Fatah Boudjelida: «» (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Fatah Boudjelida: «» (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Face à la crise sanitaire, les organisations ont prouvé à quel point elles peuvent être réactives. Elles sont néanmoins aussi confrontées à de nombreux défis. Fatah Boudjelida, managing partner – Operations d’Atoz, évoque les enjeux de cette situation inédite en matière d’organisation et de gestion opérationnelle du cabinet de conseil juridique et fiscal.

Aussi petit soit-il, le virus du Covid-19 a, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, tout fait basculer. Les habitudes et les modes de fonctionnement que nous avions il y a encore à peine un an ont été totalement bouleversés. Comment cette situation a-t-elle été vécue au sein de votre cabinet et comment vous y êtes-vous adaptés ?

Fatah Boudjelida.- «En effet, ce qui caractérise cette crise, c’est surtout sa soudaineté. Pour notre cabinet comme pour de nombreuses sociétés, le challenge a consisté à ajuster très rapidement – en 24 heures en réalité – nos modes de fonctionnement pour faire face à l’urgence sanitaire et permettre à chacun de pouvoir continuer à travailler chez soi. En quelques jours seulement, nous avons donc expérimenté de nouvelles pratiques organisationnelles.

Par le passé, nous avions bien sûr étudié et mis en place des processus de plans de continuité pour faire face à certains risques – cyberattaque, foudre qui s’abat sur nos immeubles, par exemple – et assurer la continuité de notre activité dans de pareilles circonstances. La section ‘pandémie’ en faisait partie, mais je mets au défi n’importe quelle organisation de l’avoir réellement considérée...

Dans les faits, le confinement et les mois qui ont suivi se sont traduits par une adaptation accélérée de nos processus de travail et, essentiellement, par la mise en place du télétravail. Les outils technologiques permettant de travailler à distance étaient déjà à notre disposition bien avant la crise sanitaire. À l’époque, nos collaborateurs avaient d’ailleurs la possibilité de télétravailler à raison d’un ou deux jours par semaine. Cela fait en effet partie de l’ADN de nos métiers.

Nous sommes tout à fait capables, dans un cabinet de fiscalité tel que le nôtre, d’adopter une telle méthode de travail et d’apporter les mêmes services à nos clients, que nous soyons au bureau ou que nous travaillions depuis notre domicile. Ce qui a changé avec cette crise sanitaire, et ce qui a bouleversé l’organisation de notre travail et de notre cabinet, c’est l’ampleur qu’a prise le télétravail.

Quels sont les défis engendrés par la crise sanitaire en matière de management des collaborateurs et de gestion opérationnelle du cabinet ?

«La situation actuelle agit comme un accélérateur de transformations sociétales, et notamment de transformations des modes de travail, de l’environnement de travail, des méthodes de gestion et du fonctionnement des entreprises. On le constate, il y a une vraie demande de la part des collaborateurs pour ces changements. Et pour y répondre, nos cabinets doivent se montrer particulièrement agiles.

La pratique du télétravail, qui plus est à une échelle telle que nous le vivons aujourd’hui, exige, sur le long terme, une approche flexible de la culture organisationnelle et du management. Dans un tel contexte, l’un des enjeux-clés est de parvenir à garder le lien avec chacun. La parole des collaborateurs doit être écoutée. Ils doivent également comprendre qu’ils font toujours partie d’un système. Télétravail ne doit pas rimer avec isolement.

Le confinement a été la période, dans notre histoire, durant laquelle nous avons subi le plus d’attaques de notre système / réseau informatique.
Le confinement a été la période, dans notre histoire, durant laquelle nous avons subi le plus d’attaques de notre système / réseau informatique.

Le confinement a été la période, dans notre histoire, durant laquelle nous avons subi le plus d’attaques de notre système / réseau informatique.

