L’auteur de cette carte blanche est le ministre de l’Économie Franz Fayot (LSAP).  (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne/Archives)

L’auteur de cette carte blanche est le ministre de l’Économie Franz Fayot (LSAP).  (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne/Archives)

Le Luxembourg connaît une extraordinaire croissance économique et démographique depuis près de 70 ans. En termes de population, le pays a enregistré une croissance de 150.000 résidents, soit +30% entre 2010 et 2022, sans équivalent dans le monde. La conséquence logique est une pression accrue sur les différents systèmes et infrastructures du pays.

Le contexte actuel, marqué par une nouvelle donne géopolitique ainsi qu’une accélération de l’urgence climatique et du besoin d’atteindre la neutralité carbone en 2050, nous invite à interroger notre modèle économique. Ce questionnement n’est pas nouveau: c’est une discussion qui est menée au Luxembourg depuis 15 ans au moins sous le terme de «croissance qualitative». C’est aussi un débat qui n’est pas propre à notre pays, mais qui préoccupe tous les pays développés: comment combiner la prospérité économique, le bien-être social des humains et la préservation de la planète?

Faire des choix

Il est évident que le modèle économique dominant au niveau global n’est pas soutenable. Intensif en utilisation de ressources et fortement polluant, il est construit sur l’utilisation d’énergies fossiles bon marché, avec des modes de production et de consommation linéaires. Ce constat est aujourd’hui partagé au niveau européen: , le et, déjà avant, visent une économie décarbonée et digitale dans une Europe maîtrisant sa souveraineté industrielle.

Le constat est aussi partagé au niveau national. Par une planification stratégique volontariste, le ministère de l’Économie avait pris les devants de cette transition économique: relative à la Troisième Révolution industrielle dessinait, dès 2016, une vision prospective de l’économie en 2050. La stratégie gouvernementale de 2021 pour une économie circulaire au Luxembourg vise encore à promouvoir, par la création, la conservation et la récupération de valeur ajoutée, une économie régénérative qui réduit sa dépendance par rapport à l’étranger, la pression environnementale, et qui améliore sa productivité.

(«Notre économie de demain»), conçue en 2021, vise à développer une économie compétitive et durable en mettant la digitalisation au profit de la société et du développement durable.

Le contexte de polycrises met en lumière les vulnérabilités du système socio-économique actuel.
Franz Fayot

Franz Fayotministre de l’EconomieLSAP

(Plan national intégré en matière d’énergie et de climat), en visant à réduire la dépendance du pays aux énergies fossiles, constitue une réponse directe tant à la crise climatique qu’à la crise énergétique. Dans le cadre de l’actualisation de ce plan, le gouvernement a revu ses ambitions à la hausse en proposant des mesures renforcées et nouvelles pour la transition énergétique et l’action climat à l’horizon 2030.

Le contexte de polycrises met en lumière les vulnérabilités du système socioéconomique actuel et requiert de développer – au-delà des mesures déjà prises – des visions alternatives, fondées sur des données concrètes, des résultats scientifiques et une approche systémique.

Mais il importera aussi de faire des choix. Tout d’abord, des choix quant aux secteurs sur lesquels on misera à l’avenir pour décarboner notre économie: j’ai récemment annoncé l’initiative d’une green valley, un projet d’infrastructures pour regrouper et développer nos entreprises dans le domaine des «éco-technologies» au sens large, c’est-à-dire de tout ce qui relève des énergies renouvelables, de l’adaptation climatique, de la construction circulaire et de la décarbonation. Bien évidemment, toutes les entreprises ont ici un rôle à jouer, qu’il s’agisse d’industriels, d’artisans ou de start-up.

D’autres secteurs de diversification choisis par le Luxembourg se développent de manière dynamique, qu’il s’agisse des technologies de la santé, de l’espace ou encore du numérique. Les investissements faits dans nos infrastructures numériques seront payants dans un monde où l’intelligence artificielle émerge comme une technologie incontournable dans tous les domaines.

Des choix aussi quant à nos instruments politiques: il faudra redéfinir nos aides pour les rendre plus incitatives à des investissements dans l’effort d’efficience énergétique, de réduction des émissions et de circularité. Le temps où des technologies du passé étaient soutenues au même titre que l’innovation en faveur du climat est révolu.

Préparer l’avenir

En tant que ministre de l’Économie qui a pris ses fonctions en février 2020, quelques semaines avant le déferlement du Covid-19, l’idée de créer, au sein du ministère, une direction Luxembourg Stratégie est née de la volonté de donner au gouvernement un outil de prospective et de réflexion pour assister ses décisions dans le développement d’une économie résiliente, compétitive et inclusive dans les décennies à venir.

En s’appuyant sur les différentes stratégies économiques existantes, Luxembourg Stratégie est en train d’élaborer une vision stratégique qui vise à préparer l’économie luxembourgeoise à faire face simultanément à plusieurs transitions, tout en garantissant le bien-être social.

