Face aux difficultés de recrutement des profils tech, Grégory Herbé préconise plus de transparence et de précision dans les descriptions de postes. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne) 

Face aux difficultés de recrutement des profils tech, Grégory Herbé préconise plus de transparence et de précision dans les descriptions de postes. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne) 

À la tête du cabinet de recrutement A-Player, spécialisé dans les profils tech, Grégory Herbé est directement confronté à la pénurie de talents qui sévit durablement, au Luxembourg comme ailleurs, et ouvre quelques pistes de réflexion pour améliorer la situation.

Voici déjà quelques années que l’on parle régulièrement de pénurie de talents dans les TIC, tant au Luxembourg qu’ailleurs. En tant que recruteur spécialisé, quel regard portez-vous sur cette problématique et son évolution?

Grégory Herbé. – «Aujourd’hui, le marché de l’emploi dans les domaines technologiques est similaire à celui que l’on connaît depuis plusieurs années. La situation est tendue. Les employeurs sont très demandeurs et il est vraiment très compliqué de trouver des développeurs, des chefs de projet, des directeurs techniques, etc. La seule différence, assez récente, réside dans la disponibilité de profils issus des Gafam, voire de sociétés de même taille qui sont un peu moins sous les projecteurs. Certaines de ces personnes se retrouvent dans des programmes de licenciement, d’autres anticipent et sont désormais à l’écoute du marché. Elles ont vécu 10 ou 15 ans d’enchantement, avec des salaires mirobolants, des stock-options qui prenaient de la valeur. Et puis, d’un coup, la guerre en Ukraine a tout chamboulé. Les marchés ont plongé et les sociétés de la tech ont suivi le mouvement. Cette nouvelle tendance ne vient ­toutefois pas changer la physionomie fondamentale du marché. Ces ­nouveaux candidats potentiels sont horriblement chers et impossibles à embaucher pour la plupart des entreprises. Du moins pour le moment.

Dans ce contexte difficile, comment faut-il s’y prendre pour recruter?

«Aujourd’hui, pour recruter des profils techniques, il faut de l’huile de coude et beaucoup de temps. Pour vous donner un ordre d’idées, pour recruter un développeur senior, il faut contacter entre 200 et 300 personnes et espérer 10% de retour. Sur ces 20 ou 30 personnes qui vont prendre la peine de répondre, 95% vont ensuite décliner pour diverses ­raisons: “Non, ça ne m’intéresse pas”, “Non, j’ai changé de techno”, ou tout simplement “Comment avez-vous obtenu mon adresse e-mail?”. Il reste finalement entre deux et trois personnes, qui ont des salaires et des desiderata importants, des gens qui vous mettent en concurrence de façon tout à fait transparente, et qui vous annoncent 15 jours plus tard qu’ils ont choisi autre chose… Cette phase de recrutement peut être plus simple si on fait appel à un professionnel, mais la patience est toujours de mise. Au niveau des développeurs, le fait d’intégrer leur réseau n’est pas très utile, mais il existe toutefois des méthodes assez simples pour leur parler.

Les masters et doctorats sont les diplômes les plus recherchés.  (Visuel: Maison Moderne)

Les masters et doctorats sont les diplômes les plus recherchés.  (Visuel: Maison Moderne)

Quelles sont ces méthodes?

«Il faut être extrêmement clair sur les technologies utilisées, maîtriser soi-même le sujet – c’est-à-dire savoir à quoi ça sert – et être pertinent sur le ciblage des personnes. Un problème récurrent dans le recrutement IT est que l’on contacte toutes les personnes qui ont un titre de développeur. Or, il existe de nombreux types de développeurs, spécialisés dans des technologies différentes, et ils n’aiment pas trop être confondus. Il faut ensuite livrer une information directement utilisable, avec une définition des missions, le montant du salaire, qui sera leur manager, qui seront leurs collègues, avec un lien vers leur profil LinkedIn, s’ils auront ou non la possibilité de travailler à distance, combien de jours… En résumé, il est utile de construire une fiche de poste très détaillée. Grâce à cela, on obtient plus facilement une réponse; même si c’est un refus, ils y voient une plus grande marque de respect.

En amont, faut-il aussi opérer un travail de sensibilisation avec les entreprises, leur apprendre à être plus attractives?

«Sur ce point, beaucoup de choses ont déjà été réalisées. On peut sans doute encore faire mieux. Par exemple, dans certains États américains, il y a une obligation légale d’inscrire la rémunération dans les offres d’emploi. Nous pouvons sans aucun doute éduquer les entreprises à devenir plus transparentes au niveau des salaires, à arrêter de retenir l’information, mais bien à en donner davantage. Sur le branding, tout a déjà été fait ou presque. Soit on est une société technologique et, dans ce cas-là, les développeurs présents font indirectement la pub de la boîte auprès de leur communauté, soit on n’est pas une société reconnue comme technologique, et ça ne sert à rien d’essayer de se déguiser.

Qu’en est-il des aspects liés à la formation?

«Il y a certainement un point que les entreprises doivent prendre en considération, c’est celui de la formation interne. Beaucoup de gens se sont formés en tant que développeurs durant la crise du Covid. Aujourd’hui, ces développeurs juniors disposent d’un à trois ans d’expérience. Une piste est sans doute d’investir dans ces personnes. Peut-être ne seront-elles pas immédiatement opérationnelles, mais après une bonne formation en interne, elles auront une valeur et pourront faire le job voulu. Quoi qu’il en soit, l’entreprise aurait mis un an pour trouver le bon profil. On arrive donc au même résultat.

En tant qu’expatrié français, quel est votre regard sur l’attractivité de l’écosystème technologique luxembourgeois?

«Il y a une habitude au Luxembourg à aller chercher des talents à l’extérieur des frontières. Et ce que je remarque, c’est que le pays attire moins qu’auparavant. Le logement est un problème. Mais il y a d’autres freins. Si le salaire minimum est par exemple plus élevé qu’à Paris, l’écart se réduit pour des postes plus expérimentés. Cela dit, le Luxembourg dispose de nombreux atouts. Certaines start-up connaissent un beau succès, mais il faut encore construire ce grand ensemble où les porteurs de projet viennent au Luxem­bourg, s’y installent, investissent et créent une véritable dynamique ­positive. De mon point de vue, c’est encore trop compliqué de créer sa boîte au Luxembourg. En France, il faut 20 minutes pour le faire. Ici, il faut d’abord obtenir une autorisation d’établissement, présenter un diplôme sans lequel vous ne pourrez rien faire, etc. Vous croyez que Xavier Niel ou Richard Branson ont des diplômes? Cette vision est un héritage des années 80, qui veut que si l’on a un diplôme, on est qualifié… C’est faux. Le potentiel est là, mais il faut encore simplifier les choses pour créer un écosystème complet plus favorable à l’entrepreneuriat.»

Cet article a été rédigé pour le supplément  de l’édition de  parue le 20 juin 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

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