La saga a plus de deux ans. Mais jusqu’à présent, Google avait fait preuve d’une prudence de Sioux, évitant toute communication intempestive.
«Il n’y avait pas d’intérêt à communiquer tant que le PAG n’était pas soumis», souligne Fabien Vieau, en charge du développement des data centers de Google en Europe. Il avait fait le déplacement de Paris vers Bissen ce jeudi pour une conférence de presse relative à un investissement qui : la construction d’un data center dans la localité du centre du pays. «Maintenant que nous sommes un peu plus avancés, il nous a semblé opportun de lever un coin du voile sur ce projet.»
Une rencontre arrangée par un tiers
Cela reste donc au stade de projet, une «hypothèse potentielle». Les étapes à franchir sont en effet encore nombreuses alors que le PAP va seulement être soumis au public fin du mois. Quand bien même le projet américain est-il adaptable en fonction des contingences locales, cela pourrait encore prendre plusieurs années.
«Et si les autorisations sont là, il se peut que nous n’ayons plus, à ce moment, la nécessité de construire, pour différentes raisons, comme des priorités qui se trouveraient ailleurs pour des enjeux stratégiques», avertit Fabien Vieau.
Nous cherchons des terrains partout dans le monde, mais je dois bien avouer que nous ne regardions pas le Luxembourg.
Dans le meilleur des cas, si tout se déroule de manière optimale, celui-ci ne voit pas un data center opérationnel avant 2023. Il rappelle aussi que Google pourrait réorienter totalement ses ambitions et déserter Bissen. «Nous avons, et c’est normal, des scénarios de repli. On ne communique pas dessus, mais il a été rendu public que Google a acquis des terrains en Norvège.»
Car autant savoir que l’histoire de Google et du Luxembourg ne tient pas du coup de foudre, mais plutôt de l’histoire arrangée par un tiers.
«Nous cherchons des terrains partout dans le monde, mais je dois bien avouer que nous ne regardions pas le Luxembourg. C’est le Luxembourg qui est venu vers Google pour nous proposer de nous y installer», note-t-il encore. Sans cela, le Grand-Duché serait peut-être toujours hors des radars de la société technologique.
Un data center ouvrira des possibilités dans le domaine de l’IA, du cloud…
Qui fut cet intercesseur? Mystère. «C’est une agence qui était chargée de cela pour le gouvernement», dit-on timidement. La dynamique de la politique digitale menée dans le pays, les infrastructures de qualité, le potentiel de recrutement, la stabilité économique et politique sont quelques-uns des arguments qui ont incité Google à y chercher des terrains.
Quant au Luxembourg, «je suppose qu’il veut sa place dans la révolution digitale en cours et a compris que les data centers seraient un élément important pour l’y aider. Sans oublier qu’un data center chez soi ouvrira des possibilités dans le domaine de l’IA, du cloud…»
Peu de détails révélés
Sur le projet en lui-même, Google n’en dira pas trop. Certainement pas en ce qui concerne le «design» du data center. «Mais nous veillons toujours à prévoir la possibilité d’implanter, dans nos nouveaux sites, la génération de bâtiments en cours, mais aussi la suivante. Car tout change très vite, et nous devons avoir cette souplesse», confie Fabien Vieau.
Deux questions centrales ont également été évoquées ce jeudi. Tout d’abord, celle de l’eau. Comme c’est le cas en Belgique, c’est bien le principe du «free cooling» qui sera mis en place à Bissen. L’eau sera pompée dans l’Alzette – l’Attert, pourtant mieux située, s’étant avérée non exploitable. Récemment, Google a aussi été informée que son data center pourrait être relié à la sortie d’une station d’épuration locale.
«Une bonne nouvelle, qui limitera la prise d’eau dans l’Alzette. Il est dommage que nous ne l’ayons pas su plus tôt», regrette-t-il. L’idée de travailler avec Luxlait a aussi été avancée, «mais cela ne sera sans doute pas possible. Leurs contraintes sont très différentes des nôtres.»
Reste à savoir comment ce data center qui fonctionne en continu pourra le faire si les pompages dans l’Alzette sont limités, par exemple en raison de canicule. «Une situation exceptionnelle, vécue une fois ces dix dernières années. Nous sommes en discussion, mais le back-up sera alors l’alimentation via le Sebes (Syndicat des eaux du barrage d'Esch-sur-Sûre, ndlr).»
12% de la consommation nationale n’est pas envisageable tant que Creos n’a pas modernisé son réseau, tel que prévu dans son Plan 2040.
Ensuite, l’électricité et son approvisionnement sont venus à l’avant-plan. Google pourrait engloutir , 12% une fois la seconde achevée. Ce qui semble abyssal.
«Ce sont des fourchettes hautes», plaide Fabien Vieau. «Selon nos informations, d’autres industries sont déjà dans cette moyenne dans le pays. Des discussions avec Creos, il ressort que la première phase ne posera pas de problème. Par contre, la seconde, soit 12% de la consommation nationale, n’est pas envisageable tant que Creos n’a pas modernisé son réseau, tel que prévu dans son Plan 2040», confirme-t-il. Un Plan 2040 qui doit assurer un meilleur approvisionnement dans tout le pays et qui devrait, selon les informations de Google, se concrétiser en 2025 ou 2026.
L’optimisme reste de mise
En bon lobbyiste, Fabien Vieau a aussi lourdement insisté sur le fait que Google est devenu le plus important acheteur d’électricité verte dans le monde. Tout ce qui est consommé n’est pas de l’électricité verte, mais la société américaine compense à 100%. Et, quand c’est possible, celle-ci essaye aussi de favoriser l’autoproduction. À Mons, plus de 10.000 panneaux solaires ont été installés à côté du data center.
S’il n’est pas encore question de sabrer le champagne, l’optimisme quant à une issue favorable de ce flirt entre le Luxembourg et Google reste évidemment de mise. L’investissement pourrait approcher les 1,2 milliard d’euros et créer une centaine d’emplois, de profils très divers, au cours de la première phase d’implantation.
Le retour pour le pays pourrait aussi être intéressant. Google n’a évidemment rien voulu dire du chiffre d’affaires calculé pour Bissen, mais «aux Pays-Bas, où le data center fonctionne depuis 2016, il a déjà contribué, depuis lors, à hauteur de 600 millions dans le PIB de ce pays».