Plus d’un tiers des conseils d’administration prennent déjà en considération les critères ESG dans leurs processus d’investissement. (Photo: Shutterstock)

Plus d’un tiers des conseils d’administration prennent déjà en considération les critères ESG dans leurs processus d’investissement. (Photo: Shutterstock)

La crise du Covid-19 et le développement de la finance verte confrontent les fonds d’investissement à de nouveaux défis en matière de gouvernance. L’intégration des critères ESG, les cyber-risques et la diversité au sein du CA sont des priorités.

Comme dans une entreprise traditionnelle, le conseil d’administration (CA) d’un fonds d’investissement ou d’une société de gestion est l’organe de décision de la structure. La composition de ce CA, le déroulement de ses sessions, les rôles et responsabilités en son sein ou la gestion des conflits d’intérêts qui peuvent y survenir sont autant d’éléments qui doivent donc être gérés avec soin.

Ces aspects de gouvernance auront en effet une influence directe sur les décisions qui sont prises, mais aussi sur l’image publique dont la structure bénéficie. Ils permettront en outre de se conformer aux réglementations qui encadrent l’activité du fonds.

Une étude qui se répète depuis 2003

Il est évident que les pratiques de gouvernance au sein des conseils d’administration de fonds d’investissement au Luxembourg sont amenées à évoluer avec le temps. En effet, la réglementation est adaptée en permanence et les attentes des investisseurs évoluent elles aussi, suivant en cela les mouvements qui animent la société dans son ensemble. Pour pouvoir objectiver l’évolution des pratiques de gouvernance dans ce secteur au Luxembourg, PwC et l’ILA (Institut luxembourgeois des administrateurs) réalisent tous les deux ans, depuis 2003, une large étude à ce sujet.

«Elle couvre une série d’acteurs différents, des fonds Ucits aux AIF, en passant par les ManCo et les Super ManCo. Notre but, dès le départ, était d’obtenir une vue de la situation et de pouvoir identifier les tendances qui se dégagent au fil du temps, explique Michael Delano, président du comité Fonds d’investissement au sein de l’ILA et associé chez PwC Luxembourg. Cela nous permet, par exemple, de voir que les administrateurs dans le secteur des fonds disent avoir aujourd’hui une bien meilleure connaissance de leur responsabilité légale, ce qui était beaucoup moins le cas il y a quelques années, quand seulement 30% des administrateurs interrogés disaient en avoir totalement connaissance.»

En 2020, l’ILA et PwC menaient déjà leur 10e étude consacrée à la gouvernance dans le secteur des fonds d’investissement. Celle-ci a été dévoilée au début de l’année 2021 et offre une photographie d’autant plus riche qu’elle a, cette année, été réalisée avec la contribution de pas moins de 122 participants.

«On voit que nous sommes devenus plus célèbres avec le temps, sourit Michael Delano. Nous fonctionnons avec des questionnaires en ligne, mais plusieurs heures sont nécessaires pour les compléter, et le fait de récolter autant de retours de la part des différents acteurs montre que cette étude est jugée utile dans le milieu.»

Cette envie de mettre sa pierre à l’édifice d’une meilleure gouvernance dans le secteur des fonds est sans aucun doute une conséquence logique de l’année 2020 chaotique que nous avons connue. Marquée par la crise du Covid, par la séparation officielle du Royaume-Uni et de l’Europe, mais aussi par la poursuite d’une série de mouvements sociaux ou de vives inquiétudes pour l’avenir de la planète, cette année particulière a soulevé un certain nombre de défis en matière de gouvernance.

Le suivi des critères ESG

Parmi les principales tendances du secteur des fonds ces dernières années, on trouve bien évidemment la finance durable. Cet attrait pour les investissements positifs pour l’environnement ou la société est une conséquence directe d’un mouvement social de fond, qui matérialise l’inquiétude grandissante des populations par rapport au réchauffement climatique et aux atteintes à notre milieu. Dans le secteur financier, l’investissement durable passe souvent par des «fonds ESG», qui respectent des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.

«Toute une série d’actifs intègrent aujourd’hui ces aspects ESG, et cela force les administrateurs à se former à ces matières, relève Michael Delano. En matière de réputation, il est de plus en plus risqué de prendre ces sujets à la légère. Si les vérifications ne sont pas effectuées correctement par rapport au respect des critères ESG et qu’un problème est constaté, on peut vite se faire accuser de greenwashing.»

Le sérieux qui est aujourd’hui placé dans le suivi des critères ESG au sein des conseils d’administration peut être constaté au niveau de la formation des administrateurs. Plus de la moitié des administrateurs qui ont participé à l’étude PwC/ILA 2020 suivent actuellement une formation en ce qui concerne les investissements ESG ou SRI (socially responsible investment).

Plus d’un tiers des conseils d’administration prennent déjà en considération les critères ESG dans leurs processus d’investissement. Ceci étant dit, toujours selon la même enquête, la plupart de ces mêmes CA n’ont pas de définition précise de ce qu’est l’investissement ESG ou ignorent quels sont les risques et opportunités les plus importants en la matière. Un effort considérable peut donc encore être réalisé à ce niveau, surtout dans la perspective de l’arrivée de la nouvelle réglementation SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), destinée à offrir plus de transparence sur l’aspect durable des investissements.

