Six tendances clés qui vont transformer le secteur de la banque privée d’après une étude de Deloitte. (Illustration: Marielle Voisin)

Six tendances clés qui vont transformer le secteur de la banque privée d’après une étude de Deloitte. (Illustration: Marielle Voisin)

La crise du Covid-19 a accéléré les changements réglementaires, sociaux et digitaux auxquels les gestionnaires de fortune font face depuis plusieurs années. L’étude Wealth and Asset Mana­gement 4.0, commanditée par Deloitte, met en lumière les tendances qui devraient profondément transformer le secteur dans les années à venir.

Tendance n°1: Le passage au numérique

Pour tenter d’identifier comment les interactions entre les investisseurs et les gestionnaires d’actifs ont évolué durant cette crise, Deloitte a commandité une étude menée auprès de 500 professionnels et 2.350 investisseurs répartis pour 30% en Europe, 39% en Amérique du Nord et 31% en région Asie-Pacifique. Parmi ces répondants, on compte 40% de baby-boomers (nés entre 1946 et 1965), 30% d’investisseurs de la génération X (nés entre 1965 et 1980), 26% de millennials (nés entre 1980 et 2000) et 4% de la génération Z (nés à partir de l’an 2000).

La première tendance clé est la transformation numérique. 40% des investisseurs qui ont participé à l’enquête affirment ainsi que l’accès au digital est devenu une priorité. Un avis partagé par les gestionnaires qui prévoient, pour 75% d’entre eux, que leurs interactions avec les investisseurs seront digitales dans les deux prochaines années. «Cela fait quelques années maintenant que l’on s’aperçoit de l’importance de la transformation numérique, mais cette crise a accéléré cette prise de conscience. Aujourd’hui, le digital est devenu une nécessité absolue pour assurer une continuité des services et de la communication avec le client», explique , partner et banking leader au sein du cabinet Deloitte.

En outre, près de 9 investisseurs sur 10 estiment que les applications mobiles seront leur canal préféré dans le futur. Et, contrairement aux idées reçues, cet appétit pour le smartphone n’est pas réservé aux jeunes générations. En effet, 89% des baby-boomers affirment que le mobile sera leur canal préféré dans deux ans. «Peut-être que les applications et les ­services utilisés seront différents, mais tous les clients voudront réaliser la plupart de leurs activités bancaires depuis le creux de leur main», assure le partner de Deloitte.

Si l’intérêt porté au digital est grandissant, le relationnel revêt toujours toute son importance dans le secteur de la banque privée, et notamment dans le chef des millennials. L’étude montre en effet que 34% des 22-42 ans interagissent avec leurs prestataires de services patrimoniaux par le biais de réunions en face à face et que 46% préfèrent même ce mode de communication pour le futur. «Cela démontre que, si le digital est devenu une nécessité absolue, il n’est pas toujours suffisant. Lorsqu’on réalise des opérations bancaires simples, le digital fait très bien le job. Par contre, lorsqu’il s’agit de tâches plus complexes, comme une transition de société, des conseils d’investissement ou une préparation à la retraite – des opérations courantes en banque privée –, on remarque que l’humain occupe une place prépondérante au sein de cette relation. Et particulièrement depuis la crise sanitaire, où on a noté un véritable basculement vers le conseil à forte valeur ajoutée, développe Pascal Martino. On se demandait, il y a quelques années, si on allait avoir des business models basés uniquement sur du digital. Aujourd’hui, dans le monde de la banque privée, la réponse est non: l’être humain reste au centre de la relation de confiance entre un client et son gestionnaire de patrimoine.»

