Franz-Olivier est venu chez Alinéa à la rencontre de ses lecteurs luxembourgeois. Une première pour lui. (Photo: Nader Ghavami)

Franz-Olivier est venu chez Alinéa à la rencontre de ses lecteurs luxembourgeois. Une première pour lui. (Photo: Nader Ghavami)

Franz-Olivier Giesbert est venu à la librairie Alinéa présenter son dernier roman «Le Schmock». Un récit à travers lequel, et grâce à Élie, Elsa, Karl et Lila, il tente de donner quelques clés afin de comprendre comment l’Allemagne a pu être séduite par Adolf Hitler et le national-socialisme.

Mêler la petite histoire familiale à la grande Histoire est un pari audacieux. Le journaliste, éditorialiste et écrivain Franz-Olivier Giesbert affirme ne pas avoir eu cette prétention au moment de commencer à écrire «Le Schmock», son dernier roman. Néanmoins, c’est bien d’une interrogation née de réunions de famille que s’est nourri son questionnement.

Un roman et plusieurs destins

Alors que l’Allemagne des années 1920-1930 est un phare culturel avec le Bauhaus, l’écrivain Thomas Mann ou encore le mouvement expressionniste, sa population, du moins en partie, finira par succomber aux thèses nazies et à plonger dans l’abîme. «J’ai toujours pensé que la culture était le meilleur remède contre le mal. Je me trompais», confie Franz-Olivier Giesbert, de passage à la librairie Alinéa pour rencontrer ses lecteurs et présenter son livre.

De nombreuses lectures et une réflexion profonde ont finalement conduit à ce qu’il règle ses comptes avec cette question de la montée en puissance d’Hitler dans un pays qui aurait dû lui tourner le dos. Mais «Le Schmock», un terme yiddish qui signifie «salaud» ou «crétin», ne prétend pas détenir la vérité. C’est avant tout un roman, tissé autour de plusieurs destins et d’une belle histoire d’amour, qui veut juste donner à chaque lecteur quelques clés de compréhension.

On est évidemment tenté de le voir comme tel, mais votre livre n’est pas un livre d’actualité?

Franz-Olivier Giesbert. – «On fait en effet ‘comme si’ ce livre était en lien avec l’actualité, mais je n’ai pas vu les choses de cette manière. Ce qui m’intéressait, c’est comment le nazisme et Adolf Hitler avaient ainsi pu arriver à la tête de l’Allemagne. Comment a-t-on pu laisser faire? Pourquoi tant d’Allemands ont-ils pris cela à la légère? Beaucoup voyaient en Hitler un idiot qui n’arriverait jamais à rien.

Même les Juifs ont souvent tardé à fuir le pays. Un pays de culture, un véritable phare en Europe. Alors aujourd’hui, cela prend une certaine résonance car la bête est revenue. Certaines images en témoignent, comme l’agression d’Alain Finkielkraut à Paris. Que serait-il arrivé si le gilet jaune n’avait pas été là? Si la police n’avait pas été là? On n’ose pas trop l’imaginer.

Les époques et les événements sont-ils vraiment totalement et tous comparables, notamment en ce qui concerne les populismes?

«Non: les populismes ne sont pas le nazisme, et je ne vais pas entrer dans ce jeu-là. Ce n’est pas Hitler qui a créé l’antisémitisme, mais l’antisémitisme qui a créé Hitler. Personne ne porte cela de nos jours. Le contexte n’est pas tout à fait le même non plus. La crise économique n’est pas pareille, il n’y a plus eu de guerre depuis 75 ans...

Mais attention: cela peut toujours revenir. Hitler avait en lui un vieux fond du Völkisch (mouvement politique et intellectuel allemand de la fin du 19e siècle, voulant une nouvelle définition de la nation et de l’individu), qui correspond un peu aux populismes d’aujourd’hui. La différence est que le Völkisch était nuancé d’antisémitisme, ce qui n’est pas le cas des populismes actuels.

Boris Johnson et Nigel Farage sont de fieffés menteurs, c’est démontré.

Franz-Olivier Giesbertjournaliste, éditorialiste, écrivain

Ils vous inquiètent tout de même ces populismes contemporains?