Les conséquences du Covid-19

Mais, nous le disions, 2020 n’a pas seulement permis de confirmer le virage durable d’une partie du secteur financier. Elle a aussi été marquée par une crise sanitaire que personne n’avait vue venir. «La façon de travailler a été profondément affectée par cette crise, et nous ne reviendrons probablement pas totalement en arrière sur le sujet, estime Michael Delano. La généralisation du travail à domicile a été rapide et, alors qu’on craignait que cela cause beaucoup de problèmes, on a constaté que les acteurs avaient fait preuve d’une grande capacité d’adaptation. Finalement, les choses se sont déroulées sans trop d’accrocs.»

Si le secteur a pu s’adapter rapidement, c’est en bonne partie grâce aux nouvelles solutions numériques. Pourtant, l’enquête PwC/ILA montre que seulement 8% des entités participantes ont mis en place des solutions cloud et ne comptent pas revenir en arrière. Par ailleurs, 8% des CA interrogés ont eu recours à d’autres outils, comme des VPN leur permettant d’accéder au réseau de la société depuis leur domicile. La crise du Covid a tout de même eu un impact, selon les personnes ayant participé à l’enquête, sur une série d’aspects du métier, notamment la signature de documents, les possibilités de levée de fonds ou les opportunités commerciales.

Un accroissement des cyber-risques

Au-delà de ces conséquences sur le métier, la crise sanitaire et la mise en place d’une série d’outils digitaux accroissent également le risque auquel les fonds d’investissement et les sociétés de gestion sont confrontés en matière de sécurité informatique. En effet, si les incidents de cybersécurité dans le secteur des fonds sont rares, il convient de rester très prudent avec la généralisation du télétravail.

«Ces sociétés possèdent une série d’informations sensibles et brassent des sommes d’argent importantes. Il est donc normal que des cybercriminels cherchent à trouver une faille pour accéder à cette manne, indique l’associé de PwC. Dans ce secteur comme dans d’autres, la cybersécurité est autant une affaire de technique qu’une question d’éducation: il faut éviter de laisser sans surveillance des supports contenant des données sensibles, vérifier l’identité de la personne qui vous demande, par téléphone ou par e-mail, de virer une certaine somme, etc. Je crois que le message doit en tout cas être répété aux administrateurs de fonds d’investissement.»

L’étude PwC/ILA 2020 donne d’ailleurs un aperçu du manque de connaissances par rapport aux cyber-risques dans le chef d’un bon nombre d’administrateurs de fonds d’investissement. Parmi les exemples cités, on peut retenir que seulement un tiers des documents échangés par les conseils d’administration sous forme de PDF sont sécurisés par un mot de passe. Pour les auteurs de l’étude PwC/ILA 2020, il est donc urgent de développer de solides pratiques en matière de cybersécurité dans le secteur, ce qui passe notamment par la mise au point d’une stratégie à long terme, alignée avec les besoins business.

La diversité, un sujet chaud

Enjeux climatiques, Covid, cybersécurité… Ce tableau ne serait pas complet sans évoquer un autre mouvement social particulièrement vivace depuis quelques années: celui en faveur d’une plus grande diversité au sein des instances de décision, qu’il s’agisse d’une diversité ethnique ou de genre. Dans leur enquête, PwC et l’ILA pointent tout d’abord une note positive en ce qui concerne la diversité hommes-femmes: le pourcentage de femmes au sein des conseils d’administration des fonds d’investissement augmente graduellement, passant de 14% en 2016 à 16% en 2018, et 22% en 2020.

Cette plus grande mixité est vue comme un atout par les auteurs de l’étude, notamment parce qu’elle permet au conseil d’administration de bénéficier de points de vue plus diversifiés et de stimuler ainsi la créativité des décideurs. Cela dit, avec seulement un cinquième de membres féminins au sein de ces CA, on peut dire que le combat pour une meilleure représentation des femmes dans ces instances est loin d’être terminé.

La question de la diversité ethnique au sein des conseils d’administration dans le secteur des fonds est encore plus délicate. Ces données n’ont tout simplement pas été collectées par PwC et l’ILA. Le sujet devra, selon les auteurs de l’étude, être abordé dans de prochaines éditions de cette enquête sur la gouvernance des fonds d’investissement et des sociétés de gestion. Ce sujet est en tout cas au cœur des préoccupations des différents CA: 42% des répondants plaident en effet pour la mise en place, dans le code de conduite de l’Alfi, de lignes directrices plus fortes en la matière.

On le voit, le sujet de la gouvernance dans le secteur des fonds est en perpétuel mouvement et demande une formation continue des administrateurs. Pour cela, ils peuvent compter sur l’Institut luxembourgeois des administrateurs.

«Avec 24 comités de travail, l’ILA offre un large panel de formations dans des matières très variées, comme l’AML ou la cybersécurité. Nous proposons également une director master class, avec le concours de managers expérimentés, qui permet aux administrateurs de monter en compétences et de gagner en efficacité. De manière générale, l’objectif des programmes de l’ILA à destination des administrateurs est d’assurer la poursuite des bonnes pratiques en matière de gouvernance au Luxembourg», conclut Michael Delano.

Être irréprochable sur ces différentes questions constitue en effet un atout précieux pour préserver, aux yeux du monde de la finance, la respectabilité de la place financière luxembourgeoise.

Cet article a été rédigé pour le supplément ‘Fonds d’investissement’ de  parue le 27 mai 2021.

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