Saïd Aka a un parcours hors du commun. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Saïd Aka a un parcours hors du commun. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Saïd Aka a un parcours hors du commun. Sénégalais d’origine, il décide de venir au Luxembourg pour un avenir meilleur, mais ce choix n’est pas sans embuches.

«Je viens du Sénégal, de Kaolack, commence Saïd Aka. Je suis issu d’une famille religieuse très connue dans ma région. Mes grands-parents étaient des résistants à la domination coloniale, et suite aux conflits, nous avons dû nous réfugier en Gambie. Quand nous sommes revenus au Sénégal, ma famille a arrêté la résistance armée, mais leur résistance pacifique a été de ne pas nous envoyer à l’école française. Je suis allé à l’école corani­que. Pourtant, mon rêve était de faire des études occidentales.»

Enfant, Saïd ne parle pas français. Il apprend cette langue en regardant des films et en écoutant RFI. «J’ai aussi appris l’anglais en écoutant les programmes de la BBC», explique-t-il. Voulant aller plus loin dans son apprentissage, il prend des cours par correspondance, ce qui lui permet d’acquérir un bon niveau de langue. C’est aussi à la radio qu’il entend parler du Luxembourg, «un pays qui était présenté comme offrant beaucoup d’opportunités, explique Saïd Aka. J’ai alors décidé que c’était dans ce pays que je voulais aller.» Pourtant, sa mère s’oppose à ce départ, craignant que son fils ne se perde culturellement. «Je ne voulais pas partir sans l’accord de ma mère, car il n’y a pas pire exil que celui du cœur de sa mère. J’ai demandé à un cousin de m’aider à la convaincre, ce que nous sommes parvenus à faire.» Il prend alors la direction de l’Europe en 2011. «Avant que je parte, ma mère m’a dit une phrase qui a été le socle de mon existence ici. Elle m’a dit: ‘Tu pars pour avoir une vie meilleure, mais sache que chaque chose que tu peux avoir dans les pays occidentaux ne vaut rien si tu perds ta dignité.’ Cette phrase m’a aidé à ne pas sombrer, même dans les moments les plus durs.»

Des débuts difficiles

Et des moments difficiles, il y en a eu: une fois arrivé à Luxembourg, le 28 novembre 2011, en plein hiver, Saïd se loge à l’hôtel quelque temps. Mais les ressources financières s’épuisent et il n’a d’autre solution que de dormir dans la rue, dans les cabines téléphoniques. «Je tenais toutefois absolument à rester propre. C’est comme cela que je suis allé à la piscine de Bonnevoie, ce qui me permettait de me doucher et de dormir un peu sur les transats. Ainsi, je n’ai pas perdu mes forces et j’ai pu continuer à chercher du travail.» Il parvient à se faire embaucher au noir pour faire la plonge dans les restaurants. Avec cet argent, il trouve un logement. Puis, voulant faire du sport, il s’inscrit dans une salle de fitness à Hollerich. Alors qu’il s’entraîne à la boxe, le gérant le repère et lui offre un poste d’agent de sécurité. Il faut dire que la veille, une grosse bagarre avait eu lieu dans le quartier et le besoin était pressant. «C’était la providence, j’ai eu une chance incroyable. Dès le premier soir de mon service, une autre bagarre a éclaté et j’ai réussi à maîtriser la situation. Mon em­ployeur était très content et je suis un peu devenu le chouchou de la rue de Hollerich. J’y ai travaillé pendant trois ans.»

En parallèle de son job, Saïd apprend le luxembourgeois. Il connaît de plus en plus de monde et s’intègre au Luxembourg. Mais son objectif reste son éducation. En janvier 2013, il apprend par les journaux que l’État luxembourgeois accepte de légaliser le statut des sans-papiers qui travaillent, mais avec un CDI. Il prend alors son courage à deux mains et demande ce contrat à son employeur, ce qu’il obtient, mais sous conditions financières. «J’avais des papiers, c’était formidable, mais j’étais de nouveau sans ressources, car tout ce que je gagnais était utilisé pour payer cette dette. Cette période a de nouveau été très dure pour moi, mais j’ai toujours gardé en tête les recommandations de ma mère et ai conservé ma dignité. Pourtant, j’étais vraiment dans une situation d’esclavage moderne. Je me sentais vulnérable, mais je n’ai jamais baissé les bras.» À force de persévérance, sa situation se stabilise. C’est à ce moment-là qu’il découvre l’existence de l’École de la seconde chance (aujourd’hui ENAD, ndlr) et passe avec succès le test d’admission. «Cette formation a été comme une renaissance pour moi. J’avais enfin la chance de pouvoir aller à l’école!»

Être utile à la communauté

Il comprend qu’il souhaite faire un métier de vocation, comme agent des forces de l’ordre ou éducateur. «Mon envie était d’être utile à la communauté.»

Il envoie de nombreux CV, sans succès. Son moral descend en flèche, mais le directeur de l’ENAD le soutient et le remotive. Il finit par décrocher un poste d’éducateur à l’École interna­tionale de Differdange. «C’était formidable! Je travaillais avec les enfants et ça se passait très bien.» Il choisit alors de poursuivre dans cette voie et suit une formation de trois ans pour obtenir un diplôme d’éducateur. «Les professeurs de l’ENAD ont été des guides pour moi. Ils m’ont énormément apporté, m’ont aidé à être formel, efficace, à structurer ma pensée. Ils m’ont ‘humanisé’. Sans cette école, je ne serais pas la personne que je suis aujourd’hui.»

Depuis le 1er mars, Saïd travaille au centre socio-éducatif de Dreiborn. «C’est plus difficile qu’à l’École internationale, mais je me bats. Je sais que mon parcours peut aussi être source d’inspiration pour d’autres personnes, et cela me rend fier.» Son futur? Saïd Aka est confiant et envisage même de passer le concours pour devenir fonctionnaire d’État. Il est aussi très engagé dans le milieu associatif humanitaire au bénéfice de son pays d’origine.

Cet article a été rédigé pour  parue le 24 juin 2021.

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