Cette vision s’articule autour de 10 axes stratégiques:

1. Améliorer l’autonomie stratégique ouverte pour renouveler la production nationale: une économie moins dépendante des importations et des chocs sur les marchés internationaux est un atout, quoi qu’il advienne;

2. Appliquer la circularité et la so­briété à toute l’économie et à la société: la circularité et la sobriété contribuent à plus d’autonomie dans la production et la consommation, ainsi qu’à la décarbonation et à l’efficience de l’utilisation des ressources;

3. Placer les jeunes et les savoirs au cœur de l’économie: l’innovation sociétale peut être un des leviers pour développer la création d’activité, l’emploi, la cohésion sociale et répondre aux nouveaux besoins sociaux;

4. Concilier les transitions digitale, écologique et sociale: si les technologies digitales peuvent faciliter l’émergence d’un futur plus durable, elles ont également une empreinte environnementale qui n’est pas négligeable et façonnent nos relations sociales;

5. Investir dans la redondance critique et les solutions vitales: pour que l’économie soit plus résiliente face aux chocs et se remette plus vite des perturbations, il y a lieu de créer des réserves et de protéger de manière renforcée les biens et services essentiels;

6. Simplifier les procédures, raccourcir les chemins, faciliter les transmissions: améliorer l’environnement professionnel des entrepreneurs, investisseurs et chercheurs par un allègement des procédures, qui fera évoluer également la culture d’entreprise, permettant d’attirer les jeunes recrues et les talents;

7. Adapter le système de santé aux nouveaux défis, une opportunité économique: il y a lieu de se préparer à de nouvelles pandémies et de nouveaux vecteurs de maladies et de profiter de la transition digitale pour réduire les coûts et augmenter la qualité des soins;

8. Se doter d’une stratégie intégrée de diplomatie économique durable: forger des liens diplomatiques et commerciaux forts avec d’autres pays qui partagent les mêmes valeurs que nous, pour mieux réussir les multiples transitions;

9. Assurer des finances publiques soutenables et solides: dans un contexte de transitions multiples (énergétique, sociétale, écologique) qui nécessitent des investissements importants, une programmation de/à long terme des finances publiques s’impose;

10. Tourner l’anticipation en avantage économique comparatif: une planification à long terme et une alerte précoce permettent d’identifier en amont les vulnérabilités et les opportunités à un stade précoce. L’anticipation permettra aussi de réduire les coûts liés aux transitions.

Pour réussir les transitions multiples à l’horizon 2050, il est évident que l’innovation technologique a un rôle primordial à jouer. Il faudra changer notre système économique, afin qu’au niveau de la production, la circularité soit une priorité absolue. En tant que ministre de l’Économie, je me suis engagé à fournir un cadre pour accompagner les entreprises à suivre ce chemin.

Transition des industries

Mais il faudra aussi un changement de nos modes de consommation. Une réduction des émissions de CO2 ne se fera pas seulement via une production propre, mais également par une consommation raisonnable.

Ce changement n’est pas facile à gérer et il importe d’engager les citoyens dans la discussion. Il faut accompagner cette transition par une politique sociale qui protège les personnes les plus vulnérables et fragiles dans notre société, à l’exemple du crédit d’impôt climat qui a été introduit afin de neutraliser la hausse des carburants due à la taxe CO2. Sans des mesures sociales adéquates, et sans expliquer le bien-fondé de ces politiques, nous risquons d’aller vers des conflits sociaux que certains de nos pays voisins connaissent à l’heure actuelle.

Je suis convaincu que les Luxembourgeois ont compris que l’avenir apportera des changements et bousculera certaines habitudes. Il n’en reste pas moins qu’il est de la responsabilité des politiques de l’expliquer et d’en discuter: ignorer les défis qui sont devant nous et pratiquer la politique de l’autruche n’est ni responsable ni crédible.

La vision stratégique que j’ai développée cherche à sécuriser les facteurs de production et à contribuer à la cohésion économique et sociale à long terme, dans la mesure du possible, en utilisant les ressources présentes sur le territoire national et dans ses environs, d’une meilleure manière.

Il s’agit de trouver un délicat équilibre entre innovation technologique et changement comportemental.
Franz Fayot

Franz Fayotministre de l’ÉconomieLSAP

Je suis intimement convaincu que nous pouvons gagner ce défi, à condition d’en discuter. C’est pour cela aussi que j’ai mis Luxembourg Stratégie sur les rails, afin de fournir un cadre, des réflexions, une expertise pour entamer un débat sur la meilleure façon de nous engager vers une économie durable à l’horizon 2050. Il faut, d’une part, s’engager auprès des entreprises pour les accompagner sur la voie de la double transition écologique et digitale afin de préserver notre tissu industriel, artisanal et commercial et, d’autre part, expliquer, et engager les citoyens vers une consommation plus durable et plus sobre.

Il s’agit de trouver un délicat équilibre entre innovation technologique et changement comportemental, entre efficience et sobriété, entre autosuffisance et échanges internationaux.

Le double cadre des limites planétaires à ne pas dépasser et des fondations socioéconomiques à garantir pour tous doit être au cœur d’une véritable politique économique résiliente, inclusive et compétitive.

Cette carte blanche a été rédigée pour l’édition magazine de  parue le 24 mai 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.  

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