Aujourd’hui, la fiscalité est plus complexe et se développe à plusieurs niveaux, explique Keith O’Donnell. (Photo: Nader Ghavami)

Aujourd’hui, la fiscalité est plus complexe et se développe à plusieurs niveaux, explique Keith O’Donnell. (Photo: Nader Ghavami)

Pour le founding partner et managing partner d’Atoz, Keith O’Donnell, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise fiscalité. Celle-ci est avant tout un outil à la disposition des dirigeants soutenant leurs ambitions sociétales. Toutefois, toucher à l’imposition implique de considérer quelques principes essentiels, à commencer par celui d’équité et de justice fiscale.

Avant de nous attarder sur ce qui fait une bonne ou une mauvaise fiscalité, peut-on évoquer le rôle qu’a ce levier, entre les mains des dirigeants, au cœur de nos sociétés?

. – La fiscalité est un outil à la disposition des gouvernements, soutenant la concrétisation des orientations politiques prioritaires d’un pays. C’est un levier qui permet de financer les ambitions que nos dirigeants poursuivent dans de nombreux domaines, comme la santé, l’éducation ou encore le développement d’infrastructure, autrement dit les nombreux services que les pays mettent à la disposition de leurs citoyens ou de l’économie. Au-delà de la possibilité de mobiliser les recettes nécessaires à la mise en œuvre de divers projets, la fiscalité permet aussi d’encourager ou de décourager certains comportements, à travers la mise en place d’incitants. L’exemple le plus évident s’exprime au niveau de la taxation des produits de l’industrie du tabac ou de l’alcool, en vue de décourager leur consommation.

La fiscalité mise en œuvre reflète donc les priorités d’un État, la vision politique de ses dirigeants, avec des gradations qui vont du communisme à l’ultralibéralisme. Ce sont les deux extrêmes. La plupart des États se positionnent quelque part entre les deux. Depuis l’émergence des sociétés organisées, que l’on évolue dans un état démocratique ou autoritaire, la fiscalité s’est imposée comme un levier pour atteindre les objectifs poursuivis.

Si on vous entend bien, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise fiscalité?

Non, je ne pense pas. Après, il y a tout de même quelques principes généraux, que l’on retrouve au niveau de la conception des systèmes fiscaux et qui permettent de les évaluer.

Quels sont ces grands principes?

Il en existe une petite dizaine, que j’ai tendance à regrouper en trois grands chapitres. Le premier a trait à la justice et à l’équité fiscale. Le second concerne l’efficacité. Il s’agit de s’assurer que les mesures fiscales adoptées atteignent bien les objectifs qu’elles poursuivent. Un troisième critère ou principe clé, pour évaluer la pertinence de la fiscalité, serait la simplicité. Il s’agit de déterminer si la manière avec laquelle la fiscalité s’applique est effectivement le moyen le plus simple de répondre à un enjeu. En la matière, particulièrement, on peut dire sans crainte que la tendance générale est à la complexification.

La législation fiscale actuellement en vigueur au Luxembourg est plus conséquente et complexe que celle qui prévalait il y a 30 ans, quand j’ai débuté ma carrière dans ce domaine. Cette complexification n’est pas le seul fait du Luxembourg. La fiscalité ne relève plus uniquement des seuls États, mais aussi d’un ensemble d’organismes internationaux, comme l’Union européenne ou l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en vue de répondre à des enjeux sociétaux globaux, comme la lutte contre le dérèglement climatique, par exemple, avec l’introduction d’une taxe carbone.

Comment considérer le premier principe que vous avez évoqué, celui de la justice et de l’équité fiscale?

La fiscalité joue un rôle-clé dans le maintien de la stabilité sociale. À plusieurs reprises dans l’histoire moderne de l’humanité, des mouvements sociaux ou révolutionnaires ont découlé d’un sentiment d’injustice, dû, notamment, à l’application d’une fiscalité inéquitable. Le Tea Party, dont le nom fait référence à la révolte qui a éclaté à Boston en 1773 et qui a conduit à l’indépendance des États-Unis, est à l’origine un mouvement de contestation face aux taxes que le Royaume britannique avait décidé de lever à l’égard de ses colonies. Le thé, qui était alors un des produits les plus taxés, était devenu un élément de discorde entre les parties en présence.

Plus récemment, ce sont aussi des mesures fiscales jugées injustes qui ont conduit à la mobilisation des «gilets jaunes» en France. Si, au départ, la volonté était de taxer le carbone en vue de répondre aux enjeux climatiques, la manière avec laquelle cela a été appliqué a été considérée comme injuste par une partie importante de la population, en l’occurrence des habitants des zones rurales qui n’avaient pas d’autre choix que de prendre leur voiture et parcourir chaque jour jusqu’à 200 kilomètres pour aller travailler. Le politique doit en permanence être vigilant quant à la manière d’appliquer la fiscalité, en veillant à mettre en place des mécanismes qui garantissent justice et équité. Entre impôts directs et impôts indirects, la politique fiscale peut se traduire de bien des manières.

