La pratique est claire et constante: au lendemain d’élections législatives générales, après un dernier conseil de gouvernement, le Premier ministre présente sa démission ainsi que celle de son gouvernement sortant au chef d’État, le Grand-Duc. Qui l’accepte en lui demandant d’expédier les affaires courantes jusqu’à la nomination du prochain gouvernement.
De ce moment politique crucial qui s’ouvre, la Constitution ne dit rien. «L’ancienne Constitution de 1868 ne prévoyait rien, tout comme la nouvelle Constitution de 2023. Ce qui est assez surprenant, parce que les auteurs de cette réforme, au tout début, avaient annoncé que le but de celle-ci était de transcrire les usages et la pratique institutionnelle dans le texte de la Constitution. Sur ce point, rien n’a bougé», relève le professeur de droit constitutionnel à l’Université du Luxembourg et agrégé des facultés de droit en France, Luc Heuschling. On lui doit l’ouvrage «Le citoyen monarque: Réflexions sur le Grand-Duc, la famille grand-ducale et le droit de vote». «Depuis 2009, date du début du processus de la réforme constitutionnelle, je ne me rappelle pas que le sujet ait été abordé. Alors même qu’une transcription des usages aurait été possible.»
Souplesse et flexibilité
Pourquoi un tel silence? Selon lui, l’intention est d’aborder ce moment avec toute la souplesse et la flexibilité nécessaires. «Juridiquement, la seule chose que prévoit la Constitution, c’est que le Grand-Duc doit nommer un Premier ministre. Tout le reste – comment on passe de l’un à l’autre, comment on met en place une coalition, qui doit parler avec qui… – est laissé à la discrétion des partis. Et à la fin, le Grand-Duc doit proposer un nom», résume-t-il. «Dans la pratique, deux options sont possibles. Soit le Grand-Duc entre directement et personnellement en contact avec les différents chefs de parti, soit il délègue cette tâche à quelqu’un d’autre. Et c’est là qu’entre en jeu soit le formateur, soit l’informateur.»
Souplesse et flexibilité ne sont pas synonymes d’arbitraire. Beaucoup d’aspects de la vie politique ne sont pas transcrits dans une Constitution. Ils sont régis par la pratique. Une pratique qui dégage ce que l’on appelle des conventions de la Constitution. Il s’agit d’usages qui, même non sanctionnés par le droit, s’imposent et sont respectés par tous les acteurs. Ainsi, le Grand-Duc sait qu’il a un certain pouvoir, mais il sait aussi qu’il ne peut pas en abuser pour faire ce qu’il veut. Comme imposer arbitrairement un Premier ministre ou refuser une nomination à un ministère.

Au lendemain des élections législatives de 2018, le Grand-Duc avait choisi de nommer un informateur: Martine Solovieff, la procureure générale d’État. (Photo: Nader Ghavami/Maison Moderne)
Juridiquement possible, cela est toutefois politiquement injustifiable. La philosophie qui anime le chef d’État est résumée ainsi par le maréchal de la Cour, : «Tout ici repose sur les usages et l’esprit de notre système institutionnel. Il s’agit d’un dispositif qui permet d’arriver dans les meilleurs délais et conditions à la formation d’un gouvernement en fonction du résultat des élections.»
Formateur ou informateur?
Après avoir reçu le Premier ministre, le Grand-Duc reçoit le président de la Chambre des députés, le président du Conseil d’État et les présidents de tous les partis qui siégeront dans la nouvelle Chambre.
«Il saura s’il y a déjà, parmi les partis, une coalition qui se dessine. Dans ce cas, il nommera un formateur, généralement issu d’un parti politique qui fera partie du prochain gouvernement, chargé de former une coalition gouvernementale. Si, au terme de ces consultations, il n’existe aucune certitude quant à la composition du futur gouvernement, il choisira plutôt un informateur. Son travail consistera à sonder les différents partis sur leurs intentions et options. Il en fera un rapport au Grand-Duc, qui pourra alors soit nommer un formateur, soit relancer le processus d’information. L’informateur est, en principe, choisi parmi les membres de l’ordre judiciaire luxembourgeois», poursuit Paul Dühr.
En 2004 et en 2009, la situation politique était suffisamment claire pour que le Grand-Duc choisisse le Premier ministre sortant, (CSV). En 2013 et en 2018, la situation était politiquement moins claire. Le chef d’État a préféré recourir à un informateur. En 2013, c’était le magistrat Georges Ravarani, alors président de la Cour administrative – actuellement, il siège comme juge à la Cour européenne des droits de l’Homme, dont il est vice-président depuis le 1er novembre 2022. En 2018, le 15 octobre, la procureure générale d’État était nommée. Il a fallu une journée à cette dernière pour faire son rapport au Grand-Duc, qui nommait le même jour d’octobre (DP) comme formateur. L’ouverture des négociations de coalition se faisait alors dans la foulée, le 17 octobre.