Assis à la terrasse de sa maison, avec en toile de fond une vue imprenable sur des champs et des forêts à perte de vue, située au nord de la capitale, Grégory Guilmin, âgé de 34 ans et d’origine belge, partage son parcours depuis son arrivée au Luxembourg. «Au terme de mon doctorat en 2015 à l’Université de Namur, j’aspirais à faire carrière dans le domaine de la finance. En Belgique, Bruxelles est le seul véritable centre financier, mais l’idée d’y établir une vie de famille ne m’attirait pas.» Son choix s’est donc porté sur le Luxembourg, où il a été recruté en tant que financial and risk analyst chez Family Partners, un multi-family office dont il a d’ailleurs accédé au poste de managing director en janvier 2018 à l’âge de 29 ans seulement…
En mars 2020, en plein congé parental suite à la naissance de son premier enfant, il a créé une page Facebook appelée «La Bourse: Make it Easy», dans un contexte de pandémie qui voyait les marchés chuter de 35%. «De nombreuses personnes m’ont approché sur les réseaux sociaux pour discuter de l’éducation financière (…), et certaines m’ont interrogé sur la possibilité de proposer des services pour aider les gens à investir en bourse. La réponse était non.» Sur les conseils de son épouse et d’un ami, sa page Facebook lui a finalement permis de répondre aux premières demandes émanant de son réseau.
En parallèle, il s’interrogeait sur la direction prise par sa carrière professionnelle, mais il lui était alors impossible de s’engager pleinement dans un projet entrepreneurial dédié à l’éducation financière. Outre son rôle de père de deux enfants et la direction du multi-family office qui l’employait, il gérait son propre fonds depuis 2015. «Pendant mon doctorat, j’ai développé un algorithme dans le but de surpasser le marché boursier. Un ami m’a alors proposé de créer ensemble un fonds d’investissement», raconte Grégory Guilmin. Les deux complices ont d’abord investi «modestement» 5.500 euros sur un compte en ligne en novembre 2015, avant de donner plus d’ampleur à leur projet financier. Au cours des deux années suivantes, les deux fondateurs ont réussi à séduire des gestionnaires de fortune basés à Luxembourg, Paris, Genève, Bruxelles et Monaco. Au départ, l’encours du fonds s’élevait à 400.000 euros, mais le fonds a finalement atteint son apogée avec 4,5 millions d’euros sous gestion en 2020.
Un objectif audacieux
Finalement, Grégory Guilmin quitte Family Partners pour se consacrer entièrement à son aventure entrepreneuriale, La Bourse: Make it Easy. Quelques mois plus tard, en 2022, il ferme son fonds d’investissement suite au départ de certains clients touchés par les tumultes des marchés durant la crise du Covid-19.
Il dispose désormais de toute la latitude nécessaire pour s’adonner pleinement à son projet d’éducation financière. Toutefois, l’expérience de la création de son fonds d’investissement demeure une source d’inspiration. «L’idée de l’algorithme que j’ai développé dans le cadre de ma thèse de doctorat répondait à trois problématiques, explique-t-il. Premièrement, mes parents ont perdu de l’argent en 2008, car ils avaient investi dans Dexia et Fortis. Deuxièmement, la grand-mère de mon épouse, qui disposait de 100.000 euros à investir en bourse, n’avait pas confiance en son banquier et m’a sollicité pour l’assister. Troisièmement, j’avais perdu 60% de mes économies en tentant ma chance en bourse.» Ces réalités l’ont incité à approfondir ses connaissances sur les investissements boursiers et, plus spécifiquement, sur l’optimisation de portefeuille, un des thèmes de sa thèse.
Depuis, Grégory Guilmin s’est fixé pour mission d’initier un million de personnes à l’investissement en bourse. Deux ans plus tard, plus de 15.000 personnes le suivent sur les réseaux sociaux et se sont abonnées à sa newsletter hebdomadaire consacrée à l’éducation financière. Cependant, ceci ne représente que la partie gratuite de ses activités. «Plus de 400 personnes ont investi dans l’un de mes produits, qu’il s’agisse de formations en ligne, d’accompagnements personnalisés ou de conférences d’entreprise», précise-t-il. À cela s’ajoute la vente de plus de 3.500 exemplaires de son livre Bien débuter en bourse.
