L’Autorité de la concurrence marche sur un fil tendu entre deux montagnes où pourrait se dénouer le Tour de France tellement elles semblent abruptes: dans son étude sectorielle publiée ce mercredi 19 juillet sur le secteur immobilier, le gardien de la concurrence relève à la fois que «70 à 80% des garanties d’achèvement de contrats (Vefa) sont émises par des assurances, les garanties restantes (20 à 30%) étant octroyées par des banques», et elle recommande, deux pages plus loin, «de clarifier les conditions de marché et de sortir de l’actuelle “zone grise”. L’Autorité recommande ainsi au gouvernement «de tirer les conséquences de la non-conformité du Règlement grand-ducal de 1977 à la Constitution et de formaliser en droit la fin du monopole bancaire en matière de garantie d’achèvement.»
De l’équilibrisme? Non. La description d’une réalité dans laquelle le secteur admet des Vefa venant d’assureurs tout en sachant qu’elles flirtent avec la légalité tandis que les champions nationaux de l’assurance: Foyer, Lalux ou Bâloise, n’y vont pas. Pour deux raisons. Un parce que ce n’est ni interdit ni légal. Deux parce que le respect de la loi du 21 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme – injustifié selon les acteurs qui ont répondu à l’Autorité – se traduirait par lourdeur administrative et coûts supplémentaires en personnels afin de respecter les obligations professionnelles découlant des textes.
1.170 Vefa, chiffre en dessous de la réalité du marché
Selon les chiffres recueillis par l’Autorité de la concurrence, près de 1.170 contrats Vefa existaient fin 2022 pour des appartements, chiffre qui ne tient pas compte des maisons et qui exclut les ventes groupées d’appartements (vente de plusieurs appartements via un même acte notarié). Si on ignore le montant des Vefa du côté des assureurs, l’étude sectorielle livre des chiffres astronomiques pour le secteur bancaire, chiffres qui reprennent aussi des cautionnements similaires pour d’autres types de contrats (travaux publics, contrats de construction, etc.):
— Spuerkeess (2022): 385.941.047 euros, en baisse de 21% par rapport à 2021
— ING (2021): «le portefeuille immobilier (vue immobilière transactionnelle) représente 1,27 milliard d’euros en termes de limites et 0,93 milliard d’euros en termes d’encours. Le financement de la construction, représenté par le crédit à la construction ou l’émission de garanties d’achèvement, en est majoritaire.»
— Banque Raiffeisen (2022): 132.824.909,39 euros de «cautionnement et actifs donnés en garantie» en 2022.
— BIL (2022): 999.158.159 euros sous le chiffre «Guarantees given to customers».
— BGL/BNP Paribas (2022): 256 millions d’euros pour ses «dépôts de garantie versés et cautionnements constitués».
Les assureurs prennent plus de risque
Ces montants faramineux (de 2 à 3 milliards selon nos calculs imparfaits) ne comprennent donc «que» 20 à 30% du marché luxembourgeois du cautionnement puisque les assureurs amènent le reste. Pourquoi? Parce que les assureurs sont moins exigeants avec les préventes que les banquiers. 50% de préventes suffisent en général pour les premiers, 75 à 80% sont exigés par les seconds, qui prennent simplement moins de risques dans ces contrats obligatoires pour le promoteur. Si le promoteur a déjà vendu quatre appartements sur cinq, il recevra au fur et à mesure les parts de financement de travaux prévus par la loi et il risquera moins de se trouver sans liquidité avant que l’immeuble ou les appartements soient construits.
«Les seules garanties financières d’achèvement reconnues par le Règlement grand-ducal de 1977, dans le cadre de la vente en l’état futur d’achèvement, sont celles émanant d’un établissement bancaire et d’épargne.» Les assureurs sont donc obligés d’informer leurs clients de cette particularité qui «entraîne également une irrégularité des contrats de Vefa au regard des exigences prévues par l’article 1601 – 5 du Code civil», irrégularité qui ne peut pas être invoquée en pratique…
L’Autorité de la concurrence suggère donc de supprimer le règlement, qui n’a de toute façon pas de valeur de loi pour respecter la concurrence entre les acteurs des deux familles. Surtout que l’activité des assureurs fait «l’objet d’une régulation sectorielle, mise en œuvre par le Commissariat aux Assurances au Luxembourg».
Un autre souci relevé par Eurocaution
Sans compter que les établissements bancaires, au nom de la diversité prudentielle de leur activité, ne pourraient répondre aux besoins du marché!
Cité dans le document de l’Autorité de la concurrence, le CEO d’Eurocaution, Alessandro Rizzo, qui a toujours défendu la même position sur l’abolition, pointe sur Linkedin une autre difficulté à résoudre en même temps: «Un sujet n’a pas été abordé dans l’étude sectorielle: les conditions financières et juridiques imposées par les banques dans le cadre de financement des projets immobiliers. Beaucoup de nos clients/prospects ne peuvent devenir des clients de compagnies d’assurances par crainte que la banque leur refuse leur crédit pour l’achat de foncier et/ou par crainte de leur relation commerciale avec la banque.»
Signe, comme souvent, que rien n’est jamais si simple.