Détaché de toute affiliation partisane, François Grosdidier, 63 ans, n’envisage pas d’autre perspective qu’une réélection, dans deux ans. (Photo: Andres Lejona/Maison Moderne)

Détaché de toute affiliation partisane, François Grosdidier, 63 ans, n’envisage pas d’autre perspective qu’une réélection, dans deux ans. (Photo: Andres Lejona/Maison Moderne)

Très différent de celui qu’il était lors de son accession à la mairie de Metz, en 2020, François Grosdidier ne fait pas mystère de son envie de poursuivre l’aventure dans deux ans, à l’occasion des prochaines élections municipales en France. Scrutin pour lequel le dossier transfrontalier occupera, à ses yeux, un rôle central.

Fiction. Considérons que l’on ait 20 ans de moins. On lui aurait alors soumis la question avec cette approche, artificiellement «djeuns»: «Monsieur le maire, n’êtes-vous pas en train de vivre votre ‘meilleure vie’?»

Alors, dans son bureau spacieux mais d’agencement modeste, tapissé d’ouvrages historiques, avec vue immédiate sur la place d’Armes et sa cathédrale huit fois centenaire, d’intimidante austérité, une attachée de presse calée dans un fauteuil à ses côtés, oreille dressée et iPhone en main, prête à dégainer, François Grosdidier aurait hoché la tête. Il aurait brièvement haussé les épaules, aussi. Avant de répondre d’un «oui» souriant. Un «oui» ne souffrant aucune contestation.

Un «oui» engageant. Valant confirmation du sentiment diffusé d’un bout à l’autre de ses quatre premières années de mandat, lui qui a sans doute atteint l’un de ses plus hauts rêves en politique en arrachant la mairie de Metz aux forces de gauche, en 2020, avec moins de 200 voix d’avance sur son adversaire écologiste, Xavier Bouvet, qui d’ailleurs vient de quitter les rangs de l’opposition en même temps que la vie publique. Oui, sans discussion permise, François Grosdidier est à son climax, aujourd’hui.

À 63 ans, il l’admet très volontiers: l’essentiel de son parcours est derrière lui. Et c’est franchement confortable. S’il venait à être battu, dans deux ans, lors du match retour des élections municipales messines, il s’effacerait à son tour. Et sans regrets, à l’en croire. Du moins sans regrets quant à ses ambitions personnelles: «Si ça s’arrête, je ne serai pas malheureux pour moi-même. Ma famille, la voile… Je ferai tout ce que je n’ai pas le temps de faire dans ma vie. Je suis à un âge où l’on peut encore s’inventer une nouvelle tranche de vie. En revanche, cela m’ennuierait pour Metz, et pour ce que j’ai conduit sur la ville et qui doit être continué. Nous avons pris de bonnes directions.»

«Je m’en moque»

Inutile d’écrire que François Grosdidier n’imagine pas un instant que le scénario de l’échec ponctue sa trajectoire. Lui, en ce moment, flèche davantage son temps de cerveau disponible à la constitution de ses troupes pour l’échéance de 2026 qu’à l’anticipation de l’après-politique.

Sur le papier, l’élu de droite n’est pas seulement l’unique candidat officiellement déclaré à ce stade. C’est aussi, et d’abord, l’«énormissime» favori du scrutin qui arrive, tant un flou immense enveloppe la nature de l’adversité qui lui sera avancée. Unique certitude: ce ne sera pas le remake de 2020. À gauche, Xavier Bouvet est donc parti sous d’autres cieux. Du côté de l’extrême droite, Françoise Grolet (RN), finaliste de la triangulaire du deuxième tour en 2020, ne remettra pas de pièce dans la machine, cette fois, poussée vers la sortie par la jeune garde du mouvement lepéniste, gonflée à bloc depuis le carton plein réussi en France aux élections européennes. Le maire, ça l’amuse: «Il y a au moins dix candidats pressentis, et des velléités de constituer des listes à droite, au centre, à gauche. Surtout à gauche. Moi? Je m’en moque. Je m’en moque complètement.»

