Frédéric Bondoux, président Europe de Grand Seiko, dans le magasin Les Ambassadeurs à Luxembourg. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Frédéric Bondoux, président Europe de Grand Seiko, dans le magasin Les Ambassadeurs à Luxembourg. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

À l’occasion de la présentation des nouvelles collections de montres après le salon Watch & Wonders de Genève, dans la boutique Les Ambassadeurs, nous avons pu rencontrer Frédéric Bondoux, président de Grand Seiko Europe. Il nous parle de cette marque japonaise qui fabrique des montres haut de gamme.

Pouvez-vous nous expliquer la différence entre Seiko et Grand Seiko?

Frédéric Bondoux. – «Au départ, il y a la marque Seiko, qui a été créée en 1881. C’est un fabriquant d’horloges qui assemble aussi des mouvements. Cette entreprise a connu différentes évolutions, liées à l’activité économique japonaise et aux guerres. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la société évolue vers un réel manufacturier de montres. Elle dispose de deux sites de production et il y a une petite concurrence entre ces deux maisons pour avoir le plus beau produit, le plus précis, mais aussi le plus lisible. Et l’usine de Nagano va sortir une montre extraordinaire, qui va donner naissance à Grand Seiko en 1960. C’est un produit particulier en termes de fabrication et de process, car la montre est entièrement faite à la main. Elle est produite en quantité limitée, réservée au marché domestique, à l’élite locale. C’est la fierté de l’horlogerie japonaise dans ces années-là.

Comment la marque s’est-elle alors développée sur le marché international?

«La marque Grand Seiko reste au Japon pendant 50 ans, sans être exportée. Tout d’abord parce que la production est limitée. Par ailleurs, le prix des montres Grand Seiko est largement supérieur à celui de Seiko et la perception de la marque Seiko à l’extérieur du Japon reste un produit de qualité mais de volume, donc il y a une incompréhension du produit et de la marque Grand Seiko. Mais, dans les années 1990-2000, beaucoup d’amateurs de montres vont au Japon pour acheter ces montres Grand Seiko qui sont réputées pour leur qualité de fabrication, les finitions exceptionnelles, le polissage miroir d’une qualité rare.

On commence aussi à avoir des ventes vers l’export via des détaillants japonais qui utilisent les nouveaux supports digitaux et internet. Se pose alors la question de distribuer Grand Seiko en dehors du Japon. Un test est fait en 2010 avec des filiales internationales Seiko. Les premiers résultats sont mi-figue mi-raisin, car les produits Seiko et Grand Seiko n’ont pas du tout la même vocation. En 2017, les deux marques prennent officiellement leur indépendance et sont alors créées les premières filiales dédiées à la distribution internationale de Grand Seiko: les États-Unis en premier en 2018, puis l’Europe en 2020, Singapour et l’Asie Pacifique il y a un an, et la Chine depuis le 1er avril de cette année.

La Grand Seiko 62 GS. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

La Grand Seiko 62 GS. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Est-ce que le développement de ces filiales s’accompagne d’un développement de boutiques dédiées Grand Seiko?

«Tout à fait, et la première boutique à ouvrir est celle de la place Vendôme à Paris, le 7 juin 2020. On a aussi ouvert une boutique à Singapour il y a un an et demi et, il y a deux mois, un espace de 450 m2 sur Madison Avenue à New York. En 2022, c’est la première fois que les territoires en dehors du Japon ont réalisé plus de chiffre d’affaires que le marché domestique. Le Japon reste encore aujourd’hui de loin le premier territoire de Grand Seiko en termes de vente, mais suivi de près maintenant par les États-Unis et l’Europe, qui progressent fortement. Et à côté de ces boutiques dédiées, nous sommes présents dans des boutiques multimarques, comme Les Ambassadeurs à Luxembourg. Aujourd’hui, nous avons 110 points de vente dans 20 pays en Europe (hors Grande-Bretagne).

Quel est le profil de votre clientèle?

«Nous avons une clientèle relativement hétérogène, mais je peux vous dire que dans la boutique de la place Vendôme, nous vendons 50% de notre volume à des personnes de moins de 35 ans, qui sont soit des primo-accédants, soit possèdent déjà plusieurs modèles de maisons horlogères de qualité. Sur le marché américain c’est différent, car la marque est plus mature. Nous avons une clientèle plus âgée, autour de 45 ans. Et au Japon, c’est très large. La clientèle européenne est la clientèle la plus jeune. C’est aussi une question de génération. Pour les personnes qui ont aujourd’hui 50 ans et plus, Grand Seiko est lié à Seiko, parce qu’elles connaissent la marque Seiko depuis leur jeunesse. Ce n’est pas le cas de la nouvelle génération, qui fait beaucoup plus la différence entre Grand Seiko et Seiko. Pour la nouvelle génération, Grand Seiko est un rêve qui parfois devient réalité autour de 35 ans.

La Grand Seiko 44 GS. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

La Grand Seiko 44 GS. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Quel est votre positionnement de prix?

«Les premiers prix de Grand Seiko sont à 2.500 euros et nous allons jusqu’à 385.000 euros. Le ‘core range’ est entre 6.000 et 12.000 euros. Le prix moyen en Europe est à 8.000 euros.

Toute la fabrication reste-t-elle au Japon? 

«Tout est intégré chez Grand Seiko, de A à Z, que ce soit la recherche et développement, la fabrication, l’assemblage, le contrôle. Cela permet de contrôler la qualité de facto.

