Un afflux de nouveaux usagers semble incertain aux yeux des professionnels des transports publics. Mais s’il se produisait, il viendrait perturber un trafic déjà saturé aux heures de pointe. (Photo: Paperjam/archives)

Un afflux de nouveaux usagers semble incertain aux yeux des professionnels des transports publics. Mais s’il se produisait, il viendrait perturber un trafic déjà saturé aux heures de pointe. (Photo: Paperjam/archives)

Si aucun emploi ne sera sacrifié sur l’autel de la gratuité des transports publics, les agents des CFL comme les chauffeurs de bus RGTR craignent des effets indésirables.

Il ne coûtera rien aux usagers de monter dans un train, un bus ou un tram à compter de dimanche. Toutefois, la gratuité ne doit pas marquer une dégradation du service des transports publics. «Au-delà de la gratuité, les clients bénéficieront d’un accueil encore meilleur dès le 1er mars 2020», assurait François Bausch, ministre de la Mobilité et des Travaux publics . «L’objectif est de mettre le client au centre.»

Les personnels d’accompagnement des trains – en clair, les contrôleurs – continueront donc d’officier à bord des rames CFL. «Nos chefs de surveillance à quai et nos contrôleurs seront équipés de moyens digitaux qui leur permettront d’être plus proactifs pour les clients», indique Alessandra Nonnweiler, directrice de la communication des CFL. Le déploiement des tablettes affichant en temps réel les connexions et les éventuelles perturbations est bien avancé.

Le personnel d’accompagnement du train ne disposera plus du moyen de pression qu’était le billet pour faire sortir une personne qui perturbe le bon déroulement du trajet.

Mylène BianchyprésidenteSyprolux

Ces agents s’inquiètent toutefois pour leur sécurité, rapportent les syndicats. «Le personnel d’accompagnement du train ne disposera plus du moyen de pression qu’était le billet pour faire sortir une personne qui perturbe le bon déroulement du trajet», souligne Mylène Bianchy, présidente du syndicat chrétien Syprolux. «Il faudra adapter la loi de 2019 sur la sécurité dans les transports publics, mais nous attendons toujours les textes», soupire-t-elle. Les incidents sur le terrain remontent systématiquement auprès du comité de sécurité dans les transports publics installé par le ministère de la Mobilité.

«Les bus de la Ville de Luxembourg et du réseau TICE en disposent, les nouveaux bus RGTR aussi, mais pas les plus anciens», déplore Paul Glouchitski, secrétaire syndical adjoint du LCGB chargé de la coordination en matière de transports. «Les chauffeurs craignent pour leur sécurité.» Sachant que les caméras ne sont en réalité qu’une mesure «dissuasive», souligne Georges Merenz, président de la Fédération nationale des cheminots, travailleurs du transport, fonctionnaires et employés luxembourgeois (FNCTTFEL ou Landesverband). Les CFL considèrent de leur côté qu’une recrudescence de troubles causés par des sans-abri ou des marginaux n’est pas certaine, partant du principe qu’ils peuvent déjà monter à bord des trains.

La fermeture des guichets dans les petites gares – qui aurait eu lieu sans la gratuité, changement des habitudes d’achat oblige – a aussi marqué les agents. Certes, les 16 guichetiers concernés ont été reclassés après formation, notamment au sein du centre d’appels amené à être fusionné avec la ligne des renseignements internationaux. Restent des «gares fantômes», fustige M. Merenz, vides et aussi plus exposées aux actes de vandalisme. «Ces actes ont augmenté dans les gares qui ont déjà été fermées», signale Mme Bianchy, citant Trois-Vierges et Kleinbettingen.

Les CFL ont commandé de nouvelles rames, mais les premières ne seront livrées qu’en 2022. Il aurait mieux valu attendre cette date [pour instaurer la gratuité].

Georges MerenzprésidentLandesverband

Histoire de maintenir une présence dans certaines gares, les syndicats ont obtenu du ministère de la Mobilité le lancement prochain de deux projets pilotes. «Le premier concerne Ettelbruck où les CFL construisent une nouvelle gare et un poste directeur», explique Mme Bianchy. «Il n’y aura plus de guichet classique derrière une vitre, mais un agent d’accueil qui se trouvera en majeure partie sur les quais pour accueillir les usagers. Il disposera aussi d’un open space à l’intérieur de la gare pour donner des informations plus détaillées, mais ne délivrera plus de billets.» Bettembourg est la deuxième gare sur la liste, sachant que les syndicats souhaitent dans l’absolu qu’un tel accueil soit dispensé dans chaque pôle d’échange multimodal – Howald, Rodange et Trois-Vierges.

Un autre écueil se profile pour les usagers comme pour les contrôleurs à bord des trains: comment préserver la 1re classe, (75 euros par mois)? «Certains usagers vont s’offrir un abonnement en 1re classe pour être sûrs d’avoir une place», rappelle Mme Bianchy. «Mais si le train est déclassé en raison d’une affluence trop forte, ils devront partager les places avec des clients qui voyageront gratuitement et cela pourrait créer des tensions.» Le contrôleur pourrait également être amené à inviter des usagers à quitter la 1re classe et s’exposer à des comportements agressifs.

Les syndicats estiment encore que la gratuité – que personne ne désirait dans le milieu des transports, y compris le ministre de tutelle – intervient à un moment peu propice. «Nous sommes déjà à la limite de nos capacités pendant les heures de pointe», explique M. Merenz. «Que faire si 10% de voyageurs en plus veulent monter à bord? Les CFL ont commandé de nouvelles rames, mais les premières ne seront livrées qu’en 2022. Il aurait mieux valu attendre cette date» pour instaurer la gratuité. Ou au moins l’extension du tram jusqu’à la gare de Luxembourg.

Nous n’attendons pas une forte croissance du trafic puisque les prix des abonnements sont déjà suffisamment bon marché et nos capacités limitées aux heures de pointe.

Alessandra Nonnweilerporte-paroleCFL

«En outre, de grands chantiers et des fermetures de lignes vont encore intervenir sur la ligne du nord et aussi vers Bettembourg», ajoute Mme Bianchy. Les perturbations risquent de désespérer les 1re classe plus que les autres puisque tous les usagers bénéficieront du même service de substitution par bus.

Information des clients, développement de la digitalisation, gestion du trafic en cas de problèmes de ponctualité… «Cela génère beaucoup de pression pour les personnels en première ligne face aux clients», poursuit-elle. En particulier pour ceux à bord des trains transfrontaliers vers la France, déjà bondés aux heures de pointe et encore plus depuis janvier et la réduction des rames pouvant traverser la frontière.

De fait, l’affluence accrue d’usagers n’est pas certaine. D’ailleurs, le plan de développement du parc roulant des CFL repose sur les projections issues de la démographie du pays et de l’évolution du nombre de passagers ces dernières années – 5 à 7% par an, et plus de 7% . La création de de Luxembourg  et l’extension du quai 10, l’aménagement d’une deuxième voie entre Sandweiler et Contern ainsi qu’entre Luxembourg et Bettembourg «vont faire en sorte que nous pourrons mieux faire face à la situation», assure Mme Nonnweiler. «Nous n’attendons pas une forte croissance du trafic puisque les prix des abonnements sont déjà suffisamment bon marché et nos capacités limitées aux heures de pointe. Mais nous nous attendons à ce que durant d’autres périodes et pour les loisirs, les gens sautent plus facilement dans le train et le bus pour se déplacer.»