Cédric Jadoul  (country leader de  Fujitsu Luxembourg): «Depuis la signature du contrat jusqu’à l’échéance des six premiers mois, on effectue un suivi millimétré de la personne recrutée.» (Photo: Leo Biewer/Maison Moderne/Archives)

Cédric Jadoul (country leader de Fujitsu Luxembourg): «Depuis la signature du contrat jusqu’à l’échéance des six premiers mois, on effectue un suivi millimétré de la personne recrutée.» (Photo: Leo Biewer/Maison Moderne/Archives)

Depuis l’instauration d’un nouveau programme de carrière professionnelle, Fujitsu Luxembourg se targue du titre de champion d’Europe de l’engagement des collaborateurs au sein du groupe japonais où sa démarche commence à être dupliquée.

, 41 ans, est de nature fidèle. L’an prochain, le nouveau patron de Fujitsu Luxembourg fêtera ses vingt ans de présence au sein de la filiale grand-ducale du géant japonais (130.000 collaborateurs dans le monde), sise à Capellen. Mais celui qui, l’automne dernier, a succédé à Marc Payal (23 ans de service quant à lui) au poste de country leader ne le sait que trop: dans le contexte actuel, sa longévité relèverait presque de l’anomalie.

«Le marché du travail est de plus en plus compétitif, il est de plus en plus complexe d’attirer et de fidéliser les meilleurs talents», analyse le dirigeant. Constat d’autant plus prégnant «dans l’IT, et plus généralement dans la digitalisation, qui connaissent un grand boom depuis sept ou huit ans». «Il y a une volonté forte d’investir de la part des entreprises. On le voit avec l’intérêt pour les technologies liées à l’intelligence artificielle au cours des douze derniers mois. À présent, l’innovation drive le business des entreprises. Cela change complètement le paradigme et l’appétit des organisations à lancer des projets. Or qui dit appétit croissant dit demande croissante, également, de talents. «Qui sont parfois assez rares», poursuit le dirigeant.

La question a été de savoir ce que l’on pouvait faire, dynamiquement et localement, pour permettre qu’un employé se sente bien chez nous.
Cédric Jadoul

Cédric Jadoulcountry leaderFujitsu Luxembourg

Rien de neuf sous le soleil, dira-t-on. Si ce n’est qu’avant d’en prendre les rênes en tant que numéro 1, Cédric Jadoul occupait la fonction de directeur des services chez Fujitsu Luxembourg. Et qu’un jour il en a eu marre d’enregistrer, impuissant, démissions d’un côté et difficultés de recrutement de l’autre. Quelque temps avant le Covid, en 2020, il a pris les choses en main en formant une task force «dédiée» de trois collaborateurs, chargée, dans un premier temps, «de collecter, à travers une série de surveys, les feedbacks du terrain». Pourquoi certaines personnes tournent-elles le dos à la société? Qu’ont envie de faire celles qui sont là? «On fait partie d’un groupe, et ce groupe apporte déjà une certaine valeur et de la structure en ressources humaines. Mais parfois aussi un peu de lourdeurs, il ne faut pas s’en cacher. La question a donc été de savoir ce que l’on pouvait faire, dynamiquement et localement, pour permettre qu’un employé se sente bien chez nous et pour détecter à l’avance un éventuel départ. À l’arrivée, on a listé différentes priorités que l’on a ensuite mises en place dans un programme via une série d’actions.»

Baptisé Boost, ce programme de carrière consiste à escorter le salarié de son arrivée chez Fujitsu jusqu’à… son départ à la retraite. Ni plus ni moins. On peut résumer ce parcours «employee experience» en trois grandes étapes. Formation continue, développement professionnel et bien-être au travail en sont les fondements.

1. L’attractivité

Ambition: «Permettre aux consultants de considérer Fujitsu en tant qu’employeur de choix sur le marché, et de se différencier en tant qu’acteur de l’innovation à travers notre capacité à les faire travailler sur des projets intéressants. Et différenciants, eux aussi.»

La démarche s’accompagne d’une aide à l’installation dans le pays, via la recherche d’un logement par exemple.

2. L’onboarding

«Depuis la signature du contrat jusqu’à l’échéance des six premiers mois, on effectue un suivi millimétré de la personne recrutée», explique Cédric Jadoul. Le jour de son embauche, tout arrivant se voit remettre une box employé, aussi sympa à déballer qu’un coffret d’iPhone, selon son dirigeant, grand fan d’Apple. «On recherche l’effet waouh.»

