À l’occasion de ses 40 ans, l’Asti se penche sur la question des frontaliers. (Photo: Nader Ghavami)

À l’occasion de ses 40 ans, l’Asti se penche sur la question des frontaliers. (Photo: Nader Ghavami)

Évolution des profils dans le temps, motivations pour venir travailler au Luxembourg, secteurs d’activité et défis à venir… Dix questions pour analyser le phénomène frontalier suite à une conférence-débat de l’Asti.

Le frontalier fait-il l’aller-retour au Luxembourg uniquement pour venir travailler, dans le domaine de la finance, attiré par un salaire avantageux? Des stéréotypes qu’a tenté de déconstruire l’Asti (Association de soutien aux travailleurs immigrés) en organisant une conférence-débat sur le thème «Les frontaliers du Luxembourg: au-delà des idées reçues» le mercredi 13 janvier, modérée par , journaliste pour Paperjam. Invités, les chercheurs Isabelle Pigeron (Université du Luxembourg) et Rachid Belkacem (Université de Lorraine) ont notamment analysé l’hétérogénéité des profils des frontaliers, et les défis qui les attendent.

1) Le phénomène des frontaliers est-il récent?

Aujourd’hui, environ 200.000 frontaliers viennent travailler au Luxembourg, représentant près de 45% du nombre total de salariés. Le phénomène s’est amplifié au fil des années, mais il n’est pas récent. Les dernières études complètes remontent à 1994, selon les deux chercheurs. À cette époque, on comptait déjà 50.000 frontaliers, soit un quart des travailleurs du Grand-Duché. Ceux de France ont toujours représenté à peu près la moitié des frontaliers, alors que la proportion de résidents belges par rapport aux Allemands a légèrement diminué. En revanche, le pourcentage d’immigrés étrangers travaillant au Luxembourg n’a pas évolué, tournant autour de 28%. Si l’on remonte aux années 70, on notait déjà 10.000 frontaliers.

La crise a cependant ralenti le phénomène, notamment avec une diminution des recrutements en intérim. Si en 2019, le pays a accueilli 9.310 nouveaux frontaliers, ils n’étaient plus que 2.830 en 2020.

2) Les frontaliers vivent-ils près de la frontière?

Pour la plupart, oui. La moitié des frontaliers de France vivent dans les environs de Thionville. 73% des Belges résident dans la province de Luxembourg. Et près de la moitié des Allemands habitent Trèves et ses environs. On remarque cependant au fil des années une attractivité pour des villes un peu plus lointaines, comme Metz en France ou Bastogne en Belgique, accessibles par le réseau ferroviaire ou autoroutier.

3) Y a-t-il peu de frontalières?

Le phénomène touche surtout les hommes, ce qui était déjà le cas en 1994. Actuellement, seulement 33% des frontaliers d’Allemagne sont des femmes. En Belgique, elles sont 32,8%, et en France 37,6%. En cause, des stéréotypes qui subsistent et influencent toujours les comportements. «Les hommes sont plus enclins à la mobilité transfrontalière parce que les femmes sont encore bien souvent en charge de l’organisation familiale», explique Isabelle Pigeron.

4) Les frontaliers sont-ils plus jeunes que les résidents?

C’était le cas en 1995, mais, depuis, «les frontaliers ont vieilli» et la différence d’âge se réduit. Ceux de France ont en moyenne entre 40 et 41 ans. Ceux venant de Belgique entre 40 et 42 ans et ceux d’Allemagne entre 42 et 43 ans. Alors que l’âge moyen se situe aux alentours de 41 ans pour les résidents luxembourgeois. Cela s’explique par des carrières plus longues et un allongement de la durée des études.

5) Viennent-ils au Luxembourg pour avoir un meilleur salaire?

Dans un sondage réalisé en 2020, l’Asti a demandé à 500 participants des différents pays frontaliers pourquoi ils venaient travailler au Luxembourg. Sans surprise, 71% ont répondu que c’était pour le niveau de salaire avantageux que propose le pays. 51% ont également indiqué avoir trouvé au Luxembourg un travail correspondant à leurs qualifications. 27% expliquent leur choix par l’absence de travail dans leur région. Pour 24%, le Luxembourg représente un tremplin professionnel.