Je n’ai pas à assumer des positions qui ne sont pas les miennes.
François Grosdidier

François GrosdidiermaireMetz

Manière, pour François Grosdidier, d’affirmer qu’il trace sa route. Indifférent à ce qui l’entoure. Et tout entier dédié à ce qui ressemble à son ultime défi, avec cette quête d’un deuxième mandat de six ans dont il n’a jamais fait mystère, alléguant dès son installation à l’Hôtel de Ville que la mission de maire ne pouvait se conjuguer que sur la durée, le temps long. Voire extrêmement long. Pour clore les dossiers enclenchés. Ou pour «infléchir des tendances de fond», comme sur le développement universitaire, où il lutte pied à pied avec Nancy, et le développement touristique du territoire. Deux de ses chevaux de bataille.

«Plus aucune entrave»

En 2026, ce ne sera toutefois pas le même François Grosdidier qui gonflera le poitrail. Au moins deux raisons à cela. La première tient à son parcours. Au long cours. Qui l’aura vu, depuis ses 30 ans, naviguer d’un portefeuille à l’autre, exception faite d’une nomination à la tête d’un ministère. Ex-député, ex-sénateur, ce grand passionné d’alizés n’en était pas à ses premiers bords lorsqu’il a succédé à Metz au socialiste Dominique Gros (2008-2020), qu’il accuse d’avoir «vidé les caisses de la Ville». Entre les deux hommes, les relations sont polaires.

Maire, il l’avait déjà été, à Woippy (2001-2017), la voisine de Metz, neuvième ville de Moselle (environ 14.000 habitants). Et ce genre de bail XL l’a forgé à tout jamais. Député, sénateur, ou élu régional, résume-t-il, ce sont des costumes impliquant «une démarche très partisane». «Mais quand je suis arrivé à la mairie de Metz, je n’étais plus parlementaire. Intellectuellement, moralement, je n’avais plus aucune entrave. D’une liberté totale. Auparavant, j’avais eu à avaler des couleuvres sur des positions nationales, et en silence. Là, je n’ai pas à assumer des positions qui ne sont pas les miennes. Aujourd’hui, je veux être maire de Metz comme j’ai été maire de Woippy. Ou comme on le serait d’un village.»

C’est-à-dire «en proximité». Ce terme, tel un mantra, qu’il n’a de cesse de marteler à ses équipes auprès desquelles il répète, encore et encore, qu’«il n’y a pas de petits problèmes, car un tout petit problème peut pourrir la vie des gens». Et surtout sans parti au-dessus. À côté. Ou derrière lui. Lui imprimant une ligne de conduite.

Cette «inertie» qu’il déplore

Car c’est la deuxième métamorphose enclenchée par François Grosdidier, ces dernières années. Sans étonnement, il demeure de droite. Mais il ne se revendique plus d’aucune affiliation, ayant quitté le sillage des Républicains (LR) au lendemain de l’élection à la présidence du très «russophile», et tenant d’une droite revêche, Éric Ciotti. C’était fin 2022. Déjà, lorsque Laurent Wauquiez avait mis la main sur le parti, François Grosdidier, adhérent depuis plus de 40 ans, avait délaissé la présidence départementale de LR. «À l’époque, j’avais rejoint le RPR pour Jacques Chirac», rappelle-t-il. Séquence «old school»…

Dans ces mandats, on a encore vraiment des leviers.
François Grosdidier

François GrosdidiermaireMetz

Bref, le maire de Metz s’est écarté de la scène nationale. On l’a peu entendu durant la campagne des élections européennes, et pratiquement pas depuis que le verdict du scrutin a jeté la classe politique dans les bras du chaos en France. Alors qu’il s’était montré omniprésent, ces quatre dernières années, lors des élections régionales, législatives ou départementales. Mouillant la chemise. Prêtant son influence. Quand il ne tirait pas, purement et simplement, de nombreuses ficelles…