Tendance n°2: rappeler la valeur ajoutée

L’augmentation croissante des exigences du régulateur a un impact considérable sur les banques privées. La principale étant qu’elles voient leurs marges compressées. «L’augmentation de la réglementation représente un coût certain pour le secteur bancaire. Mais la marge vient aussi de ce que la banque peut facturer au client», précise Pascal Martino. Dans ce contexte, l’étude montre que près de quatre investisseurs sur 10 se disent satisfaits des frais facturés par leurs fournisseurs de gestion patrimoniale et de la manière dont ils les facturent. «Cela signifie donc que six investisseurs sur 10 ne sont pas satisfaits des frais qui leur sont facturés par leur gestionnaire. Soit ils ne comprennent pas comment sont facturés les services, soit ils trouvent les frais trop élevés et demandent une plus grande transparence de la part de leur conseiller. Ce sentiment d’insatisfaction ajoute une pression supplémentaire sur la marge des professionnels, qui font déjà face à une hausse des coûts. On assiste ­ainsi à un effet ‘ciseaux’ qui peut être dangereux pour le secteur de la banque privée et des gestionnaires de fortune.» Dans ce contexte où les clients ­n’hésitent plus à challenger leur gestionnaire en matière de tarification, tout l’enjeu pour les profes­sionnels du secteur est de réaffirmer leur proposition de valeur. «En rappelant au client leur valeur ajoutée, les banques pourront ainsi justifier leurs prix», explique Pascal Martino.

Tendance n°3: la recherche de sens

L’autre grosse tendance qui a été exacerbée par cette crise sanitaire, c’est le besoin, pour les investisseurs, de trouver du sens à leurs investissements. Selon l’étude de Deloitte, 34% des investisseurs chercheront des conseils en matière d’investissement ESG au cours des deux prochaines années. Les prestataires de services de gestion de patrimoine reconnaissent eux aussi l’importance croissante de l’investissement durable pour leurs clients. «Beaucoup de nos fondamentaux ont été remis en cause avec cette pandémie. Cela a engendré en chacun de nous une sérieuse remise en question en matière de quête de sens et de ‘why’. La crise a accentué ce besoin de trouver du sens à nos investissements, et on s’attend à une accélération encore plus forte de l’intérêt pour les investissements durables dans les prochaines années», assure Pascal Martino.

Cet appétit grandissant pour l’investissement durable va évidemment engendrer toute une série de défis pour l’industrie des gestionnaires d’actifs. «Le premier challenge sera de savoir si les produits estampillés ESG sont réellement responsables. La taxonomie devrait permettre de répondre à cet enjeu. Le second défi sera d’éduquer les clients, mais aussi les banquiers, à la problématique de l’ESG. Enfin, il faudra aussi pouvoir mesurer l’impact réel qu’ont ces investissements dits ESG sur notre société. Bref, cela nécessite une transformation assez fondamentale de l’ensemble des fonctions d’une banque», explique le partner.

Si le digital est devenu une nécessité absolue, l’humain reste au centre de la relation de confiance entre un client et son gestionnaire.

Pascal Martinobanking leaderDeloitte

35% des professionnels du secteur pensent que leurs clients voudront bien accepter un rendement moindre pour un investissement ESG. «On se rend compte que, dans le chef des investisseurs, la quête d’un meilleur rendement reste leur priorité numéro un et qu’ils ne sont pas forcément prêts à sacrifier une partie de leur return pour un investissement durable. Il y a donc un décalage de ce côté-là», pointe Pascal Martino.

L’étude de Deloitte démontre également que l’investissement ESG n’est pas l’apanage des jeunes générations. Au contraire, si l’on en croit les chiffres récoltés, 32% des baby-­boomers prévoient d’investir dans des fonds ESG, contre «seulement» 22% des millennials. «C’est la preuve que ces considérations responsables sont intergénérationnelles et touchent tout le monde, contrairement aux idées reçues. Et on ne peut évidemment que s’en réjouir», conclut Pascal Martino.

Tendance n°4: des normes plus strictes

Depuis la crise financière de 2008, le secteur bancaire est soumis à une réglementation de plus en plus dense et stricte. Aucune place financière mondiale n’échappe à cette vague réglementaire visant à protéger les investisseurs et à apporter davantage de transparence à l’industrie. «On s’attend par ailleurs à une accélération de ces réglementations à travers le monde», rappelle Pascal Martino.

