager la mise en place de certaines variations légitimes dans les politiques, ce qui nous aide à tirer parti des preuves pour élaborer de meilleures politiques au fil du temps.

J’imagine que vous avez rencontré quelques membres de notre gouvernement. Que leur avez-vous recommandé?

«Je ne suis pas dans la position de donner des conseils politiques. Je suis un universitaire. J’ai écouté les gens. Obtenez le meilleur, puis les preuves. Je ne donne pas directement beaucoup de conseils politiques, mais j’aiderais certainement les gens à essayer de rassembler les preuves et à les utiliser de la meilleure façon.

Parmi les sujets qui vous intéressent et dont on entend parfois parler, celui du revenu de base universel. Dites-nous où vous en êtes de vos réflexions? Surtout sur le plan de l’efficacité.

«Oui. Il est très difficile de mener une expérience. Nous avons donc examiné les données des personnes qui ont joué à la loterie et gagné. Regarder comment cela a affecté leur participation au marché du travail, comment cela, comment cela change leur vie, leur maison, leurs emplois et ainsi de suite. “Cette preuve” suggérait que le fait d’avoir un revenu garanti ne réduisait pas beaucoup la participation au marché du travail.

Cette question est remise au goût du jour par le pape de l’IA, Sam Altmann, le fondateur de ChatGPT, qui a développé un modèle. Le connaissez-vous? Avez-vous analysé ce modèle et si oui, qu’en penser?

«Non, je n’ai pas analysé ce modèle particulier. J’ai rassemblé toute la littérature sur l’économie, toute la théorie et ce point était en quelque sorte clair et c’est toujours le cas: est-ce que si les gens obtiennent un revenu garanti, ils considèrent cela comme une incitation pour qu’ils travaillent moins? La littérature théorique n’indique pas clairement l’ampleur de cet effet. Mais dans la pratique, cela fait une grande différence, de la même manière qu’un travail sans aucun revenu minimum. Le revenu de base universel réduit un peu les revenus, les revenus du travail, mais pas dans des quantités énormes. Pour chaque dollar que vous gagnez, vous perdez environ 5-6 cents. Cela a donc un certain effet, mais ce n’est pas énorme. Peut-être est-ce parce que c’est à la hauteur. Aux décideurs politiques de trancher. Mais ça vaut le coup.

Nous devons être humbles. Il est très difficile de prédire exactement où vont ces choses.
Guido Imbens

Guido Imbensprofesseur d’économie à Stanford et prix Nobel d’économie 2021

L’autre aspect du débat sur l’intelligence artificielle, qui rejoint un peu ce débat sur le revenu universel de base, c’est que selon les sources, 20, 30 ou 40 % de la population pourrait se retrouver sans travail, remplacés par des robots ou des IA. Il faudrait trouver une solution pour qu’ils puissent vivre décemment…

«Le progrès technologique a souvent aggravé la situation de certains groupes, parfois pendant très longtemps. C’est encore beaucoup trop tôt pour se poser ces questions. Disons qu’il y a des sociétés, par exemple, dans les centres d’appels, qui ont voulu remplacer des employés par des bots. Le résultat n’a pas été très heureux. Par contre, l’IA ajoutée à un employé crée de la valeur. Il s’agit d’augmenter l’individu. Cela semble augmenter la productivité. Et même d’une manière inattendue: les personnes les moins compétentes du centre d’appel ont profité de l’IA pour récupérer les informations pertinentes et cela a permis de combler les écarts entre les uns et les autres. Ce n’est pas tant l’effet sur les emplois existants qui est l’élément clé, mais les nouvelles catégories d’emplois dont nous ne savons pas exactement à quoi elles vont ressembler et le dépassement de la fin elle-même.

Combien de temps devrons-nous attendre pour voir où l’IA et ces sujets-là nous emmènent? Deux ans? Cinq ans? Dix ans?

«Compte tenu de tout ce que nous avons appris au cours des six derniers mois. Aux États-Unis, les choses semblent aller incroyablement vite. D’un autre côté, parfois, il semble y avoir une énorme quantité d’excitation, mais ça ne marche pas tout à fait.

Je me souviens. Il y a des années. Dans la Silicon Valley, nous devions emmener nos enfants à l’école tous les matins. Tout le monde était très enthousiaste à l’idée que des voitures autonomes puissent le faire! Dix ans plus tard, nous en sommes toujours à peu près au même point. Nous devons être humbles. Il est très difficile de prédire exactement où vont ces choses. Une méthodologie est maintenant incroyablement bonne pour un ensemble de tâches dont nous pensions, il y a un an, qu’elles prendraient beaucoup de temps, mais il s’écoulera encore un peu de temps pour passer à l’étape suivante.»