Si, pour l’instant, le seuil du million reste symbolique, ce jeune entrepreneur a l’intention de tout mettre en œuvre pour atteindre ses ambitions. Dès la rentrée post-estivale, il lancera «un projet extrêmement ambitieux», en collaboration avec un spécialiste de l’éducation financière en France. Ce projet vise à aider pas moins de 1.000 personnes en l’espace de trois semaines, grâce à une formation spécialement conçue pour elles, proposée à moins de 100 euros. Un choix audacieux et assumé! «Nous souhaitons rendre cette formation accessible au plus grand nombre et devenir un acteur innovant dans ce domaine.» Le concept est simple: le partenaire mettra ses 100.000 followers à la disposition de l’expertise financière de Grégory Guilmin. «J’ai le sentiment de progresser dans la bonne direction», conclut-il.
Au fil de la conversation, il devient rapidement évident que son objectif de toucher un million de personnes est ancré dans une réalité pragmatique. «Si l’on prend en compte le nombre de 100 millions de francophones dans le monde, l’idée de toucher une personne sur 100 n’est pas si absurde.» Afin d’atteindre cette cible ambitieuse, il multiplie les apparitions dans divers médias francophones.
Malgré son expertise, Grégory Guilmin a choisi de ne pas fonder son propre family office et de faire fi des propositions qui lui ont été faites en ce sens. «Cela ne m’aurait pas rapproché de mon objectif. Chaque semaine, chaque mois, je constate que le nombre de personnes que j’aide augmente.» Est-il encore nécessaire de tester davantage la solidité de sa détermination?
Pour tous les âges
Dans son livre, Grégory Guilmin partage l’essentiel de ses connaissances pour le modique prix de 20 euros. À la seule lecture de son livre, certains investisseurs ont été suffisamment sûrs d’eux pour investir des sommes atteignant parfois les 500.000 euros. «C’est une question de confiance», précise l’auteur. D’autres lecteurs, toutefois, préfèrent s’inscrire à un coaching intensif de cinq semaines.
La simple connaissance théorique n’est souvent pas suffisante. Chaque investisseur présente un profil unique. Faut-il investir via une société ou à titre personnel? Faut-il investir pour ses enfants? Comment doit-on procéder? Les réponses aux questions que se posent les investisseurs dépendent de leur situation fiscale propre, une complexité qui ne peut pas être traitée de manière personnalisée dans un livre. D’où l’intérêt d’un coaching individualisé, comme le souligne l’auteur, lors duquel il fait bénéficier ses clients de son expérience acquise tout au long de sa carrière dans l’industrie du family office.
Outre ses formations standard, Grégory Guilmin développe également des contenus plus spécialisés destinés à des profils d’investisseurs plus avancés. «Quand une personne dispose de 20 millions d’euros à investir et demande une formation spécifique, par exemple sur le private equity, je peux lui fournir cela à un tarif de 500 euros l’heure.» Il justifie ce prix par sa capacité à s’adapter à des situations uniques, comme celle d’une personne relevant de deux juridictions différentes.
Il adapte également ses services à l’âge des investisseurs. «Un client m’a demandé de donner une demi-journée de formation à ses deux filles, âgées de 13 et 17 ans, sur l’argent, les budgets, les dépenses, et de faire une introduction à la bourse.» Parfois, ce sont même tous les membres d’une famille qui participent à une séance de formation.
Responsabiliser les investisseurs
«Mon objectif est d’aider les gens à comprendre la bourse et à arrêter de la percevoir comme quelque chose de négatif. Je veux redorer le blason de la finance qui a été terni depuis la crise financière de 2008», déclare le jeune entrepreneur. En outre, il aspire à aider ses clients à développer leur esprit critique et à prendre en main leurs économies. À titre d’exemple, il a formé un client à Hong Kong pour réaliser un audit de son portefeuille de 3 millions d’euros. Ainsi, ses clients sont mieux préparés pour poser les bonnes questions à leur gestionnaire de patrimoine.
Constatant que les profils de risque définis par les gestionnaires de patrimoine ne sont pas toujours adaptés à leurs clients, il a proposé à certains professionnels une formation préliminaire de deux heures à leur clientèle. «Une fois qu’un client comprend les fluctuations et la volatilité de la bourse, il est alors en mesure de décider s’il souhaite un profil d’investissement médian, défensif ou agressif.» À ce jour, ses suggestions n’ont reçu aucune réponse de la part des professionnels qu’il a contactés.
