Pierre Thein, Franz Fayot et Ferdinand Hein lors de la visite du ministre, mardi, au siège de l’entreprise, à Strassen. (Photo: Hein Group)

Pierre Thein, Franz Fayot et Ferdinand Hein lors de la visite du ministre, mardi, au siège de l’entreprise, à Strassen. (Photo: Hein Group)

Frontières fermées et secteur alimentaire en difficulté, l’entreprise familiale Hein, active dans les fours industriels, navigue à vue pour les six prochains mois, qui s’annoncent difficiles. Ses dirigeants mettent l’accent sur le social et la communication avant, pendant et après cette crise.

Une visite ministérielle aussi inattendue qu’encourageante. «Je mets 9,8 sur 10 à  (LSAP)», résume . Le directeur a pour habitude d’être franc. «Nous étions surpris d’avoir cette demande de visite de la part du nouveau ministre de l’Économie (LSAP), qui a passé deux heures chez nous. Nous avons eu à cœur d’échanger avec lui comme ‘porte-parole’ des PMI exportatrices, et nous sommes très satisfaits de son intérêt pour le secteur industriel. Il s’est montré très à l’écoute.»

Car les Fours Hein, fondés en 1882, présentent plusieurs critères qui en font un «case study» du vécu des entreprises au cœur de cette crise:

- une PMI familiale (220 employés, dont 120 au Luxembourg);

- industrielle, et donc liée à de lourds investissements;

- en recherche perpétuelle de main-d’œuvre, en particulier chez les jeunes; 

- présente et active sur plusieurs latitudes;

- dépendante du secteur alimentaire, lui-même en difficulté.

«. Nous avons livré un four à Hiroshima, juste avant que tout ne ferme, nous sommes actifs dans une vingtaine de marchés au monde, aucun n’est pas concerné par le coronavirus», ajoute Pierre Thein.

Alors, depuis le début de la crise, le chef d’entreprise a enclenché un «pilotage à vue», en surveillant tous les paramètres à l’échelle des six prochains mois, qui s’annoncent difficiles, notamment dans l’industrie.

Il ne faudra pas croire ni au Bon Dieu, ni au père Noël, pour espérer que tout rentre dans l’ordre avant cette échéance. Cela serait une mauvaise stratégie.
Pierre Thein

Pierre TheindirecteurFours Hein

«Le marché international était déjà très tendu dans notre domaine depuis quelques années. Heureusement que nous pouvions compter sur un certain nombre de réserves. Nous ne savons pas quand les différents pays d’Europe se débloqueront… Nous faisons tout pour limiter les coûts, les frais généraux, les frais de personnels, avec les instruments mis en place par le gouvernement, et qui sont les bienvenus. Nous ciblons une gestion à vue pour les six prochains mois, qui s’annoncent mauvais ou très mauvais. Il ne faudra pas croire ni au Bon Dieu, ni au père Noël, pour espérer que tout rentre dans l’ordre avant cette échéance. Cela serait une mauvaise stratégie.»

Du côté de son personnel, Hein a recouru , débloqué en urgence par le gouvernement, «une aide très importante». De même que les garanties données par le gouvernement aux banques, tout en restant prudent avec ce type d’aide, qui devra être remboursée à l’avenir.

Effets collatéraux

Mais 2020 devrait être marquée par une baisse estimée entre 25 et 45% du chiffre d’affaires. Autre facteur qui s’ajoute à ceux qui incitent le chef d’entreprise à adopter une gestion conservatrice: une forte dépendance au secteur alimentaire en général et de la boulangerie, son cœur de cible avec la vente et le montage de fours industriels.

«Contrairement à ce que l’on peut penser, le chiffre d’affaires des boulangers a été affecté d’au moins 50%, beaucoup d’entre eux comptent sur la pâtisserie, les dégustations sur place, ou encore les manifestations et autres services catering. Et j’imagine que dans les mois à venir, ils auront une autre priorité que d’acheter du nouveau matériel industriel», cite Pierre Thein, qui, outre une chute de 90% des carnets de commandes depuis début mars, doit faire face avec ses équipes à un autre élément bloquant: .

