Depuis les années 1990, Stéphane Couturier s’intéresse aux bâtiments, à l’architecture, aux chantiers, et avoue être fasciné par l’aspect pictural qui se dégage de la photographie. Il n’hésite pas à utiliser la frontalité, réalise un travail sur la couleur et poursuit ses explorations autour de l’architecture, la ville, les chantiers…
Melting Point
Pour l’exposition curatée par Paul di Felice pour l’association Café-Crème à la Arendt House, le photographe présente une série d’œuvres récentes intitulée «Melting Point». «Il s’agit d’œuvres qui sont composées à partir de l’association de deux images», explique le photographe. «Depuis l’apparition de la photo numérique, j’ai beaucoup réfléchi à ce qu’est la photographie en tant que medium. Cette série est un aboutissement de cette recherche, le point de fusion entre deux images issues de contextes différents qui, une fois assemblées, perturbe la lisibilité des images initiales. La photo est ici utilisée comme une matière première que je retravaille, à l’image de ce que pourrait faire un peintre.»
C’est ainsi qu’on découvre des photos du port de Sète qui sont associées à des photos du tableau «Le Grand remorqueur», peint par Fernand Léger en 1923. Le point commun entre Stéphane Couturier et Fernand Léger? Le goût du rythme, de la couleur, des transformations urbaines.
«J’associe les deux images et je travaille par ordinateur les transparences et les opacités pour créer un nouvel équilibre et une nouvelle image. Ce travail me permet de sortir de l’aspect statique de la photo pour aller vers une image plus fluide, plus dynamique. Mais je conserve quand même une racine documentaire, nous ne sommes pas dans la fiction. Toutefois, il y a plusieurs niveaux de lecture des images. Un peu à la manière cubiste, je fragmente, déconstruis et reconstruis. On est dans l’idée d’une photographie synthétique.»

Série «Les Nouveaux Constructeurs» Sète – Pont Sadi Carnot n° 2, 2018. (Photo: Stéphane Couturier)
En plus de cette série, Stéphane Couturier présente également quelques œuvres issues de la série «Les Nouveaux Constructeurs». Selon le même principe, ces photographies sont le résultat d’un assemblage, mais dont l’iconographie est plus proche du monde de la construction. On y voit des ponts, des éléments métalliques, des éléments de chantier.
On retrouve aussi avec plaisir des œuvres plus anciennes, datant de 2005, réalisées dans les usines de Toyota à Valenciennes. «Pour ces photos, je me suis demandé comment parvenir à rendre compte de l’activité assourdissante qu’il y avait dans cette usine. Par le télescopage des éléments, on perd ses repères, on est assailli par une grande quantité d’éléments qui confèrent une sonorité à l’image, une résonance. Je montre la matière, tout ce qui fait un lieu, avec toutes ces composantes, comme un réservoir de formes, de matières et de couleurs que je retravaille par la suite.»

Série «Chandigarh Replay» – Haute Cour de Justice n° 1, 2006-2007. (Photo: Stéphane Couturier/ADAGP)
Cette approche de superposition est aussi appliquée à la série «Chandigarh Replay», réalisée suite à un séjour de l’artiste sur le site construit par Le Corbusier en Inde. «Pour cette série, je me suis demandé comment aborder ce site si connu et déjà photographié de nombreuses fois, notamment par Lucien Hervé. Alors je me suis intéressé à la dualité, qui est un thème important à la fois pour moi et pour Le Corbusier, puisqu’il y a deux Le Corbusier: l’architecte et l’artiste. C’est pourquoi j’ai choisi d’associer des photographies de ses œuvres et des photographies de ses bâtiments. Le résultat est à la fois une synthèse et une question. Est-ce la réalité, est-ce une fiction? Pour moi, il ne s’agit pas de fiction, mais plutôt d’une forme de réalité augmentée, une réinterprétation du réel enregistré.»
Arendt House, 41, avenue John F. Kennedy à Luxembourg-Kirchberg, jusqu’à fin février. Entrée libre.