«Il y a des interrogations récurrentes à ce sujet et on n’a pas beaucoup d’explications à offrir.» Directeur du Statec, est tombé sur un os: le faible taux de profit des entreprises luxembourgeoises (hors secteur financier).
Depuis des années, le Luxembourg apparaît à la traîne de l’Union européenne en matière de rentabilité, mesurée par le taux d’excédent brut d’exploitation (EBE) de l’économie marchande non financière. Avec un taux de 7,2%, le pays pointait à l’avant-dernière place du classement européen en 2020, selon les dernières statistiques d’Eurostat disponibles (ci-dessous). Juste devant la France (6,7%) et loin de la moyenne de l’UE (10,2%).
L’EBE désigne l’excédent généré par les activités d’exploitation des sociétés après rémunération de la main-d’œuvre. Concrètement, d’un revenu de 100 euros, il reste seulement 7,20 euros à l’entreprise luxembourgeoise «moyenne» (non financière) pour rémunérer ses créanciers, payer ses impôts et, le cas échéant, financer tout ou partie de ses investissements.
Faible, mais stable
Comment l’interpréter? Dans une note publiée en 2018 (disponible en fin d’article), le Statec s’en prend au thermomètre. «Le taux d’EBE (…) n’est pas une mesure adéquate de la rentabilité des entreprises non financières», écrit l’institut, qui met le piètre résultat du Luxembourg sur le compte du «tissu économique particulier» du pays. Et les auteurs de renvoyer à «des indicateurs de rentabilité plus pertinents», comme le retour sur actifs. Le Statec, apprend-on également dans cette note, alimente une base de données (BACH) en vue d’approfondir la question.
Aujourd’hui, cinq ans plus tard, plus question d’opposer les indicateurs les uns aux autres. «Il faut en regarder plusieurs», insiste Serge Allegrezza, également directeur de l’Observatoire de la compétitivité. Premier constat, les indicateurs internationaux dessinent une situation plutôt stable pour le Luxembourg. Comme en témoignent les données publiées par l’OCDE (ci-dessous), qui compare la part des revenus des entreprises affectée aux profits.
Investissement en retard
Une rentabilité stable, donc… mais faible, d’où qu’on regarde, quand elle est rapportée au capital investi. «Et c’est assez mystérieux», admet le directeur du Statec, qui en est réduit aux hypothèses.
L’une d’elles établit un lien entre faiblesse des investissements et faiblesse des marges. «L’investissement accuse un retard assez marqué», souligne l’économiste. «Les entreprises sont-elles plus fragiles? Moins bien équipées? Ou est-ce qu’elles se satisfont de rendements plus faibles?» Le phénomène semble en tout cas s’auto-alimenter, dans la mesure où «les entreprises investissent en fonction de la rentabilité anticipée. Et cette dernière s’oriente sur les rentabilités constatées dans le passé».
Une entreprise qui n’est pas rentable ne survit pas.
Ce problème de profitabilité est dans le viseur de la Chambre de commerce. «On le voit dans les sondages que nous menons régulièrement auprès des entreprises», explique sa directrice des affaires économiques, Christel Chatelain. «Le commerce et l’horeca sont particulièrement touchés par ces défis de rentabilité. Ce n’est pas un hasard: ce sont des secteurs intensifs en main-d’œuvre, et le Luxembourg est l’un des pays où le coût du travail est le plus élevé.» Et l’économiste d’insister: les indexations salariales, cinq en très peu de temps, pèsent sur la rentabilité des entreprises non financières.
Dans le cadre des élections, la Chambre de commerce a sensibilisé les candidats à l’importance de cette rentabilité. «On ne le considère pas assez dans l’opinion et c’est pourtant une évidence: une entreprise qui n’est pas rentable ne survit pas. L’entreprise doit pouvoir investir dans l’avenir, à fortiori dans un contexte de transition environnementale et digitale», fait valoir Christel Chatelain. Il en va, selon elle, de la compétitivité de l’économie luxembourgeoise.
«Une profitabilité faible pose problème sur le plan de l’attractivité du pays», estime pour sa part Serge Allegrezza. «Pourquoi investir au Luxembourg si cela rapporte peu? Pour faire de l’optimisation fiscale? La question reste ouverte.»
D’autres priorités
Au vu de l’enjeu, le Statec assure qu’il va se repencher sur le sujet. «Pour nous, c’est important de savoir où on en est, si on est efficace», précise le directeur. «Mais je dois le constater avec effroi: le sujet n’intéresse pas grand monde au Luxembourg. Personne ne nous a demandé d’investiguer.» Dans l’immédiat, donc, l’institut de statistique épuise ses cartouches sur d’autres cibles.
L’une d’elles, connexe, est hautement d’actualité: comment la hausse des prix de l’énergie et les indexations salariales ont-elles affecté la rentabilité des entreprises? En particulier, dans quelle mesure celles-ci ont-elles augmenté leurs prix? Peut-on parler d’inflation des marges au Luxembourg? Une note du Statec attendue en décembre devrait donner des éléments de réponse.