Environ deux semaines auparavant, le collaborateur nouvellement recruté aura été invité à télécharger l’application mobile interne conçue à destination des salariés, afin de «commencer à rentrer dans le processus applicatif». Au bout du premier mois, un lunch «new joiners» est organisé, avec intervention de différents services (marketing, RH, IT, direction, etc.).

Et, jusqu’à la fin de la période d’essai, «l’équipe Experience Studio prend régulièrement contact avec le salarié afin de l’upgrader dans la connaissance de l’entreprise, mais également dans la mise en relation avec ses pairs techniques».

3. L’évolution de carrière

«Je suis développeur applicatif avec des envies de devenir chef de projet, ou spécialiste de l’intelligence artificielle, ou architecte cloud, quelles sont les étapes que je dois franchir? Quelles sont les formations, certifications et discussions avec mes collègues spécialistes que je dois avoir pour petit à petit m’amener à ce level qui m’intéresse? Tous les chemins de carrière ont été dessinés dans Boost», assure Cédric Jadoul. Idem avec le reskilling, autre levier de fidélisation.

Ne change pas de boîte, viens nous le dire, on a des projets dans tous les sens.
Cédric Jadoul

Cédric Jadoulcountry leaderFujitsu Luxembourg

En parallèle, l’équipe de collaborateurs dédiée se rend «une ou deux fois par mois» à la rencontre des personnels en mission chez un client. Afin de prendre la température sur le terrain. Et d’éviter la situation où «un consultant présent chez nous cinq ans s’en va parce que sa mission ne lui plaît plus. Tu commençais à t’ennuyer? Tu avais envie de voir autre chose? Ne change pas de boîte, viens nous le dire, on a des projets dans tous les sens.»

Des projets d’ailleurs consultables dans l’application interne, entre autres infos destinées à doper le «sentiment d’appartenance» à l’entreprise. «Sur 220 collaborateurs, 160 sont chez les clients. 160 personnes que vous ne voyez pas tous les jours, et qui finissent par appartenir davantage aux clients qu’à la maison mère. Cela avait été l’un des points prioritaires dans le survey que l’on avait fait: la communication, comment garder le contact avec les gens. Ce sont eux, notre fuel. On souhaite qu’ils soient des ambassadeurs de Fujitsu.»

Premiers résultats concluants

Aucun chiffre n’est divulgué, il faut donc croire Cédric Jadoul sur parole lorsqu’il affirme que le programme Boost aurait, depuis son lancement, participé au ralentissement de la vague de départs dans la firme tout en gonflant l’enveloppe de recrutements. La stratégie a certes été élaborée en complément du travail des RH, mais aussi en dehors d’elles. «Les RH sont transverses par rapport au groupe, pour appliquer les procédures, et à côté de ça, on a cette équipe qui met les mains dans le cambouis. Des gens du métier qui parlent à des gens du métier, en ne se consacrant qu’à ça.»

Des gens du métier qui parlent à des gens du métier, en ne se consacrant qu’à ça.
Cédric Jadoul

Cédric Jadoulcountry leaderFujitsu Luxembourg

Le tout s’est mis en place sans que Tokyo n’y trouve à redire: «Les Japonais sont dans une culture où l’intrapreneuriat est très sollicité. Certains éléments font partie du groupe, comme les formations obligatoires. Mais on a très peu d’obligations de faire des choses bottom-down. Et, surtout, on a la possibilité d’avoir un raisonnement local dans la création d’un nouveau business, d’une nouvelle offre de service client ou, comme ici, d’une entité ‘employee experience’ dans laquelle vous dépensez de l’argent pour y mettre des personnes. Si vous parvenez à diminuer les démissions, donc à garder des collaborateurs, donc à garder des contrats de service, donc à accroître votre business, le business case est facilement calculable.»

Et transposable, aussi. Actuellement, Fujitsu Luxembourg aide la grande sœur belge du groupe au déploiement d’un programme identique. Copié, car salué en interne. Selon Cédric Jadoul (qui consent à fournir ce chiffre-ci), le score d’engagement, fruit de surveys organisés tous les six mois et calculé sur 100, aurait bondi de 68 à 81 récemment. Parmi la trentaine de filiales implantées en Europe, aucune autre ne ferait mieux.