«Nous ne sommes pas contre l’immigration, mais contre l’immigration illégale», résume Fred Keup. Un exercice d’équilibriste sur une question délicate. (Photo: Romain Gamba / Maison Moderne)

«Nous ne sommes pas contre l’immigration, mais contre l’immigration illégale», résume Fred Keup. Un exercice d’équilibriste sur une question délicate. (Photo: Romain Gamba / Maison Moderne)

Le porte-drapeau du «non» au droit de vote des étrangers lors du référendum de 2015 fera son entrée à la Chambre des députés mercredi lors de l’ouverture de la session parlementaire 2020-2021. Rencontre avec un impétrant qui rajeunit l’image – mais pas les idées – de l’ADR.

Fred Keup nous reçoit à la fraction de l’ADR, passée de l’étroite rue de la Loge à la rue Notre-Dame avec vue – s’il vous plaît – sur la Gëlle Fra et le Schloss de la Spuerkeess, deux silhouettes si hautement symboliques pour le Grand-Duché. Que rêver de mieux pour un parti qui revendique son attachement aux racines et valeurs fondatrices du pays!

Costume bleu, cravate rose, le futur député se prête de bonne grâce à l’exercice de l’interview, quoique pas complètement à son aise. «Ce n’était pas planifié», assure-t-il, «je n’étais pas parti pour faire une carrière politique». Pourtant, son intérêt pour la chose politique remonte à sa prime adolescence. «À 12 ans, je lisais les journaux. En septième, je dépensais 142 francs sur les 200 de mon argent de poche pour m’acheter le Spiegel, ce que ma mère ne comprenait pas.»

Le jeune Fred Keup est passé par des sensibilités diverses: lecteur de Karl Marx à 14 ans, il a pris sa carte au CSV à l’âge adulte. «Ce n’était pas pour me lancer en politique. Le CSV montrait un attachement aux valeurs, au Luxembourg qui me plaisait bien. Plus tard, j’ai même pris ma carte chez Déi Lénk, par sympathie, parce que j’appréciais leur travail d’opposition à la Chambre… Aujourd’hui, je me demande comment c’est possible!», ajoute-t-il en riant.

C’est la Chambre de commerce et l’Asti qui avaient eu l’idée du droit de vote des étrangers pour contrer la puissance des fonctionnaires.
Fred Keup

Fred KeupdéputéADR

Si l’enseignant en géographie n’a jamais été militant des partis auxquels il a adhéré, un événement bouscule son parcours. «Si le gouvernement Gambia n’était pas arrivé, je ne me serais jamais engagé. Je n’étais pas contre au début, mais lorsqu’est venue l’idée, fin 2014, d’organiser un référendum sur l’octroi du droit de vote aux étrangers, je n’étais pas d’accord.»

Une divergence d’opinion qui s’est mue en besoin de réagir. «Cela m’agaçait beaucoup que la campagne ne soit pas équilibrée. Il y avait une véritable propagande de la part des médias et de la plupart des journalistes. Tous les journaux penchaient pour le ‘oui’, comme le patronat, les syndicats hormis la CGFP, l’Église, les partis… On n’entendait aucune voix venant de la société s’opposant à cela et personne n’avait le courage de dire qu’il était contre le droit de vote des étrangers de peur de se voir traiter de raciste.»

Pourtant, souligne M. Keup, «quand j’étais au bord du terrain de foot (il préside un club, ndlr), je remarquais que 90% des gens étaient contre le droit de vote des étrangers. (…) Je voulais donner une voix à ces personnes. C’est pour cela qu’avec un copain, j’ai créé la page Nee2015 sur Facebook.»

Le souvenir de cette campagne reste doux-amer pour ce militant improvisé. «C’est allé très loin. Par chance, ma femme était Italienne (elle a pris la nationalité luxembourgeoise entre-temps, ndlr), ce qui m’a sauvé de la diffamation.» Mais M. Keup reste sûr de sa cause. «Ce n’est pas compliqué de devenir Luxembourgeois: il faut vivre ici et apprendre un peu la langue. Pourquoi donner le droit de vote à quelqu’un qui ne fait pas d’efforts pour devenir Luxembourgeois? Pour moi, c’est faire de l’intégration à l’envers. Il faut devenir Luxembourgeois et ensuite voter. Et j’ai reçu le soutien de beaucoup d’étrangers, portugais et italiens, notamment. D’ailleurs, ils n’avaient rien demandé, c’est la Chambre de commerce et l’Asti qui avaient eu l’idée du droit de vote des étrangers pour contrer la puissance des fonctionnaires.»

