Retour à la normale? Après une séquence de fortes secousses entre 2019 et 2023, le secteur européen de la grande distribution alimentaire semble avoir trouvé un point d’équilibre en 2024, avec une croissance globale de 2,4%, à en croire le rapport «The State of Grocery Retail 2025», produit par le cabinet de conseil McKinsey & Company et EuroCommerce, la principale organisation européenne représentant le secteur de la vente au détail et en gros.
Une performance modeste, mais significative: pour la première fois depuis la pandémie planétaire de 2020, les ventes progressent en volume et en valeur réelle, malgré une inflation toujours présente, et bien présente (2,3%).
Cette dynamique masque toutefois des disparités nationales et un marché encore en convalescence, car les ventes ajustées de l’inflation (ou ventes en valeur réelle) restent inférieures de 4,1% à leur niveau de 2019, avant le Covid. En France, pour situer, la croissance des volumes reste négative (-6,2%), tandis que des marchés comme la Pologne (+4,6%) ou l’Allemagne (+0,8%) enregistrent un léger rebond.
MDD: la percée se confirme
Les marques de distributeurs (MDD) et les discounters poursuivent leur progression… quoique à un rythme ralenti par rapport à 2023. Les MDD représentent désormais près de 40% des ventes alimentaires sur le continent, et les discounters captent 23,2% du marché.
Ceux qui dominent affichent des stratégies claires: forte présence des MDD (jusqu’à 90% du chiffre d’affaires chez certaines enseignes), expérience client soignée, qualité des produits frais et politique de prix dynamique, sinon agressive. Ces enseignes ont dégagé deux fois plus de croissance des ventes et cinq fois plus de productivité que leurs concurrents entre 2019 et 2023, souligne l’étude.
Adaptation aux nouveaux comportements
Les dirigeants du secteur abordent 2025 avec un optimisme mesuré, mais en amélioration: 55% d’entre eux anticipent une stabilité de l’activité, contre 39% un an plus tôt. Cependant les défis persistent. La pression sur les marges, (soit leur tendance à se tourner vers des produits moins coûteux, en réponse à une chute du pouvoir d’achat ou par souci de faire des économies) et la nécessité de renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement restent des priorités.
La transformation digitale, elle, s’accélère: les leaders technologiques du secteur enregistrent des performances boursières jusqu’à 2,9 fois supérieures à leurs pairs. Par ailleurs, le «retail media» (soit la publicité intégrée dans les écosystèmes de vente) s’impose comme un relais de croissance, avec un taux de croissance annuel composé (TCAC) attendu de 20% d’ici 2030, esquisse l’enquête.
Santé, praticité… mais recul de la durabilité
Évolution des mœurs, les consommateurs européens – et plus encore la génération Z – affichent une préférence grandissante pour des produits sains, frais et pratiques. Les plats préparés et à emporter explosent, tout comme la demande en produits à forte valeur nutritionnelle.
À l’inverse, la durabilité marque le pas, avec un net recul de l’intention d’achat de produits respectueux de l’environnement (-3 points par rapport à 2024), sauf chez les plus jeunes là encore.
Quid du Luxembourg?
Si le rapport ne détaille pas spécifiquement le marché luxembourgeois, les grandes tendances identifiées – progression des MDD, recherche de qualité au bon prix, pression sur les marges, digitalisation – résonnent avec la stratégie des acteurs implantés dans le pays. La montée en puissance des discounters , l’adoption croissante de l’e-commerce alimentaire et la hausse de la demande en produits frais locaux laissent entrevoir des pistes à creuser pour les enseignes souhaitant tirer leur épingle du jeu dans la Grande Région.
Le «sain», un levier de croissance
La transition vers une alimentation plus saine s’impose comme une tendance de fond aux implications économiques majeures pour les industriels, distributeurs et investisseurs, souligne le rapport.
Portée par une demande croissante en produits frais, fonctionnels et peu (ou pas) transformés, cette évolution des comportements de consommation redéfinit les priorités du secteur agroalimentaire en Europe.
Les produits dits «fonctionnels» – enrichis en nutriments ou en composés bénéfiques pour la santé – et les aliments «propres» – c’est-à-dire exempts d’additifs artificiels et majoritairement naturels – gagnent du terrain. La progression de l’intention d’achat d’aliments frais de haute qualité depuis 2024 (+2 points) en témoigne, tout comme la forte appétence des jeunes générations pour ces produits.
La génération Z, en particulier, cristallise cette transformation: elle affiche la plus forte intention nette de manger plus sainement, avec une hausse de sept points en un an. Un tiers de ses membres se disent prêts à payer un prix premium pour des produits plus sains.
Mais l’écart entre l’offre et la demande demeure un frein. À peine 35% des consommateurs interrogés dans le cadre de l’étude considèrent que leur enseigne de prédilection (l’hypermarché le plus proche de chez eux) propose un assortiment adapté à une alimentation saine. Cela révèle un potentiel de différenciation significatif pour les distributeurs capables d’ajuster rapidement leur stratégie produit, en déduit le document.
Ce tournant représente un relais de croissance à ne pas négliger. Il appelle à repenser la chaîne de valeur agroalimentaire, depuis la R&D jusqu’au marketing, en intégrant les attentes générationnelles, la transparence sur les ingrédients et une politique tarifaire soutenable. Le cap est fixé.