L’étude a trop peu fait parler d’elle: dans «The looming advisor shortage in US wealth management», publiée en février, McKinsey pointe un problème pas souvent rendu très visible. Selon les statistiques américaines (et américaines seulement), environ 110.000 gestionnaires de fortune et conseillers de banque privée (38% du total) vont prendre leur retraite d’ici dix ans. Et, selon les calculs du cabinet, cela se traduira par une pénurie de 90.000 à 110.000 conseillers, de 30% à 37% du total, en 2034.
Comment expliquer cet effet presque mécanique? Parce que, dans le même temps, le nombre de personnes qui auront besoin de conseil va augmenter de 4% à 5% par an (contre 0,6% au cours de la dernière décennie), ce qui s’est déjà traduit par une augmentation du chiffre d’affaires généré par le secteur de 150 milliards de dollars en 2015 à 260 milliards en 2024. Cela ne fera que s’accentuer au rythme des incertitudes politiques et géopolitiques.
Toujours selon la même étude, alors qu’on dit et lit toujours et partout que les nouvelles générations s’accommodent très bien de leur smartphone et des applis qui leur fourniraient des solutions clés en main, le nombre de ces clients fortunés qui veut avoir un conseil humain a augmenté de 29% en 2018 à 52% en 2023. Plus de quatre sur cinq seraient prêts à payer ce service humain 50 points de base (contre 10 actuellement). Et même près d’un sur trois accepterait de payer 100 points de base ou plus, ce qui s’accentue encore pour les patrimoines supérieurs à un million de dollars !
Une nouvelle composition d’équipe
L’étude suggère une alternative hybride au «tout-digital», la constitution d’équipes «techniques» autour d’un conseiller à l’expertise connue et reconnue: des juniors comme des «rabatteurs» aux nouvelles techniques de marketing et de networking, des ambassadeurs pour qualifier les profils repérés par les premiers, des négociateurs pour finir de convaincre les profils qualifiés par les deuxièmes, et des techniciens au service du conseiller pour embarquer de la technologie et assurer un top niveau de qualification. Dans ce schéma, la productivité pourrait s’améliorer de 8% à 22%, dont 7% à 15% pour la technologie (dans la préparation des rencontres avec le client, dans la création de plans financiers, dans la gestion quotidienne des clients et dans la conduite de recherches approfondies sur les tendances et les idées émergentes).
Une autre étude, menée par Capgemini, suggère des collaborations plus poussées entre family offices, wealth managers et banques privées pour prendre le meilleur des différents mondes. «La digitalisation est désormais la pierre angulaire du succès, le puissant outil qui non seulement construit des ponts qui manquaient, mais donne accès et dirige un avantage compétitif», confirme la deuxième étude de l’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL) avec KPMG, parue en janvier, cinq ans après la première.

C’est le cas de deux personnes interrogées sur trois au premier semestre 2024, qui reconnaissent aussi que peu de banques privées ont nommé un head of digital transformation et qu’elles n’ont pas de stratégie de transformation digitale claire, tandis qu’elles consacrent beaucoup de ressources à se mettre en conformité avec Dora (sur la cybersécurité et la résilience) ou avec la directive européenne sur les paiements instantanés. 48% des banques privées n’ont pas assez de compétences en interne pour mener ces projets de transformation, ce qui explique que près de trois sur quatre ont signé au moins un contrat avec une fintech ces trois dernières années – pour la plupart installées clairement au Luxembourg… ce qui n’est pas sans poser d’autres problèmes autour de la confidentialité ou de l’intégration de nouvelles technologies.
Plus de deux tiers des sondés n’ont aucune intention de changer de core banking system, préférant viser à l’unanimité une amélioration de son efficacité (96%) et 78% une réduction des coûts. L’hyperautomatisation n’a pas du tout la cote: moins de un sur dix utilise une solution en ce sens, soit deux fois moins que ceux qui pensent qu’elle n’a aucune valeur ajoutée.
Peu de nouveaux business models
Autre aspect: la technologie aide majoritairement à rafraîchir l’existant plutôt qu’à créer un nouveau digital business model (22%) ou même pour lancer de nouveaux produits et services digitaux (48%). Est-ce que l’envie manque? Ou est-ce que c’est dû au pouvoir de décision, très majoritairement en dehors du Luxembourg? 22% ont une autonomie totale pour des projets de transformation digitale, 26% pour les initiatives au coût supérieur à 50.000 euros, 13% pour de petites initiatives et 13% n’ont même aucun pouvoir de décision. La situation n’est en apparence pas très positive pour le pays… sauf que près des trois quarts (73%) disent avoir recours aux possibilités fournies par le groupe. 73%, c’est aussi le pourcentage de ceux qui sont ouverts à des collaborations.
«Les clients luxembourgeois privilégient également les interactions virtuelles avec leurs conseillers (72%) par rapport aux clients européens (49%) lorsqu’il s’agit de recevoir des conseils financiers. Seuls 13% des clients luxembourgeois privilégient les rencontres en personne, contre 36% en Europe. Les gestionnaires de patrimoine qui utilisent efficacement les outils numériques sont donc plus susceptibles de nouer des relations durables et enrichissantes avec leurs clients», disait EY dans son rapport de 2023 sur le wealth management, fait qui s’explique peut-être autrement que dans la relation à la technologie: le Luxembourg s’est imposé dans les clients ultra-riches (UHNWI), pas forcément au Luxembourg, et qui passent par ce canal pour profiter de l’expertise luxembourgeoise.
Une recomposition à suivre
Selon le rapport annuel de Capgemini, les family offices exigent la sophistication des produits et des services, et les entreprises de wealth management y répondent en fournissant des offres ciblées pour répondre à leurs besoins. Exemples.
• HSBC offre à la clientèle d’élite un accès direct aux marchés mondiaux et aux services bancaires d’investissement, cimentant les partenariats stratégiques avec les UHNWI et les family offices.
• Citi Private Bank se concentre sur le transfert de richesse intergénérationnel par le biais de son programme Citi Latitude, qui dessert 1.500 family offices.
• Global Assets+ de Lombard Odier offre des capacités opérationnelles, d’investissement et bancaires à plus de 200 clients dans des bureaux simples et multifamiliaux tout en fournissant des services directement aux UHNWI.
• La suite technologique de Northern Trust (GFO) offre la plateforme Wealth Passport pour fournir une consolidation et une plus grande sophistication à plus de 500 clients dans des bureaux unifamiliaux tout en fournissant des services directement aux UHNWI.
Cet article a été rédigé pour le supplément de l’édition de parue le 29 janvier. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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