On veut rester ouvert, clairement tourné vers l’international, mais en essayant de garder notre identité et notre culture.
Fred Keup

Fred KeupdéputéADR

S’il estime que «ce n’est pas la faute des étrangers», il assure que «le gouvernement pourrait faire mieux pour donner plus de place à la langue luxembourgeoise», remplacée par d’autres dans l’espace public – notamment au Kirchberg. «Donner des noms luxembourgeois aux rues ou afficher le nom des rues en luxembourgeois ne fait de mal à personne. Il ne s’agit pas du tout de supprimer le français ou l’allemand. On veut rester ouvert, clairement tourné vers l’international, mais en essayant de garder notre identité et notre culture.» Une défense qui devrait aussi s’exprimer dans la protection du patrimoine architectural, alors que «des bâtiments luxembourgeois d’un ou deux siècles sont détruits pour laisser place à des caisses blanches sans âme».


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Préserver le secteur financier

Le tout juste quadragénaire s’accommode même du «nation branding» lancé par la coalition DP-LSAP-Déi Gréng. «C’est du marketing, on essaie de vendre le Luxembourg pour faire venir des entreprises. Mais je suis d’accord avec les mots-clés: ouvert, stable.»

Le mouvement Nee2015, mû en Wee2050, s’est rapproché avec l’ADR sur le constat partagé d’une croissance qui «piège» le pays. «Nous sommes dépendants de cette évolution pour payer les retraites. Lorsque nous serons 400.000 retraités, il faudra un million d’actifs!», souligne-t-il. Reprenant le discours de l’ADR (qui tenait congrès ce week-end) sur la croissance qualitative, il peine toutefois à exposer une solution alternative solide, hormis d’«aider le secteur financier qui est la base de l’économie luxembourgeoise. Il faut tout faire pour le garder. C’est vital pour le Luxembourg. Je me souviens quand le Premier ministre Pierre Werner (CSV) disait, face à la crise sidérurgique, que si l’on n’aidait pas l’Arbed, la nation luxembourgeoise serait en danger et pourrait disparaître. C’est aujourd’hui la même chose avec le secteur financier.»

Nous n’avons pas de tabous, nous mettons souvent le doigt là où ça fait mal.
Fred Keup

Fred Keupdéputé ADR

Pour le reste, le futur député se présente comme «conservateur», dans le sens où il a «un caractère assez stable et pas trop l’âme révolutionnaire». Côté fiscalité, il est aussi opposé à l’impôt sur la fortune, qui ferait quitter le pays aux plus riches, qu’à celui sur la succession.

À la Chambre, le novice reprendra une partie des dossiers assurés jusque-là par  et , le premier devenant le chef de file de la sensibilité politique et le second  À l’aise dans les commissions de l’éducation, de la culture et de la famille, M. Keup admet devoir se mettre à la page dans les domaines de la fonction publique et de la coopération. «Notre parti travaille beaucoup et montre une vraie opposition», assure-t-il. «Même si nous ne sommes que quatre députés, nous travaillons beaucoup par rapport au CSV, par exemple, qui compte 21 députés, dont seuls deux ou trois sont très actifs. Nous n’avons pas de tabous, nous mettons souvent le doigt là où ça fait mal.»

On peut être patriote sans être nationaliste.
Fred Keup

Fred KeupdéputéADR

Quitte à faire scandale, comme. «Je ne dis pas qu’elle a eu tort», souligne M. Keup, visiblement embarrassé. «Nous ne sommes pas contre l’immigration, mais contre l’immigration illégale.»


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Mais celui qui s’apprête à prêter serment refuse que l’ADR soit considéré comme un parti d’extrême droite, rappelant qu’il a décliné les propositions de rapprochement venant de l’AfD allemand. «On peut être patriote sans être nationaliste», souligne M. Keup, qui ne se reconnaît pas non plus dans le Rassemblement national en France.

Reste à entrer dans l’arène, dans un jeu politique dont il ne maîtrise pas encore tous les codes et astuces. Il est certainement attendu au tournant par les députés des autres partis, mais aussi par ceux qui siégeront à ses côtés. Il pense en avoir le cuir après avoir été souvent accusé de raciste durant la campagne de 2015. Et n’hésite pas à et la phrase «Féck den Fred Keup» clamée dans une de ses chansons. Des limites de la liberté d’expression tant vantée par l’ADR. La Cour d’appel avait confirmé l’acquittement du chanteur.