Pierre Thein et Ferdinand Hein, dans leurs bureaux, en 2017. (Photo: Nader Ghavami / archives Paperjam)

Pierre Thein et Ferdinand Hein, dans leurs bureaux, en 2017. (Photo: Nader Ghavami / archives Paperjam)

«Nous exportons à 99%. La fermeture des frontières nous cause énormément de problèmes pour terminer le montage ou faire les travaux nécessaires pour nos fours, dont la mise en marche permet tout de même aux gens d’avoir un pain sur la table.»

Des formulaires spéciaux aux négociations sur le terrain, la situation s’est débloquée progressivement, même si la perte de temps doit, elle aussi, être ajoutée au rang des pertes.

Le social avant, pendant et après

Sa résilience, Hein va aussi la trouver dans les enseignements livrés par une autre forme de crise vécue en 2012, lorsque ses installations sont parties en fumée. Un moment tragique dans la vie d’une entreprise, mais durant lequel les notions de solidarité et de communication ont pris tout leur sens.

«Suite à cet incendie, nous n’avions pas actionné le chômage partiel, chacun s’est serré les coudes. Notre personnel est pour nous très important, la communication joue énormément pour réussir à surmonter ensemble cette nouvelle crise. Nous nous parlons de façon quotidienne. Nous travaillons tous actuellement non pas pour les bénéfices de l’entreprise, mais pour être encore là dans les prochains mois.»

Une fibre sociale et une volonté d’être le porte-parole des entreprises et des entrepreneurs qui se manifestent aussi lorsqu’il est question d’évoquer les difficultés des indépendants. Avec une référence aux propos tenus par le ministre du Travail qui fustigeait il y a quelques jours sur Facebook de riches indépendants. Ces derniers ne pourraient pas prétendre à autant d’aides que les salariés, en raison des profits qu’ils auraient engrenés par le passé.

Tout cela ne servira à rien si, dans les six prochains mois, 20% des entreprises sont en faillite, cela sera un problème bien plus grave que la crise sanitaire.
Pierre Thein

Pierre TheindirecteurFours Hein

Une prise de position que  (LSAP) a expliquée mardi en conférence de presse .

«Il ne faut pas sous-estimer l’importance des indépendants pour l’économie, tous n’ont pas les épaules aussi larges qu’on voudrait le faire croire, il faudrait peut-être accentuer un peu plus les efforts pour eux», estime Pierre Thein. «Il faut évidemment faire attention à la crise sanitaire, à la santé des employés, et nous avons mis en place très clairement les procédures ad hoc. Mais tout cela ne servira à rien si, dans les six prochains mois, 20% des entreprises sont en faillite, cela sera un problème bien plus grave que la crise sanitaire.»

Nous devons continuer à attirer les jeunes en visitant les écoles, par exemple, et à en former dans les métiers industriels via l’apprentissage.
Pierre Thein

Pierre TheindirecteurFours Hein

S’il est encore trop tôt pour envisager «l’après-crise», le facteur social sera, là aussi, déterminant pour pérenniser une activité et participer à l’attractivité d’un secteur qui a un besoin grandissant en main-d’œuvre.

«Nous sommes très attachés à la ‘marque Luxembourg’, c’est aussi pour cela que nous sommes très impliqués dans la formation des jeunes au travers de la prise en charge d’apprentis», explique Pierre Thein. «Ce programme va se poursuivre, même en ces temps difficiles. Nous devons continuer à attirer les jeunes en visitant les écoles, par exemple, et en les formant dans nos usines dans les métiers industriels, via l’apprentissage.»

Et lorsque le chef de production des Fours Hein, qui vient de partir à la retraite après 40 années de bons et loyaux services, revient une fois par semaine dans l’entreprise pour accompagner six apprentis, la transmission de savoir vient s’ajouter à une gestion avant toute chose en bon père de famille.