Olivier Goemans, head of investment services and innovation à la BIL. (Photo: BIL)

Olivier Goemans, head of investment services and innovation à la BIL. (Photo: BIL)

Devons-nous nous attendre à un retour de l’inflation en Europe? Pour mieux envisager les scénarios futurs, Olivier Goemans, head of investment services and innovation à la BIL, revient sur les mécanismes qui provoquent inflation et déflation.

Les débats sur les anticipations d’inflation sont souvent considérés comme les plus ennuyeux. Néanmoins, l’inflation constitue à nos yeux l’enjeu le plus important à long terme pour les investisseurs.

Ses principaux déterminants sont la croissance économique, l’ampleur des ressources inexploitées dans l’économie, les fluctuations des prix des matières premières, les taxes et les salaires, ainsi que le commerce international et l’organisation des chaînes d’approvisionnement. La vitesse de circulation de la monnaie est également un ingrédient essentiel dans la recette de l’inflation. Si elle s’accélère, cela veut dire que le nombre de transactions augmente. L’inflation pointe le bout de son nez lorsqu’il y a «trop d’argent pour trop peu de biens disponibles». De ce point de vue, pour l’inflation, les facteurs comportementaux sont tout aussi pertinents que l’économie.

Les anticipations sont essentielles

Par expérience, la meilleure façon de prévoir l’inflation consiste à l’envisager comme une sorte d’aimant. La perspective d’une inflation galopante alimente l’inflation et la perspective de la déflation alimente la déflation. Les anticipations jouent un rôle essentiel. Si l’inflation est faible, les gens s’attendront à ce qu’elle le reste l’année suivante, et inversement. La faiblesse de l’inflation dans les économies développées ces dernières années est imputable, entre autres, à la mondialisation, à la démographie et à la crédibilité des banques centrales dans la lutte contre l’inflation. Force est de constater que l’inflation est têtue: lorsqu’elle est faible, elle a tendance à le rester.

Vient ensuite la théorie du ketchup formulée par Nassim Taleb: «Le problème avec l’inflation est qu’elle n’est absolument pas linéaire. C’est comme une bouteille de ketchup: rien ne vient, puis son contenu gicle soudainement.» Nombreux sont ceux qui s’attendaient à un regain d’inflation causé par la relance monétaire, mais cela n’est pas arrivé en raison de l’effondrement de la vitesse de circulation de la monnaie. La différence aujourd’hui, c’est que la relance monétaire s’accompagne désormais d’une relance budgétaire. Les banques centrales veulent une inflation plus forte, mais pas trop non plus, car elles savent à quel point il est difficile de la faire redescendre.

Les banques centrales veulent une inflation plus forte, mais pas trop non plus, car elles savent à quel point il est difficile de la faire redescendre.
Olivier Goemans

Olivier Goemanshead of investment services and innovationBIL

Au mois d’août, la Fed a pris la décision historique de modifier sa politique monétaire en visant désormais une inflation moyenne de 2% au fil du temps. Si vous êtes d’avis qu’une Fed déterminée et guère préoccupée par un dérapage de l’inflation a la capacité d’orchestrer une hausse générale des prix, alors il faut se préparer à ce que l’inflation dépasse 2% dans un avenir proche et à ce que les anticipations d’inflation à long terme s’ancrent plus solidement aux alentours des 2%.

Un dérapage de quelques points de pourcentage serait acceptable, pour peu qu’il soit temporaire. Mais un dérapage plus important serait un problème pour les investisseurs et pour la valorisation des actifs financiers. Les portefeuilles s’en trouveraient affectés, car l’inflation entraîne une érosion de la valeur des flux de trésorerie futurs. Une inflation plus forte, mais contrôlée profiterait aux actifs réels, mais pas aux obligations (à l’exception de celles indexées sur l’inflation). Telle est la situation que reflètent actuellement les cours aux États-Unis: un regain modéré d’inflation qui est bon pour les bénéfices, sans pour autant que la Fed entre en somnolence, incapable de déceler des tensions malsaines sur les prix.

Pas une menace à court terme

L’accélération de l’inflation n’est pas une menace immédiate, car le monde est actuellement confronté à une profonde récession. Dans un premier temps, la pandémie s’est traduite par un choc d’offre, mais les effets de second ordre génèrent à présent un choc considérable sur la demande globale. L’impact global sur les prix dépendra du choc qui l’emportera, mais, à ce stade, il semble que les forces déflationnistes continueront de l’emporter en Europe.

Il pourrait y avoir des variations de prix relatifs significatives avec l’augmentation des prix de certains biens de première nécessité et un rattrapage de la demande refoulée. Toutefois, les prix des services et d’autres biens pourraient diminuer en raison d’une modification structurelle des comportements résultant de la pandémie.

Malgré l’expansion monétaire à l’échelle mondiale et une relance budgétaire qui atteint des proportions inédites ces derniers mois, le risque d’inflation nous semble plus faible que ne le pensent beaucoup d’investisseurs. Cela est notamment vrai en Europe, où il n’est même plus nécessaire de remettre la bouteille de ketchup au réfrigérateur, car elle est quasiment vide. Bienvenue sur le continent de la «non-inflation».