L’argument salarial est surtout important pour les jeunes, puisque 82% des 18-34 ans l’ont mis en avant.

6) Les frontaliers travaillent-ils surtout dans la finance?

Pas forcément. Les cinq principaux secteurs d’activité des frontaliers sont en fait, en première place, le commerce (15,5%). En seconde, la construction (13,8%). La finance n’arrive que troisième au classement (11,8%). Viennent ensuite l’industrie (10,8%) et les activités spécialisées scientifiques et techniques (10,4%).

Au contraire, les frontaliers sont sous-représentés dans certains secteurs, comme l’administration publique qui demande une maîtrise des trois langues.

7) Représentent-ils un groupe homogène?

Difficile de parler des frontaliers comme d’un groupe homogène de travailleurs. De nombreuses différences existent. D’abord, chaque pays a ses secteurs. Par exemple, les activités de services administratifs et de soutien représentent l’un des quatre principaux secteurs d’activité des frontaliers français, mais pas les activités financières, qui apparaissent pourtant dans les secteurs principaux de l’Allemagne et de la Belgique.

Les frontaliers sont aussi plus nombreux que les résidents à disposer d’un diplôme supérieur ou égal à Bac+3, ceux de Belgique étant les plus diplômés dans l’ensemble.

8) Les frontaliers viennent-ils au Luxembourg juste pour travailler?

Les frontaliers semblent bien intégrés et 46% se disent en contact régulier avec des Luxembourgeois dans leur vie privée. Ils sont 70% chez les Allemands, 47% chez les Belges et 36% chez les Français. Dans leur vie professionnelle, ils sont 69% au total. Le sondage réalisé par l’Asti montre aussi que les frontaliers sont nombreux à suivre les médias qui leur sont consacrés (75% de manière hebdomadaire), à suivre l’actualité politique et sociale du Luxembourg (54%) et à fréquenter les magasins du pays (49%). «L’image du frontalier qui ne fait que l’aller-retour est écornée», estime alors Isabelle Pigeron.

Invitée lors du débat, Sophie Langevin, metteuse en scène de la pièce «Les frontalières» pour laquelle elle a interrogé plusieurs femmes travaillant au Luxembourg et résidant de l’autre côté de la frontière, note cependant que beaucoup souffrent des préjugés. D’un côté, elles sont vues comme les «riches» qui travaillent au Luxembourg et, de l’autre, comme celles qui viennent au Luxembourg chercher des sous sans y dépenser leur argent.

9) Passent-ils seulement le début de leur carrière au Luxembourg?

On pourrait croire que les frontaliers viennent au début de leur carrière et retournent dans leur pays de résidence quelques années plus tard, lassés de la route, lorsqu’ils démarrent une vie de famille et veulent récupérer en qualité de vie. Chloé Philibert, directrice des ressources humaines chez PwC, où 7% des employés ont la nationalité luxembourgeoise et 52% y résident, confirme qu’il est plus facile de recruter des juniors, qui ne restent souvent que quelques années. Cependant, les profils expérimentés restent plus longtemps, parce qu’ils viennent s’installer au Grand-Duché avec leur famille, devenant moins mobiles.

10) Les frontaliers devront-ils faire face à de nombreux défis dans le futur?

On prévoit plus de 100.000 frontaliers supplémentaires en 2035. Face au vieillissement de la population frontalière, l’une des problématiques sera de rajeunir les équipes. Les chercheurs ont aussi analysé les compétences les plus recherchées chez les frontaliers de demain. En matière de soft skills, ils notent la capacité à s’adapter et à être flexible, le professionnalisme et la capacité à travailler en équipe. Côté hard skills, on se dirige surtout vers l’informatique, l’économie, la gestion, les langues étrangères et, de manière générale, une certaine pluridisciplinarité. «On va constater sans doute, dans les prochaines années, une élévation du niveau de qualification moyen des emplois.» Télétravail, automatisation des tâches… feront aussi partie des grands sujets des prochaines années.