«Oui, mais pour d’autres raisons. Que va-t-il se passer si on se replie tous sur nous-mêmes? Actuellement, tout se joue de l’autre côté du monde, la Chine et l’Inde sont les deux grandes puissances économiques actuelles. Nous, nous sommes en difficulté et notre intérêt est de travailler ensemble. Alors, c’est certain, on a sans doute été trop loin dans la construction européenne en voulant gommer toutes les différences.

Or, c’est en faisant tout différemment que cela tiendra. Je suis un fédéraliste. Mais évitons l’hystérie sur les populistes. Quand ils sont confrontés aux chiffres, tout change. Boris Johnson et Nigel Farage sont par exemple de fieffés menteurs, c’est démontré. Le populisme est une démagogie où on vous dit qu’en se repliant sur soi-même cela ira mieux, mais ce n’est pas vrai.

Pourtant, leur discours passe souvent bien?

«C’est pour cela qu’il ne faut pas les diaboliser. Et que l’Europe doit réfléchir aux erreurs qui ont été commises. 

Une partie de ma famille était allemande. Mon père, Américain, a débarqué à Omaha Beach. Il y avait du coup une ambiance funèbre lors des réunions de famille.

Franz-Olivier Giesbertjournaliste, éditorialiste, écrivain

Le point de départ de votre roman, c’est un questionnement ancien?

«Mon père était Américain et il a fait partie de la première vague à débarquer à Omaha Beach. Une partie de la famille vivait en Allemagne, une autre en Espagne... Lors des réunions de famille, il y avait une drôle d’ambiance, triste, lugubre, presque funèbre. Le contexte était particulier puisque mon père avait combattu les Allemands, donc une branche de la famille.

J’ai eu un intérêt pour cela. Cela m’a trotté dans la tête. Puis il y a un peu plus de 10 ans, j’ai commencé à beaucoup lire sur la montée du nazisme, sur Hitler... Puis, voici trois ans, j’ai trouvé mes personnages. Cela a été le point de départ du roman, car je ne peux pas écrire tant que je n’ai pas mes personnages. Ils sont arrivés comme cela, brusquement.

Hitler, un échec politique

Il y a des camions entiers de livres et études sur la montée du nazisme?

«Oui, évidemment, et je m’en suis nourri. Mais dans mon livre, ce sont les personnages qui gèrent tout cela, c’est eux qui écrivent, ils sont vivants. C’est cependant l’occasion de rétablir une série de vérités, comme le fait que les Allemands n’ont jamais donné une majorité à Hitler. Même après l’incendie du Reichstag, l’interdiction de libertés civiles et des élections quasi truquées, il ne fait que 46% des voix.

Son arrivée au pouvoir est le fruit d’un échec politique?

«Il y a eu un jeu trouble de la droite. Hindenburg, qui était président, et Von Papen, vice-chancelier, ont voulu mettre Hitler au pouvoir en se disant qu’il était de toute façon ‘trop con et trop nul’ et que c’était le meilleur moyen de s’en débarrasser. Après, on s’est dit qu’il n’allait pas tenir. C’est là le problème: Hitler a toujours été sous-estimé.

Rendre le lecteur accroc

Quel a été votre état d’esprit en écrivant?

«Comme tous les écrivains, je crois au ‘mentir vrai’, je suis un faiseur, j’ai besoin de rendre le lecteur accroc... On dit souvent de moi que je suis un ‘page turner’. J’en suis très fier. J’ai envie que mes lecteurs aillent à la dernière page. C’est cela mon état d’esprit en écrivant. Mais je répète que ce livre est un roman, pas un essai. Il y a un travail de fond, historique, mais mon idée n’est certainement pas de donner une thèse.

Et vous écrivez de manière structurée?

«Pas du tout, je le fais sans filet. C’est beaucoup plus drôle. 

Vous connaissiez Luxembourg avant cette invitation à la librairie Alinéa?

«C’est la première fois que je viens. Mais je suis ravi de cette invitation. J’ai ainsi découvert, outre cette librairie, le restaurant Cocottes. J’adore: quand on voit tartes et quiches en vitrine, on sait que cela va être une tuerie. Je compte bien y passer après.»