Au-delà des sourires, le Grand-Duc Henri et le Premier ministre et son gouvernement doivent développer des stratégies de collaboration pour un Exécutif unifié. (Photo: archives Maison Moderne)

Au-delà des sourires, le Grand-Duc Henri et le Premier ministre et son gouvernement doivent développer des stratégies de collaboration pour un Exécutif unifié. (Photo: archives Maison Moderne)

Dans un article de doctrine dans la «Revue luxembourgeoise de droit public», le constitutionnaliste et sénateur belge Francis Delpérée, qui a participé à la réforme de la monarchie belge, décortique l’intérêt et les limites de la Maison du Grand-Duc.

«La pratique sera la pierre de touche de la réforme entreprise. Elle peut se révéler plus forte que les intentions et la norme. Il faut espérer qu’elle traduise une dynamique constructive et qu’elle ne génère pas de comportements paralysants», espère le professeur émérite de droit de l’Université catholique de Louvain, Francis Delpérée, dans le dernier numéro de la «Revue luxembourgeoise de droit public».

«Plutôt que de camper sur des situations acquises ou de chercher à conquérir de nouveaux territoires, le Grand-Duc et le gouvernement gagneront à développer des stratégies de collaboration et à donner à l’opinion publique des signes tangibles de cette préoccupation commune. Ils respecteront le principe d’autonomie qui commande leur action respective au sein d’un exécutif unifié», conclut-il.

Sur neuf pages, le sénateur belge décortique la Maison du Grand-Duc, en examine les ressorts, les moyens humains ou financiers, ou encore le fonctionnement, au regard du droit constitutionnel. Loin de la polémique qui agite une nouvelle fois le Luxembourg, après l’interview de la Grande-Duchesse dans Paris Match à l’occasion du 40e anniversaire du mariage de Maria Teresa avec le Grand-Duc Henri.

Le maréchal de la Cour au centre du jeu

«Tenter de réduire l’institution grand-ducale à un unique représentant de type présidentiel, c’est l’amputer. Alors que le Luxembourg se veut exemplaire en matière d’égalité entre femmes et hommes, il y a sans doute une forme de misogynie à vouloir effacer l’épouse du grand-duc», y estime la Grande-Duchesse, avant d’indiquer qu’elle ne se permettrait «jamais de [se] revendiquer l’égale de [son] mari». Mais de cette phrase: «[…] mais de là à m’écarter de toute décision au sein d’une institution pour laquelle j’ai œuvré 20 ans.»

M. Delpérée n’évoque jamais le rôle ou la place de l’épouse du chef de l’État dans cette nouvelle structure.

«Les tâches de direction reviennent au maréchal de la Cour, le véritable chef de la nouvelle institution (art. 3). À lui le contact direct avec le Grand-Duc. À lui la maîtrise des services et des personnels d’une structure qui est placée ‘sous ses ordres’ et à l’égard de laquelle il exerce les ‘pouvoirs conférés [à un] chef d’administration’ (art. 8). À lui, en un mot, la ‘responsabilité’ de la Maison (art. 3).»

«Il est précisé que ‘dans l’exercice de ses fonctions, le maréchal représente le Grand-Duc’ (art. 7, al. 1er). La formule peut être entendue dans un sens domestique. À l’intérieur de la Maison, le maréchal est la voix du Grand-Duc. Il en est, en quelque sorte, le porte-parole. Les ordres ou les instructions qu’il donne à ses collaborateurs sont censés provenir du chef de l’État. L’expression doit aussi recevoir un sens juridique. Le maréchal est l’autorité qui représente la Maison du Grand-Duc à l’égard des tiers. Il la personnifie, y compris en justice – ‘en demande ou en défense’ – (art. 7.3)», écrit-il, dans le paragraphe suivant.

Une réforme constitutionnelle s’impose

Sans le mettre sous tutelle, en lui apportant un soutien logistique et administratif, la Maison protège le Grand-Duc en lui évitant des «interventions intempestives ou malencontreuses dans la vie de la Nation», lui «permet d’éviter les malentendus ou les incompréhensions. Elle le prémunit de querelles à l’occasion desquelles il ne saurait utilement se défendre.»

Et le Grand-Duc protège la Maison en la mettant à l’abri d’intrusions du monde politique.

Pour le juriste se pose la question du mode opératoire qui a prévalu dans la création de la Maison du Grand-Duc un arrêté grand-ducal. Selon M. Delpérée, du point de vue de la Constitution, «dispositions anciennes et nouvelles s’entrechoquent. Elles se contredisent même. Pourquoi préserver l’institution de la liste civile, valable pour l’ensemble du règne, si c’est pour demander au Grand-Duc et à sa Maison d’établir, chaque année, le budget des dépenses qu’ils envisagent? Pourquoi maintenir la Maison souveraine, non autrement identifiée, si c’est pour lui adjoindre celle du Grand-Duc? Le manque de cohérence saute aux yeux.»

Pour lui, aucun doute, «une révision s’impose pour régulariser autant que faire se peut l’opération qui a été accomplie en octobre 2020». Après quoi il faudra doter l’institution des moyens (lois et règlements) pour fonctionner en tenant compte de l’intérêt public.

Faute de quoi les uns et les autres ne font aujourd’hui que tourner une page, écrit-il, pour «apaiser les tensions qui avaient pu apparaître à la charnière de 2019-2020. Elle invite à écrire une page inédite. Elle aménage un nouveau régime de gouvernance du Palais grand-ducal.»