Vous avez repris l’activité familiale en 2009 et incarnez la troisième génération. Était-ce pour vous naturel de suivre cette trajectoire?
. – «Mes parents ne m’ont jamais mis la pression pour que je fasse ce métier. Mais nous avons vécu ici (au siège de l’entreprise, à Hamm) au deuxième étage de ce bâtiment. Je n’ai jamais eu de sentiment de peur ou de méfiance face aux cercueils, j’ai grandi dans ce milieu. Mais je n’ai vu aucune dépouille avant mes 17 ans.
Pourquoi avoir attendu aussi tard?
«Nous n’avons pas de dépouilles dans ce bâtiment. Mais je me souviens que mon père ne voulait pas que mon frère et moi en voyions. La première fois, c’était au CHL. Il s’agissait d’une dame très âgée, son visage évoquait celui d’une personne qui dormait, tout simplement.
Dans la vie, la seule certitude, c’est qu’un jour nous mourrons. Pourtant, le sujet de la mort semble encore tabou dans la société. Vous ne trouvez pas?
«Exactement. En France et en Belgique, par exemple, il est courant de se réunir autour du défunt pour des veillées. Au Luxembourg, notre travail est chronométré. Nous ne disposons d’ailleurs pas de local pour les corps. Les communes mettent à notre disposition leur morgue, ainsi que les cliniques. J’ai le sentiment que les gens ont du mal face à la mort au Luxembourg.
Sur son site web, Erasmy dit être la première entreprise funéraire au Luxembourg à proposer le recueillement autour du cercueil ouvert et que celui-ci aide à la construction du deuil…
«Les demandes des familles pour ce type de service sont rares. Les règles en vigueur au Luxembourg créent directement une distance entre la famille et le défunt.
Comment cela se fait-il?
«Les dépouilles sont mises en bière et conservées dans des morgues. Il est seulement possible de voir le cercueil fermé à travers une vitre en plexiglas. Sous certaines conditions, on peut organiser une veillée funéraire en petit comité avec le cercueil ouvert. Mais elle est limitée dans le temps et au niveau des lieux, car toutes les morgues ne le proposent pas. Et puis la loi stipule que les funérailles doivent avoir lieu au plus tard 72 heures après le décès. Il est possible de demander une prolongation jusqu’à cinq jours. C’est très court. Dans le même temps, les cérémonies sont brèves. Pour une inhumation au cimetière, cela dure en moyenne une dizaine de minutes. En revanche, il arrive qu’une messe d’hommage au défunt soit organisée, mais sans le cercueil, qui a déjà été inhumé. Aujourd’hui, plus de la moitié des décès sont suivis d’une crémation. Là aussi, la cérémonie d’hommage a généralement lieu autour de l’urne, avant qu’elle soit enterrée ou que les cendres soient dispersées.
La législation actuelle est-elle en phase avec la demande des familles?
«Pas du tout. Nous avons une loi datant de 1913 sur le délai de 72 heures pour tenir les funérailles. Ce texte remonte à une pandémie de peste survenue avant la Première Guerre mondiale. À l’époque, il n’y avait pas de frigos pour les corps.
Une harmonisation européenne des normes funéraires serait la bienvenue.
Ces dernières années, les questions environnementales commencent à toucher le milieu mortuaire. On parle d’humusation, voire de cercueils en carton. Que proposez-vous actuellement?
«Avec Cyrille Bellwald (attaché de direction au sein de l’entreprise, ndlr), nous visitons beaucoup de foires à l’étranger et observons cette demande. Mais les cercueils en matériaux végétaux qui se décomposent rapidement sont interdits au Luxembourg. D’ailleurs, la demande de nos clients ne porte pas vraiment là-dessus, hormis peut-être en ce qui concerne les cercueils sans vernis.
Le Luxembourg est-il en retard sur les autres pays dans cette «verdification» de la demande mortuaire?
«Je dirais plutôt qu’il est plus traditionnel.
Que proposez-vous tout de même compte tenu des restrictions en vigueur?
«Nous proposons les cercueils sans vernis, nous sommes équipés de véhicules électriques pour transporter les défunts et nous étudions une possible installation photovoltaïque.
Les cérémonies sont courtes, mais observez-vous des tendances ou des rituels nouveaux?
«Il y a de plus en plus d’obsèques civiles. Mais, au Luxembourg, cela implique la présence d’un officier de l’État civil pour orchestrer la cérémonie. Et ces personnes n’ont pas forcément le temps de préparer des adieux personnalisés.
Vous proposez aussi des enterrements maritimes ou aériens…
«Lorsque la famille souhaite l’une de ces formules, nous l’accompagnons afin d’organiser ce type d’enterrement dans le pays où cela est possible. Mais, au Luxembourg, on n’a pas le droit de garder une urne chez soi.