Dans votre secteur d’activité, les enjeux liés à la sécurité informatique sont aussi essentiels…

«Il s’agit en effet d’un point critique auquel nous devons veiller en permanence. La sécurité informatique, dans un cabinet tel que le nôtre où le secret professionnel est crucial et où nous disposons d’informations très sensibles sur nos clients, est essentielle. Nous devons donc être particulièrement attentifs au risque de perte d’équipements informatiques. Nos collaborateurs travaillant sur des ordinateurs portables, nous devons nous assurer qu’ils puissent accéder à nos serveurs, mais qu’ils conservent un minimum d’informations critiques sur leur appareil. Il s’agit également de disposer d’un noyau technologique robuste afin de garantir des contacts efficaces et fluides entre collaborateurs et avec les clients.

Le confinement a été la période, dans notre histoire, durant laquelle nous avons subi le plus d’attaques de notre système / réseau informatique. Heureusement, nous investissons lourdement et depuis plusieurs années dans ce domaine, tant d’un point de vue financier qu’opérationnel, par des audits de sécurité IT réguliers ou des certifications notamment. Nous sommes contents de l’avoir fait car la période actuelle nous a prouvé à quel point c’était nécessaire.

Ainsi, aujourd’hui, nos systèmes et nos infrastructures nous permettent aisément de continuer à travailler efficacement pour nos clients. Ce n’est pas la crise qui nous a permis d’initier cette démarche, car nous intégrions depuis longtemps déjà les enjeux technologiques dans notre stratégie de développement, mais elle a permis de confirmer que c’était possible.

Quels ont été les impacts de la pandémie sur l’organisation et la gestion du travail au sein d’Atoz ?

«Dans les faits, la crise a accéléré le développement de nouvelles manières de travailler. Parce que nous avons dû évoluer vers un management et un leadership à distance, la gestion du cabinet s’est fortement linéarisée depuis la crise. La hiérarchie ne peut plus se permettre d’être trop lourde. La gestion des activités du quotidien se simplifie, les contacts sont beaucoup plus directs, les processus de décisions raccourcis, et ce à tous les niveaux.

La pandémie a ainsi conduit à une plus grande humanisation de la gestion des cabinets professionnels. De nouvelles formes d’organisation du travail, s’appuyant sur plus de proximité, de communication et de flexibilité, ont émergé. Mais celles-ci ont aussi rapidement montré leurs limites…

Nous avons aussi pensé, au départ, que ces nouveaux modes de travail pouvaient créer beaucoup plus de lien. Au final, on se rend compte que la distance constitue un frein non négligeable.
Fatah Boudjelida, managing partner – Operations d’Atoz

Fatah Boudjelida, managing partner – Operations d’Atoz

Quelles sont ces limites auxquelles vous avez été confrontés ?

«Aujourd’hui, après avoir vécu cette expérience, et bien que je sois favorable à ce mode de fonctionnement, je suis convaincu que le télétravail doit être déployé de manière très intelligente et réfléchie. Le télétravail ouvre en effet la voie à une trop grande intrusion dans la vie privée des collaborateurs. Avant la crise, lorsque l’on travaillait depuis son domicile, on utilisait son téléphone. Aujourd’hui, on favorise le fait de se voir en plus de s’entendre, on a davantage recours à la visioconférence. De ce fait, on entre dans l’intimité de ses collègues, de ses collaborateurs. On partage, d’une certaine manière, leur environnement familial. Cette immixtion dans la vie privée des collaborateurs peut, à terme, devenir pesante.

Nous avons aussi pensé, au départ, que ces nouveaux modes de travail pouvaient créer beaucoup plus de lien. Au final, on se rend compte que la distance constitue un frein non négligeable. Le télétravail, lorsqu’il est pratiqué à une aussi grande échelle, peut contribuer à l’isolement, à une certaine fatigue psychologique. Il peut créer une fracture et un manque de relation entre les collègues ou avec les clients. Et la webcam ne parvient malheureusement pas à recréer totalement ce lien social et cette cohésion essentiels au bien-être de chacun et au bon fonctionnement d’une entreprise.

