À peine François Bayrou avait-il pris possession de Matignon, le samedi 14 décembre, que l’agence Moody’s abaissait la note de la France. (Photo: Shutterstock)

À peine François Bayrou avait-il pris possession de Matignon, le samedi 14 décembre, que l’agence Moody’s abaissait la note de la France. (Photo: Shutterstock)

La menace d’une pression fiscale accrue n’a pas disparu avec le changement de gouvernement en France. Tandis que certains contribuables envisagent de partir, le Luxembourg, terre d’accueil de cadres dirigeants expatriés, observe avec attention ces signaux.

François Bayrou peut-il redresser les finances publiques françaises sans alourdir la pression fiscale, déjà à un niveau record en Europe? Difficile à croire, tant le nouveau premier ministre fait face à une situation critique. Le déficit budgétaire, qui était de 5,5% du produit intérieur brut en 2023, pourrait atteindre 6,3% en 2025, selon les prévisions de Moody’s. L’agence a dégradé d’un cran la note de la dette française, à Aa3, contre Aa2 auparavant.

Le nouveau gouvernment devra naviguer entre la nécessité de réduire le déficit et le risque d’une fronde politique et sociale en cas de hausses d’impôts. Le prédécesseur de François Bayrou, Michel Barnier, misait notamment sur un impôt minimal de 20% pour les ménages les plus aisés – visant ceux qui parviennent à diminuer substantiellement leur taux effectif d’imposition en recourant à certains dispositifs fiscaux.

Parmi les mesures qui se discutaient avant la chute du gouvernement Barnier, plusieurs pourraient aussi revenir sur la table:

• l’extension de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) aux avoirs mobiliers, créant de facto un impôt sur la fortune globale;

• le relèvement du taux unique d’imposition (flat tax) appliqué aux revenus du capital, notamment les dividendes, intérêts et plus-values mobilières (ventes d’actions, parts de sociétés, etc.);

• la taxation des rachats d’actions;

• l’augmentation des droits de succession;

• le durcissement des conditions de l’exit tax, qui frappe les plus-values latentes lors d’un changement de résidence fiscale;

• l’introduction d’un impôt universel ciblé. Proposé par le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Eric Coquerel (La France Insoumise), ce dispositif vise à faire payer aux expatriés la différence entre l’impôt qu’ils verseraient en France pour les mêmes revenus et celui payé dans leur pays de résidence. Contrairement au modèle américain de l’impôt sur la nationalité, ce mécanisme s’appliquerait uniquement pendant une période limitée après le départ et dans certains pays à fiscalité avantageuse.

On reste loin des vagues de départs observées sous Hollande ou Mitterrand.
Typhanie Afschrift

Typhanie Afschriftavocate fiscalisteAfschrift Tax & Legal

Autant de mesures qui, cumulées, peuvent pousser à l’exil fiscal, voire, dans les deux derniers cas, à des abandons de nationalité française pour y échapper. Avocate aux barreaux de Bruxelles, Genève et Luxembourg, la fiscaliste Typhanie Afschrift considère l’impôt lié à la nationalité comme le «spectre ultime». «Mais il n’a pas besoin d’être en place pour provoquer des départs de France: la peur suffit. Des gens me consultent parfois pour me demander quelle nationalité ils pourraient prendre facilement en prévision de cela.»

La praticienne confie avoir reçu, au soir du deuxième tour des législatives françaises (), des appels de Français choqués envisageant une délocalisation en Belgique. «C’était caricatural. Beaucoup n’ont pas donné suite, constatant que Jean-Luc Mélenchon ne serait pas Premier ministre. Tout dépendra des politiques à venir, mais pour l’instant, on est davantage dans une phase de réflexion. On reste loin des vagues de départs observées sous Hollande ou Mitterrand.»

Parmi les discussions à suivre, Typhanie Afschrift évoque la hausse de l’imposition des revenus mobiliers. «Cela pourrait provoquer des départs, d’entrepreneurs, mais aussi de rentiers, qui subiraient eux aussi ces nouvelles taxes sur leurs capitaux. Et ces personnes ne resteront pas forcément dans l’UE. Des destinations comme la Suisse ou les États-Unis séduisent dans ces catégories de population, certains considérant positivement l’élection de Donald Trump.»

Le Luxembourg attire davantage les cadres dirigeants que les très grosses fortunes.
Julien Treffort

Julien TreffortassociéPwC Luxembourg

Quid du Luxembourg? Associé en fiscalité des particuliers chez PwC Luxembourg, Julien Treffort n’a pas observé de vague récente de déménagements de Français dans le pays. «Beaucoup sont encore en train d’examiner les options. Les transferts d’actifs – placer une partie de son patrimoine auprès d’une banque luxembourgeoise ou dans un contrat d’assurance-vie luxembourgeois – précèdent parfois un transfert de résidence. D’autre part, le Luxembourg attire davantage les cadres dirigeants que les très grosses fortunes.»

PwC observe néanmoins certaines relocations au Luxembourg. «De nombreuses personnes s’interrogent. On peut penser notamment à ceux qui travaillent déjà pour une société luxembourgeoise, mais sont encore résidents fiscaux en France et qui décident de franchir le pas en venant vivre au Luxembourg. Le contexte politique et fiscal en France peut être un élément déclencheur. Pour sa part, le Luxembourg vient de modifier les recrutés par des employeurs luxembourgeois, rendant notre pays particulièrement attractif pour les personnes concernées.»

Julien Treffort s’attend à une augmentation des relocations de Français, mais aussi de certains Britanniques. Le budget présenté par le gouvernement travailliste conduit à un alourdissement de la charge fiscale tant des personnes actives que des personnes fortunées. Parmi les mesures annoncées figurent la suppression du régime «non-dom», un accroissement de l’imposition des plus-values et une hausse de l’imposition de l’intéressement aux performances des actifs gérés par un fonds d’investissement («carried interest») perçu par les professionnels du private equity.