Qu’est-ce qui distingue une montre réalisée par une manufacture japonaise d’une montre réalisée par une manufacture suisse?

«En Suisse, l’écosystème est phénoménal, avec beaucoup de sous-traitants qui fournissent de nombreuses marques horlogères. C’est parfois un enjeu, car le contrôle de la fabrication, de la qualité et du calendrier est plus difficile. Pour Grand Seiko, c’est totalement différent puisque tout est intégré. Cela permet d’avoir une vision de fabrication plus structurée.

Comment se porte votre marché aujourd’hui? «La situation est un peu difficile, à cause notamment des conditions exogènes, la guerre en Ukraine, dans la bande de Gaza, les taux d’intérêt qui ont remonté…, mais aussi à cause des conditions endogènes. Certaines marques ont trop forcé sur les stocks et certaines maisons ont augmenté leurs prix de manière inconsidérée. Cela a pour conséquence qu’il y a trop de marchandise sur le marché, ce qui affecte la trésorerie des détaillants, car ils ne parviennent pas à faire suffisamment de ventes et on arrive à des situations financières compliquées.

Est-ce le cas de Grand Seiko? «Non, car nous sommes jeunes sur ce marché. Nous sommes en Europe depuis seulement quatre ans.

Quel est votre volume de production?

«Plusieurs milliers de pièces par an, et nous avons à peu près 80 références.

Votre catalogue est-il plutôt dédié à l’homme ou est-il mixte?

«90% de nos modèles sont dédiés à l’homme, ce qui n’empêche pas les femmes de les porter.

En 1967, un jeune designer a créé ce qu’on appelle la ‘grammaire du dessin’, avec la montre 44 GS qui compte neuf dessins particuliers qui sont déterminés comme étant les éléments caractéristiques d’une montre Grand Seiko.
Frédéric Bondoux

Frédéric BondouxprésidentGrand Seiko Europe

Quel est le positionnement de Grand Seiko par rapport à son catalogue vintage?

«Le design est intégré au sein de la fabrication. En 1967, un jeune designer a créé ce qu’on appelle la ‘grammaire du dessin’, avec la montre 44 GS qui compte neuf dessins particuliers qui sont déterminés comme étant les éléments caractéristiques d’une montre Grand Seiko. Cela a mené à une deuxième pièce qui est le 62 GS qui est automatique, avec une couronne à 4h et non plus à 3h, et ces codes de design restent encore aujourd’hui présents dans nos modèles. En plus de cela, nos designs sont très inspirés par la beauté de la nature au Japon. C’est pour cela que certains de nos cadrans sont des représentations de moments particuliers de cette nature et des saisons. Notre best-seller, la Snow Flake, évoque les premières neiges sur le mont Fuji. La Sakura évoque les cerisiers en fleurs.

Qui sont vos concurrents?

«Sans nommer de marques, toutes les marques qui ont des modèles entre 5.000 et 20.000 euros sont des concurrents.

Dans la tête de monsieur et madame tout le monde, la montre japonaise, c’est la montre à quartz, plutôt bon marché. Est-ce que vous ressentez que cela peut être un obstacle pour vous qui proposez une montre haut de gamme?

«Le quartz à la base est un mouvement très technique et pointu. Il a été très démocratisé avec la création de Swatch dans les années 1970, mais l’origine de ce mécanisme est beaucoup plus sophistiquée. Notre positionnement n’est pas du tout celui-ci. Nous faisons appel à des connaisseurs, qui ont une appétence pour l’horlogerie et la haute horlogerie. Par conséquent, nous n’avons pas à déconstruire ce type de préjugé sur la montre japonaise. Et vous savez, parmi les acheteurs de montre haut de gamme, il y a deux catégories: ceux qui ont besoin d’un relais social au poignet et ceux qui aiment les objets de qualité, les belles fabrications. Nos clients se situent plutôt dans cette dernière catégorie et ils ne regardent pas tant l’origine de la pièce que la qualité de la fabrication et sa finition. Et notre sémantique de fabrication est très différente de celle des montres suisses, ce qui joue en notre faveur.

Quelles sont vos ambitions de développement en Europe? «Notre réseau de distribution est désormais établi et solide. Le Luxembourg est un bon exemple. Nous travaillons avec Les Ambassadeurs depuis 2019 et sommes présents dans leurs deux points de vente, à la Cloche d’or et en centre-ville. Ce sont des espaces qualitatifs et l’expérience client est en ligne avec nos valeurs. À ce niveau-là, le développement est fait. Mais nous devons aussi progresser en chiffre d’affaires. Les Japonais sont très demandeurs sur ce point et nous avons des objectifs de progression à deux chiffres sur plusieurs années. La prochaine étape est donc de rendre Grand Seiko encore plus désirable et qu’elle devienne, pour la prochaine génération, une des cinq ou six marques qui fait rêver. Nous visons aussi des ouvertures de boutiques en Allemagne et en Italie.

Avez-vous des coups de cœur dans les nouveautés?

«J’en ai deux en fait, la Birch Bark avec son cadran qui rappelle l’écorce de bouleau, et un mécanisme fantastique qui offre une réserve de marche de 80 h, un cliquet façonné en forme de bergeronnette, oiseau emblématique de la vallée de Morioka où sont fabriquées les montres Grand Seiko, et un polissage miroir dit Zaratsu. Mon second coup de cœur appartient à la collection Evolution 9 et est un hommage au paysage des gorges de Genbi. C’est une série limitée à 1.000 exemplaires qui sortira cet été.»