Le concept de cimetière forestier semble se développer au Luxembourg…
«Oui, cela vient d’Allemagne, où les cendres sont placées dans une urne biodégradable au pied d’un arbre. Au Luxembourg, les cendres sont dispersées dans un trou au pied d’un arbre. Mais certaines communes n’ont pas de cimetière forestier, alors que, pour y être enterré, il faut que le défunt ait un lien avec la localité. Cette limitation peut créer des frustrations.
Existe-t-il une concurrence entre vous et vos homologues étrangers compte tenu des restrictions au Luxembourg?
«Non, car si des pompes funèbres belges souhaitent venir travailler au Luxembourg pour faire un rapatriement, elles doivent se conformer aux lois luxembourgeoises. De notre point de vue, une harmonisation européenne des normes funéraires serait la bienvenue.

Jean-Paul Erasmy: «Il nous arrive d’avoir des demandes de rituels hindous que nous ne pouvons réaliser, comme un bûcher pour une crémation. Certains demandent à être présents pour la crémation, cela n’est pas possible.» (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)
En avez-vous déjà parlé aux responsables politiques?
«Lorsque j’étais président de la Fédération des entreprises de pompes funèbres et de crémation, j’ai essayé de faire bouger les choses. Mes interlocuteurs politiques se sont tous montrés à l’écoute, mais ils n’ont pas donné suite à mes demandes. Je n’ai pas d’explication sur le pourquoi du comment. Peut-être qu’ils estiment que le système fonctionne tel qu’il est, ou peut-être que la mort est un thème tabou pour eux.
Quelles sont les demandes des familles que vous ne pouvez pas honorer, faute de feu vert réglementaire?
«Il nous arrive d’avoir des demandes de rituels hindous que nous ne pouvons réaliser, comme un bûcher pour une crémation. Certains demandent à être présents pour la crémation, cela n’est pas possible. Par le passé, au crématorium, les proches pouvaient se recueillir et observer le départ du cercueil vers le four crématoire. La vision de cela ayant éprouvé certaines familles, le dispositif a été retiré. Nous sommes également contraints de refuser des demandes d’allongement des délais pour les funérailles, des cérémonies avec cercueil dans les églises (mais cela peut aussi tenir aux curés), des veillées, mais aussi des dispersions de cendres dans les jardins.
Et concernant l’entreprise de pompes funèbres, quels sont les projets qui pointent à l’horizon?
«Nous sommes en train de prendre part au programme Fit4Digital afin d’améliorer notre organisation interne avec moins de paperasse et davantage de confort pour nos salariés. Concernant le métier funéraire, il reste une activité traditionnelle qui ne peut pas être remplacée par des robots ou des IA. C’est un métier très humain, où le contact et l’empathie priment. Nous ne serons sans doute jamais remplacés.»
Une histoire ancrée dans le bois
Au commencement
François Erasmy fonde une menuiserie à Hamm. Après la Première Guerre mondiale, celle-ci s’agrandit et se lance dans la fabrication de cercueils.
Expansion
L’entreprise Erasmy reprend son concurrent Conrardy-Bintner, situé au Limpertsberg. Elle se dote d’un deuxième corbillard pour réaliser ses déplacements.
Deuxième génération
Au décès de son père, Ernest Erasmy reprend l’entreprise. Il fait évoluer l’activité de la menuiserie vers les services funèbres avec l’achat d’un premier corbillard.
Troisième génération
Jean-Paul Erasmy, fils cadet d’Ernest Erasmy, reprend l’entreprise. De 2009 à 2012, il préside la Fédération des entreprises de pompes funèbres et de crémation.
Du Nord au Sud
La société Erasmy Pompes funèbres compte quatre implantations, à Hamm, Ettelbruck, Dudelange et Mersch, où sont employées une quinzaine de personnes.
PARCOURS
Formation
Jean-Paul Erasmy est né le 19 décembre 1981 à Luxembourg. Il étudie le commerce et la gestion au Lycée technique École de commerce et de gestion de 1999 à 2002. Il effectue une série de stages en Allemagne de 2012 à 2013 sur l’aide au deuil ou encore sur les techniques de crémation.
Actionnaire unique
Pour la petite histoire, son frère aîné n’a pas souhaité reprendre l’entreprise familiale. Il a choisi de devenir prêtre. Depuis 2019, la soparfi de Jean-Paul Erasmy, Ganescha Investments, détient 100% de la société familiale.
Cet article a été rédigé pour le supplément ESG de l’édition de parue le 25 octobre 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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