Cependant, l’éducateur financier estime que la responsabilité réside aussi auprès des individus. «Les gens ne veulent pas parler d’argent, surtout en Europe francophone.» Pire encore… «Ils ne veulent pas remettre en question les décisions qu’ils ont prises ou le gestionnaire qui travaille pour eux.» Les exemples sont parfois édifiants. «Une personne m’a contacté pour auditer son mandat de 3 millions d’euros auprès d’une banque privée. Après l’audit, qui a révélé qu’elle n’avait qu’un seul gestionnaire et qu’il lui fallait diversifier ce nombre, elle a choisi de rester fidèle à sa banque, malgré le risque avéré d’avoir un manque à gagner de plus d’un million d’euros. Pourquoi? Parce qu’elle s’entend bien avec son banquier.»
Briser le tabou de l’argent
«L’argent est un tabou», confirme Grégory Guilmin. «D’une part, nous vivons dans une culture judéo-chrétienne où l’argent est souvent associé à la corruption. D’autre part, l’influence de l’État, qui nous assiste considérablement, peut nous rendre dépendants.» Il ajoute: «L’argent est également souvent utilisé pour hiérarchiser les gens dans la société; c’est problématique.»
Une fois ce constat sociétal établi, il observe que le phénomène s’étend jusque dans de nombreuses familles, qui n’abordent jamais le sujet de l’argent. «Je suis stupéfait de constater qu’il y a des parents qui ont des dizaines de millions d’euros, qui organisent des vacances extraordinaires pour leurs enfants et qui, pour leur part, ne connaissent pas le coût de ces dernières. Ces enfants voient de belles maisons, de belles voitures, mais ils n’ont aucune idée de l’étendue du patrimoine familial.»
Pourtant, selon lui, les adolescents sont tout à fait capables de comprendre. Ainsi, inviter les enfants à des réunions patrimoniales ne semble pas saugrenu aux yeux de l’éducateur financier. En revanche, il explique que simplement inclure les enfants dans les discussions n’est pas suffisant. Il faut ensuite désigner la ou les personnes qui vont prendre les décisions. «Est-ce que ce sera toujours le père, comme c’est souvent le cas, ou y aura-t-il un partage des décisions?» Ensuite se pose la question de la distribution des revenus du patrimoine. «Les revenus iront-ils toujours aux parents ou aussi aux enfants?»
Enfin intervient la question de la transmission du patrimoine. À ce stade, une méfiance à l’égard de la génération la plus jeune peut émerger, les parents craignant que leurs enfants dilapident le fruit de leurs longues années de travail. Tous ces aspects sont régulièrement difficiles à aborder ouvertement au sein des familles. «L’argent est souvent un excellent révélateur qui met l’accent, non pas sur le nombre de zéros à partager, mais sur une situation émotionnelle vécue dans le passé.» À cet égard, le formateur met en évidence le risque que des souvenirs douloureux ou des sentiments non résolus refassent surface.
Incarner l’exemple
Dans son entourage, Grégory Guilmin constate différentes réactions lorsqu’il intervient publiquement sur les questions d’argent, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans les médias. La majorité le félicite de sa détermination à s’attaquer à des enjeux aussi sensibles que l’éducation financière et apprécie de le voir ainsi épanoui.
Néanmoins, tout le monde ne partage pas cette vision. Certains émettent des doutes concernant son statut. «Quand j’avais mon poste de managing director dans un family office avec un salaire confortable, beaucoup de gens m’octroyaient de la valeur grâce à mon travail. Puis, quand je suis devenu indépendant, certains ont eu l’impression que ma valeur avait diminué.» D’autres ne comprennent pas la nature et la substance de son travail. «Il y a ceux qui ne saisissent pas que je passe six à huit heures par semaine à rédiger ma newsletter, ni pourquoi 4.500 personnes la reçoivent. Ils ont du mal à imaginer que je forme des gens depuis mon bureau à la maison et que je n’ai pas nécessairement besoin de me déplacer.»
Malgré tout, l’entrepreneur dans le domaine de l’éducation financière ne se laisse pas atteindre par les doutes et les critiques. Il s’en distancie: «Je ne suis pas responsable des émotions des autres. Si quelqu’un se sent mal à l’aise avec mon discours, c’est probablement parce qu’il y a quelque chose en lui qui n’est pas en accord avec mon message.»