Selon l’étude de Deloitte, ce sont le Japon, le Canada, le Benelux, l’Australie, les États-Unis et la France qui seront soumis au plus grand nombre de nouvelles réglementations à court et moyen terme. 55% des acteurs du secteur bancaire interrogés s’attendent à ce que la majorité des réglementations à venir concernent la protection des données, 50% la cybersécurité et 40% des réformes qui ont trait au secteur des fintech. Viennent ensuite la protection des investisseurs (36%), la lutte contre la corruption (33%), la gestion des risques (33%), et les réglementations liées à la lutte contre le blanchiment et l’identification des clients (32%). «Le défi, pour les banques, est de pouvoir s’adapter à ces différentes réglementations. On le répète souvent, mais il est important, pour le secteur, de voir ces différentes réformes comme des opportunités et non des contraintes. C’est la clé pour se différencier par rapport à la concurrence», souligne le partner de Deloitte.

Tendance n°5: la diversification

Depuis quelques années, les investisseurs sont à la recherche d’une plus grande diversification en matière de produits bancaires et de services. Ainsi, à la question de savoir dans quel type de produits ils allaient investir dans les deux années à venir, 67% des investisseurs ont répondu qu’ils prévoyaient de placer une plus grande partie de leurs avoirs dans des actifs alternatifs tels que les fonds spéculatifs et les fonds de capital-investissement. Arrivent ensuite les introductions en bourse (49%) et les investissements exonérés d’impôt (47%). L’immobilier arrive en septième position avec 34%, et les fonds ESG en neuvième position (27%). «Les actifs alternatifs ont été très performants au cours des dernières années. Ce n’est donc pas vraiment une surprise de voir les clients investir ce marché en masse», explique Pascal Martino.

Le sujet à la mode, c’est évidemment celui des cryptoactifs. Mais, selon l’étude Wealth and Asset Management 4.0, peu d’investisseurs envisagent de s’engager sur ce terrain dans les deux prochaines années. «Il y a encore une certaine méfiance vis-à-vis des cryp­to­monnaies, de par la connaissance encore très pauvre que l’on a du sujet. Il y a quelques années, ce sentiment de méfiance était le même pour les classes d’actifs alternatifs… Je pense qu’on assiste à la même vague avec ces cryptos», souligne Pascal Martino.

Tendance n°6: le changement de conseiller

Dans un environnement de plus en plus concurrentiel, les banques privées doivent prendre en compte une donnée supplémentaire: désormais, les clients n’hésitent plus à changer de prestataire pour obtenir ce qu’ils souhaitent réellement. L’année dernière, un tiers des investisseurs ont transféré plus de 20% de leurs fonds vers un autre prestataire. Au cours des deux prochaines années, 44% prévoient de le faire. La principale raison invoquée à ce changement est la recherche d’un meilleur rendement (55%). «On ne s’attendait pas à observer une telle volatilité des clients. Mais cela signifie que les acteurs qui travailleront bien auront la capacité d’attirer de nouveaux clients, ce qui est plutôt un point positif», explique Pascal Martino.

Cette volatilité illustre aussi la mutation profonde à laquelle fait face le secteur depuis quelques années. «Les mentalités ont évolué: les clients sont de plus en plus exigeants et, contrairement à la situation qu’on connaissait il y a quelques années, où ils faisaient preuve d’une ‘loyauté’ sans faille, aujourd’hui, ils n’hésitent plus à transférer leurs avoirs auprès d’un meilleur partenaire bancaire. C’est un vrai signal d’alerte pour nos clients», souligne Pascal ­Martino, qui pointe également le fait que plus de six investisseurs sur 10 sont enclins à suivre leur ­conseiller dans une autre société. «Au-delà d’attirer de nouveaux clients et de les conserver, l’enjeu pour les banques privées est donc aussi de parvenir à garder leurs collaborateurs…»

Cet article a été rédigé pour  paru le 30 mars 2022 avec  Le contenu du supplément est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.

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