On ne prétend pas qu’il n’est plus celui qu’il fut. Le goût du combat et de la stratégie ne l’ont guère abandonné, personne ne se refait. En revanche, il a opéré un repositionnement, se détachant peu à peu d’une politique nationale qui le désarçonne plus que jamais pour concentrer ses efforts sur l’échelle qui le concerne. Maire de Metz d’un côté. Président de métropole de l’autre. «L’État nous les réduit, il y a beaucoup plus d’inertie que je ne le pensais, mais dans ces mandats, on a encore vraiment des leviers (pour agir)», certifie-t-il.

Luxembourg 2026

Ces leviers, François Grosdidier n’en refuse aucun. Au début du printemps, il a rendu son rôle de vice-président du conseil régional du Grand Est pour accorder davantage de plages de disponibilité à ses nouvelles fonctions de président du conseil de surveillance du centre hospitalier régional (CHR) Metz-Thionville. En parallèle, il préside actuellement le Sillon lorrain, cet organisme qui réunit, de Thionville à Épinal, les métropoles lorraines absorbées par des préoccupations voisines.

De fait, ces deux casquettes additionnelles le positionnent en pointe sur les dossiers transfrontaliers. Ils constitueront, à ses dires, un enjeu «primordial» dans la course à l’Hôtel de Ville, dans deux ans.

François Grosdidier n’a pas encore eu l’occasion de rencontrer le «nouveau» Premier ministre,  (CSV). Par contre, il est en contact assidu avec son homologue (DP), notamment au sein du Quattropole, l’«amicale» des quatre «capitales» de la Grande Région que campent, à cheval sur trois pays, Luxembourg, Metz, Sarrebruck et Trèves.

L’État français n’a pas une perception exacte de la singularité de la question transfrontalière.
François Grosdidier

François GrosdidiermaireMetz

Son rôle au CHR l’amène à s’interroger sur des coopérations possibles . La crise sanitaire associée au Covid-19 a illustré, avec dramaturgie, les besoins en l’espèce. Ainsi que la bonne intelligence possible.

Là-dessus, François Grosdidier demande que l’on regarde le bassin de vie messin pour ce qu’il est véritablement. C’est-à-dire jusqu’au nord de Thionville, 10.000 résidents de la métropole messine s’évertuant, chaque matin, à rallier le Luxembourg en train ou en voiture, pour y effectuer leur journée de travail.

Il regrette le ministre Clément Beaune

À ce titre, le maire et président du Sillon lorrain qu’il est n’a pas de mots assez vifs pour vilipender l’action de l’État français sur l’item de la mobilité. «On a un énorme retard. Rien n’a été fait depuis 40 ou 50 ans. On est complètement à saturation.»

François Grosdidier déplore l’abandon de l’A32 au milieu des années 2000, autant qu’il regrette le renoncement en France à l’écotaxe et à la manne financière qu’elle incarnait.

Même topo du côté du ferroviaire où les promesses d’hier de places supplémentaires dans les TER sont reportées à demain ou à après-demain.

Pour lui, l’État luxembourgeois se montre à la hauteur, question financements. La France, par opposition, serait à la traîne. D’autant plus depuis le départ du ministre des Transports Clément Beaune, jeune espoir de la politique excommunié du jour au lendemain par la macronie. En fin d’année dernière, Clément Beaune était venu apporter d’encourageantes nouvelles sur le front des mobilités, via le feu vert de l’exécutif sur l’A31 bis: «Il avait compris un certain nombre de sujets. Depuis qu’il n’est plus là, on n’a plus d’interlocuteurs politiques. Uniquement des fonctionnaires. L’État français n’a pas une perception exacte de la singularité de la question transfrontalière chez nous.»

Il a encore deux ans devant lui pour peser dans la balance. Deux ans, au moins.