Il y a un an et demi, avec un manque de capacité, des routes aériennes plus longues, un kérosène plus cher et un besoin accru en équipage. Résultat, les prix étaient au plus haut, tout comme les bénéfices des acteurs du fret, qu’ils soient aériens ou maritimes. À titre d’exemple, Cargolux, septième acteur mondial sur le fret aérien, a engrangé près de .
Mais le vent a tourné et le marché du fret fait maintenant face à une surcapacité et une baisse importante des tarifs. «Les prix sont écrasés et l’on se retrouve parfois avec des tarifs plus bas qu’avant la pandémie», lance le CEO de EZ Cargo (broker en fret aérien basé à l’aéroport de Liège), Nicolas Simons.
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Dans le fret aérien, au plus fort de la crise, les tarifs ont explosé autour de cinq euros le kilo transporté, contre 0,60 centime avant la crise sanitaire. «On a vu des tarifs pour du fret Chine-Europe aller jusqu’à 14 euros le kilo. En moyenne sur la liaison Liège – États-Unis, nous étions sur du 3,5 euros le kilo transporté. Aujourd’hui, les tarifs sont écrasés. Le kilo transporté depuis la Chine est à 0,40 euro, c’est un peu en dessous du tarif d’avant la crise. Le gagnant est désormais l’expéditeur ou l’importateur après s’être fait massacrer au niveau des prix pendants trois ans», explique Nicolas Simons.
(IATA), en août dernier, le trafic mondial était en baisse de 3,4% en juin et de 8,1% en cumul au premier semestre, et même en recul pour le 16e mois consécutif. Selon Airports Council International Europe (ACI Europe), le volume de fret traité dans les aéroports européens était en baisse de 7,1% par rapport à 2019 au premier semestre 2022 et en recul de 11,7% sur le second semestre.
Quand les armateurs s’invitent dans le ciel
La surcapacité sur le marché du fret s’explique à plusieurs niveaux. Le premier étant le retour des avions avec des passagers dans la mesure où certaines compagnies aériennes comme Lufthansa ou Air France peuvent embarquer du fret et des passagers. «Sur un Paris-Dakar, Air France arrive à combiner les deux, passagers et fret, et le vol sera en partie payé par les passagers», assure Nicolas Simons.
D’un autre côté, sous l’effet euphorisant des trois dernières années, certaines compagnies de fret maritime ont investi dans le fret aérien. Profitant des revenus extraordinaires en hausse pendant la pandémie, les armateurs ont souhaité intégrer de l’aérien afin de développer des produits flexibles alliant le transport par mer et par terre en fonction de la demande.
On a vu une réelle tendance des armateurs à mettre en place une stratégie intégrée avec du fret aérien et maritime. Ce qui va créer sur le marché du fret une surcapacité et une compétition concurrentielle accrue dans une période avec une demande en baisse
Ainsi, en mai 2022, CMA CGM a acquis 9% du capital d’Air France-KLM afin de profiter des six Boeing 747 et 777 cargo d’Air France-KLM et des soutes de ses quelque 160 avions long-courriers. Air France a d’ailleurs augmenté ses capacités de fret en utilisant ses avions Beluga auparavant uniquement destinés aux transports de pièces pour Airbus. En septembre 2022, le géant des mers MSC a ouvert sa division MSC Air Cargo et a commandé quatre Boeing 777-200. Une décision qui est intervenue après l’échec de la reprise, avec Lufthansa, de la compagnie aérienne ITA Airways. «On a vu une réelle tendance des armateurs à mettre en place une stratégie intégrée avec du fret aérien et maritime. Ce qui va créer sur le marché du fret une surcapacité et une compétition concurrentielle accrue dans une période avec une demande en baisse», analyse Nicolas Simons. «D’un autre côté, les prix du fret maritime ont également baissé. Le prix d’un conteneur est passé de 900 euros à 15.000 euros pendant la pandémie. Aujourd’hui, les prix ont nettement baissé et une demande en baisse en raison de l’inflation. Résultat, nous avons des clients avec des stocks, mais beaucoup moins pressés. Ils optent donc pour le fret maritime au lieu de l’aérien. Il y a un gros dérèglement sur le marché du fret. Un rééquilibrage va s’opérer, je pense pour le quatrième trimestre 2024, avec un épurage du marché. Il sera alors intéressant de voir qui en sort gagnant», ajoute le broker.
Un ventre mou à épurer
«Cet épurage devrait se faire parmi le ventre mou des acteurs du fret aérien», estime Nicolas Simons. Pour ce dernier, il existe trois types d’acteurs. «Il y a les compagnies dites “premium” comme Emirates. Elle a créé un produit de fret arien sur mesure et ultra fiable pour le secteur pharmaceutique en Belgique. Pour le Luxembourg, je considère que Cargolux est clairement dans ce groupe ultra fiable et j’ai été très étonné par le mouvement social qui a impacté la compagnie», explique Nicolas Simons. «Viennent ensuite les compagnies aériennes travaillant notamment pour le e-commerce. Elles jouent sur le volume et reportent les prix sur l’exportateur chinois qui va payer le vol. Enfin, il y a le ventre mou, qui se situe entre les deux avec des acteurs qui proposent un service “moyen”, à peine rentable, avec des horaires de vol irrégulier, des vols annulés, car pas assez remplis, etc. C’est là, je pense, que l’on va assister à un rééquilibrage.»
Enfin, dernier détail non négligeable, l’instabilité géopolitique qui impacte les liaisons aériennes. «La fin de la guerre en Ukraine serait une bonne chose. Ne pas pouvoir survoler la Russie a un réel impact sur le fret aérien. Tout comme les différents coups d’État en Afrique. Récemment, lors du coup d’État au Niger, le pays a fermé son espace aérien, et ça a été très compliqué au niveau du fret. Désormais, c’est la première chose que je fais le matin, regarder les actualités», avoue Nicolas Simons.