À un moment donné, nous avons d’ailleurs constaté une inversion de la courbe. Au début du confinement, les gens étaient favorables au télétravail puis, progressivement, au fil des mois, nous avons senti une lassitude. Certains souffrent psychologiquement. On parle encore peu de ces difficultés qui, pourtant, sont essentielles à appréhender et à prendre en considération. Aujourd’hui, 10 à 15 % de nos effectifs sont de retour au bureau. Mais nous constatons un réel besoin pour bon nombre d’entre eux de revenir au bureau. Nous avons même une ‘liste d’attente’, car accueillir nos collaborateurs dans les conditions les plus sûres est notre préoccupation n°1. Notre plus grande crainte aujourd’hui est qu’il puisse y avoir des contaminations au Covid-19 sur le lieu de travail. Notre rôle premier, dans une telle situation sanitaire, est plus que jamais d’assurer la santé et la sécurité de nos collaborateurs.

Au-delà de ces aspects humains, tout n’est pas non plus possible en télétravail. De nombreuses activités le sont. Mais les phases d’apprentissage, notamment pour les collaborateurs récemment engagés, la formation et le coaching, eux, sont beaucoup plus difficiles à mettre en place à distance.

Enfin, dans un autre registre, le télétravail limite notre participation à la vie locale et économique du pays. Garder les gens chez eux ne doit pas devenir la norme. Dans pareil cas, ce sont des tissus sociaux et économiques entiers que l’on va détricoter.

La situation actuelle n’est pas sans impact psychologique. Nous devons tenter de réduire l’isolement que certains peuvent ressentir.
Fatah Boudjelida, managing partner – Operations d’Atoz

Fatah Boudjelida, managing partner – Operations d’Atoz

Dès lors, comment parvenir à maintenir le lien avec les équipes ? Quel type de management adopter dans la situation actuelle ?

«La communication et la flexibilité sont les maîtres-mots. Dans un contexte incertain tel que celui dans lequel nous vivons actuellement, les collaborateurs se posent, et c’est bien normal, des questions sur leur avenir. Personne ne peut encore prédire quelles seront les conséquences sociales et économiques de cette crise. Et cela peut faire naître des incertitudes, des doutes. Notre rôle, en tant que managers, est de rassurer nos collaborateurs, de les tenir informés de la situation financière du cabinet de manière totalement transparente par exemple, pour ne pas qu’ils aient d’inquiétudes par rapport au modèle économique de leur entreprise. C’est très important.

Parallèlement, nous devons nous montrer flexibles. La situation actuelle n’est pas sans impact psychologique. Nous devons tenter de réduire l’isolement que certains peuvent ressentir. Nous devons faire preuve de compréhension, d’écoute, de proximité auprès de chacun.

Comment envisagez-vous, aujourd’hui, la situation post-crise sanitaire ?

«Il est clair que le fonctionnement des entreprises en sortira modifié. La gestion des équipes sera beaucoup plus humaine, le management sera bien plus attentif à l’être humain. Nous devrons tirer profit de cette période inédite. La situation que nous vivons depuis plusieurs mois doit être une source d’enseignements. À cet égard, nous avons lancé, au sein d’Atoz, une vaste enquête interne pour percevoir, dans les détails, comment nos collaborateurs vivent cette période.

Il faudra ensuite parvenir à réaliser un vrai travail d’introspection pour trouver le juste équilibre, le bon dosage entre travail à domicile et travail au bureau. La crise a fait tomber les derniers bastions du ‘tout-présentiel’. Nous ne reviendrons jamais à la gestion telle que nous la connaissions avant. En revanche, il faudra veiller à ne pas tomber dans l’autre extrême du ‘tout-en-télétravail’ car aucune nouvelle technologie ne nous permet, à l’heure actuelle, de préserver les contacts humains nécessaires.

De la même manière, avec nos clients, préserver un lien physique sera essentiel. Bien sûr, nous ne nous déplacerons plus comme avant. Mais il faudra continuer à se rencontrer, ne pas organiser uniquement des meetings en visioconférence par exemple. Cette approche est adaptée à la situation actuelle mais il ne faut pas, au sortir de la crise, que cela devienne une habitude. Ne communiquer que de manière virtuelle représente une menace. Une telle démarche risque de casser ces liens humains qui, in fine, constituent la base de nos métiers.»

Cet article a été rédigé pour le supplément «Tax & Legal» de l’édition magazine de   2021 qui est parue le 17 décembre 2020. Le contenu de ce supplément est produit en exclusivité pour le magazine, il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.

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