Intégrer l’émotionnel au rationnel
En matière de finance, les aspects humains sont omniprésents. C’est pour cette raison que Grégory Guilmin s’efforce de concilier la finance et les émotions. Pour ce faire, il collabore avec des family offices, des banquiers et d’autres professionnels œuvrant dans la gestion de patrimoine, tels que des notaires ou des avocats. «Eux aussi sont confrontés à des défis lorsqu’ils doivent parler d’argent avec leurs clients.» Il aspire à les aider à traiter plus librement les émotions de leurs clients, afin de prévenir toute tension familiale.
Dans cet objectif, il ambitionne d’organiser des conférences pour les clients de ces professionnels. Le format de ces sessions, d’une durée maximale de deux heures, repose sur l’interactivité, grâce à des questions ouvertes. «Parlait-on d’argent dans votre famille? Pourquoi? Quels adjectifs y étaient associés?»
Les séances de conférence sont également agrémentées d’ateliers. Par exemple, un participant peut explorer sa relation à l’argent à chaque étape de sa vie, de son enfance à sa vie d’adulte, en passant par l’adolescence. «Je souligne le fait que nous avons tous une relation à l’argent et qu’il est important d’y prêter attention.»
Les premières offres de service ont été lancées fin 2022; aucune n’a encore été acceptée à ce jour… Malgré cela, l’architecte de cette idée reste convaincu que les professionnels de la gestion de patrimoine auraient tout à gagner à s’intéresser à ces questions. Selon lui, ils abordent souvent les problèmes émotionnels de leurs clients sous un angle rationnel. «Les gestionnaires de patrimoine sont bien outillés d’un point de vue rationnel en matière de fiscalité, de gestion de fortune, de comptabilité, mais ils sont généralement peu préparés pour gérer les aspects émotionnels du patrimoine.»
En effet, derrière chaque patrimoine se cache une histoire familiale. «Prenons l’exemple d’une famille qui part de rien et qui construit une entreprise valant 100 millions d’euros. Pour le patriarche familial, le patrimoine représente toute sa vie. Si vous lui retirez son patrimoine, c’est comme si vous lui enleviez toute sa vie. Son patrimoine lui permet de vivre financièrement, mais, surtout, il lui apporte une reconnaissance sociale. Il lui permet de réaliser des projets.» Un gestionnaire de patrimoine qui ne comprend pas ces aspects émotionnels risque de provoquer des tensions familiales lors des discussions sur la transmission du patrimoine. C’est un point essentiel sur lequel Grégory Guilmin met l’accent.
La multiplication des canaux
Par contre, les implications émotionnelles de l’argent ne se limitent pas aux seules affaires familiales. C’est une réalité quotidienne pour chaque investisseur, indépendamment de la taille de son portefeuille. Au cours de notre discussion, Grégory Guilmin fait d’ailleurs référence à un incident récent: «Ce matin, j’ai reçu un appel d’une personne qui a perdu plusieurs milliers d’euros dans une escroquerie.» Il a donc conseillé à l’individu de rapporter l’incident aux autorités régulatrices et de porter plainte à la police. «Je vais parler de cela dans ma newsletter pour expliquer le modus operandi des escrocs et donner des conseils pour éviter de tomber dans de pareils pièges.»
Après avoir écrit un livre, développé des formations en ligne, établi des programmes d’accompagnement personnalisé, organisé des conférences et lancé sa newsletter, Grégory Guilmin sentait qu’il pouvait toucher davantage de monde. C’est ainsi qu’en avril 2023, il a fait son entrée dans le monde des youtubeurs avec sa propre chaîne, proposant des vidéos éditoriales enregistrées depuis son bureau à domicile et montées de manière professionnelle. «Dans les 12 prochains mois, mon objectif est de rester constant sur YouTube, avec une vidéo toutes les deux semaines.»
Sa vocation est de partager son expertise financière avec le public le plus large possible. C’est une vocation, certes, mais aussi une traversée du désert. Les partenariats avec des professionnels de la gestion de patrimoine et des médias à grande audience se font toujours attendre. Pour le moment, il poursuit, seul, son pèlerinage à travers une multitude de canaux de diffusion. Le succès est toutefois déjà au rendez-vous: «Je constate que plus de 50% des personnes qui reçoivent ma newsletter la lisent attentivement et l’attendent avec impatience chaque mardi matin à 8h. Elles commencent leur journée en la lisant pendant 10 à 15 minutes.» Parfois qualifié d’influenceur financier ancré dans ses convictions, il persévère.
Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de parue le 20 juin 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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