Près de 1.000 entreprises ont disparu des radars de l’aide d’urgence non remboursable. Un indicateur à prendre avec des pincettes sur un sujet sensible: les faillites à venir. (Photo: Shutterstock)

Près de 1.000 entreprises ont disparu des radars de l’aide d’urgence non remboursable. Un indicateur à prendre avec des pincettes sur un sujet sensible: les faillites à venir. (Photo: Shutterstock)

L’adaptation des aides de l’État pour soutenir l’économie ne garantit pas que ces dernières auront les effets recherchés et permettront de limiter les faillites. C’est toute la difficulté pour le gouvernement. Le ministre de l’Économie, Franz Fayot (LSAP), est quand même revenu vendredi sur sa petite phrase de la mi-mars, quand il disait ne pas pouvoir aider tout le monde.

«On ne pourra pas aider toutes les entreprises.» Cinq jours après le début du confinement, le ministre de l’Économie, (LSAP), a le tort d’avoir raison et de le dire trop fort. Le «bouclier» des aides de l’État aura du mal à protéger tout le monde, tant la situation économique des uns est différente de celle des autres: secteurs d’activité, nombre de salariés, dépendance à l’égard de fournisseurs, besoins en trésorerie, niveaux des investissements, situation financière, phase de l’activité… tout sépare chaque entreprise de sa voisine.

Deux mois plus tard, le ministre socialiste est revenu sur sa déclaration, vendredi 22 mai, en conférence de presse, avec le recul que lui donnent la mise à jour permanente des aides de l’État et les tractations avec différents groupes d’intérêt, sectoriels ou syndicaux.

«Je ne dispose pas des chiffres des entreprises qui ne survivent pas. Il est prématuré de faire ce genre de constatations, mais on doit craindre qu’il y en aura, essentiellement des PME et dans le domaine de l’horeca. Ce sera difficile pour certaines sociétés. Grâce à tous les instruments que nous mettons en place, nous espérons éviter cette situation, ou au moins la contenir à un niveau assez limité.»

Le ministre est d’autant mieux placé pour le savoir que, lorsqu’il était député, il était rapporteur du projet de loi sur la réforme du droit des faillites, présenté en février 2013, et dont il était chargé depuis 2016. Avant qu’il ne confie la «patate chaude» à (DP) en février, Franz Fayot avait essuyé les critiques du Conseil d’État. Son successeur a pris connaissance, dès la mi-mars, de celles des Parquets de Luxembourg et de Diekirch et du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, qui, en bons praticiens du droit, pointent encore de nombreuses questions à régler.

Un contre-la-montre pour les liquidités

La crise financière de 2008-2009 a mis en lumière l’intérêt pour les gouvernants de s’attacher d’abord à la question des liquidités: si une entreprise craint pour sa trésorerie, elle retient tout le cash qu’elle peut retenir et met en difficulté tous ses fournisseurs, ses banquiers et ses clients.

Pour éviter cela, dès le début de la crise, le gouvernement met non seulement en place des aides d’urgence, mais il fait comprendre que les aides seront adaptées. La communication politique est d’autant plus urgente que, dans une étude à laquelle ont participé plus de 2.500 entreprises, la Chambre de commerce affirme que  Un quart des entrepreneurs n’ont plus de liquidités, et 62% des commerces hors alimentation et 72% de l’horeca n’en avaient plus le 1er mai.

En coulisses, des entrepreneurs s’interrogent déjà: est-ce que la crise sera grave? Est-ce qu’elle durera longtemps? Et n’aurais-je pas intérêt à faire faillite tout de suite et attendre avant de repartir au moment du démarrage réel de l’économie?

61 faillites «seulement» en deux mois

L’année 2019 s’est mal terminée. , à 1.336, en hausse de 11% par rapport à 2018. Et le mouvement semble parti pour durer: le site du Barreau, qui recense les faillites des tribunaux de commerce des arrondissements de Luxembourg et de Diekirch, évoque 147 faillites en janvier, puis 114 en février. Soit deux résultats au-dessus de la moyenne mensuelle de l’année précédente.

Le 25 mars, le conseil de gouvernement gèle le fonctionnement de la justice, du 16 mars au 24 avril, que «2.491 décisions de la Cour d’appel, des tribunaux et des justices de paix (arrêts, jugements, ordonnances) ont été prises, 4.269 affaires nouvelles sont entrées aux Parquets de Luxembourg et de Diekirch (en matière criminelle, correctionnelle et de police, tant dans le domaine du droit commun que dans celui de la circulation) et 7.934 ordonnances ont été traitées par les trois justices de paix (ordonnances pénales, de paiement ou de saisie-arrêt)».

Rien sur les dossiers éventuels de faillite. «Beaucoup de dossiers qui ont été fixés ‘au rôle général’ ne paraîtront qu’au cours des prochaines semaines devant les sections commerciales», explique un porte-parole du ministère de la Justice.


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Selon les seules statistiques connues, 7 faillites ont été enregistrées en mars, 9 en avril, et 45 jusqu’au 15 mai. Mais ces chiffres ne comprennent que des sociétés de l’arrondissement de Luxembourg, ce qui semble indiquer que le greffe de Diekirch n’a pas encore enregistré les siennes. C’est une situation «habituelle» pour qui regarde l’évolution des faillites.

Surtout qu’«au mieux», on ne verra que les aveux de faillite des entrepreneurs eux-mêmes. Et pas encore celles issues des assignations en justice de créanciers fatigués d’attendre d’être payés ou remboursés, ni même les faillites d’office prononcées par les tribunaux.

Début avril, trois députés chrétiens-sociaux, , et , ont déposé un projet de loi visant à rendre irrecevables les assignations pendant la durée de l’état de crise et les deux mois suivants. Le Conseil d’État n’y semble pas opposé et demande à ce que la période soit précisée.

973 entreprises n’ont pas redéposé de dossiers

Pour avoir une première idée des entreprises menacées, il faut regarder un chiffre passé inaperçu. Quand 12.957 entreprises demandent la première aide d’urgence (5.000 euros), l’administration en exclut plus de la moitié (6.988), principalement parce qu’elles ne rentraient pas dans le cadre de la première aide. 

S’apercevant du nombre de refus et face à la grogne, le gouvernement enclenchait une deuxième salve d’aides, à laquelle accédaient 5.232 entreprises. Seulement 158 refus.

Mais, entre les deux aides, 973 dossiers ont disparu, les entreprises n’ont pas recommencé leur dossier. Avec les refus, cela fait 1.031 entrepreneurs restés sans ces aides-là en tout cas. Auxquels il faudrait ajouter les exclus de l’aide aux indépendants: pour ces 2.500 euros non remboursables, 2.592 demandes ont été introduites, 2.553 dossiers ont été traités, 1.899 dossiers ont reçu un avis favorable et 396 demandes ont été refusées.

Soit 1.427 refus, chiffre à rapporter aux 1.336 faillites de 2019. 

Comment ces entrepreneurs auront-ils saisi toutes les autres possibilités d’aide? Comment relanceront-ils leur entreprise? Des questions pour quelques mois encore sans réponse.