Comment dépasser de tels débats?

C’est là qu’intervient le critère relatif aux objectifs. L’enjeu n’est pas de se concentrer uniquement sur l’idée que chacun se fait de l’équité fiscale. C’est un critère d’évaluation de la pertinence des mesures fiscales parmi d’autres. Il y a lieu aussi de considérer les objectifs poursuivis par les mesures fiscales mises en œuvre. La question n’est pas tant de savoir ce que l’on prélève, mais bien de s’assurer que l’impôt est bien utilisé, qu’il sert efficacement la collectivité et à financer un ensemble de biens et de services que l’État assure. On évoque ici la confiance que les citoyens placent dans leurs dirigeants envers leur capacité à atteindre les ambitions qu’ils se sont fixées et auxquelles les recettes fiscales doivent contribuer. En la matière, il y a aussi des enjeux importants qui se posent. La manière avec laquelle est géré l’impôt dans un environnement de plus en plus complexe apparaît particulièrement opaque à beaucoup.

La notion de justice et d’équité fiscale , n’est pas quelque chose d’objectif.
Keith O’Donnell

Keith O’Donnellfounding partner et managing partner d’Atoz

Tous ces critères revêtent une dimension hautement subjective…

La notion de justice et d’équité fiscale, en effet, n’est pas quelque chose d’objectif. L’appréciation relative à la manière d’utiliser les impôts est aussi subjective. Selon les sensibilités, on pourrait préférer que les recettes servent à un objectif plutôt qu’à un autre. Considérant ces aspects, on comprend l’importance d’une démocratie qui fonctionne bien. Les élections servent à définir les orientations qui seront prises et, pour les concrétiser, les mesures fiscales correspondantes.

Le nouveau gouvernement, en l’occurrence, va devoir opérer des choix en la matière. À vos yeux, quels sont les points sur lesquels il faut agir pour le Luxembourg?

En premier lieu, je pense qu’il est important d’adapter la fiscalité pour soutenir le développement de l’activité entrepreneuriale. L’un des enjeux, en la matière, est de réduire l’imposition sur les entreprises. Au Luxembourg, le taux nominal est de 24,94%. Ce qui est supérieur au taux moyen européen, qui avoisine les 20%. Il faudrait pouvoir le ramener à un niveau plus acceptable, au niveau de la moyenne européenne ou en dessous. Amener le taux combiné à 17,5% constituerait un message fort, confirmant l’ambition d’un Luxembourg open for business. Ce taux serait en outre parfaitement cohérent avec les réglementations internationales.

Toutefois, lorsque l’on allège la charge fiscale d’un côté, il est important de prendre des mesures visant à sécuriser les recettes de l’autre, notamment si l’on évolue dans un contexte budgétaire tendu. L’un des moyens, à mes yeux, serait d’augmenter l’impôt foncier qui, au Luxembourg, se situe à des niveaux ridicules en comparaison à ce qui est pratiqué dans les pays voisins. Pour donner un ordre de grandeur, les recettes de l’impôt foncier ne représenteraient aujourd’hui que 0,1% du PIB, contre une moyenne européenne de 1,5% du PIB et une moyenne OCDE de 1,1% du PIB. En l’occurrence, on peut jouer sur cet impôt foncier dans l’optique d’encourager les propriétaires à construire ou à optimiser l’utilisation des terrains constructibles d’une manière ou d’une autre. On sait que c’est un enjeu essentiel pour répondre à la problématique du logement.

Un autre enjeu concerne l’attraction des talents. Le Luxembourg ne dispose pas – ou plus – de ressources naturelles valorisables. La création de valeur et la croissance de l’économie dépendent presque exclusivement de la main-d’œuvre. En matière fiscale, il y a des choses à faire pour renforcer l’attraction des talents. L’introduction d’un régime d’intéressement des collaborateurs, assorti d’un avantage fiscal accordé sous certaines conditions, est un bon moyen de le faire. L’avantage d’un tel régime est qu’il constitue aussi un levier de productivité. Les primes versées aux collaborateurs, en effet, sont associées aux résultats de l’entreprise. L’amélioration de la productivité, en l’occurrence, contribue aussi à augmenter les recettes fiscales prélevées au niveau des entreprises.

Évolution des recettes fiscales. Source: Statec (données en base caisse)

Évolution des recettes fiscales. Source: Statec (données en base caisse)

Une réforme fiscale, dans un contexte budgétaire étriqué, constitue cependant toujours un exercice délicat d’équilibriste…

Oui. Et l’une des difficultés majeures est qu’il est toujours difficile d’évaluer les coûts ou gains fiscaux d’une mesure ou d’une autre. La courbe de Laffer est un concept bien connu des fiscalistes. Il formalise l’idée que les effets budgétaires favorables d’un taux d’imposition élevé sur la croissance des recettes de l’État disparaîtraient lorsque le taux d’imposition devient «trop élevé», sans que ce seuil puisse être défini. À partir d’un certain moment, une augmentation de la pression fiscale conduit effectivement à une baisse des recettes de l’État. Cela se passe lorsque la hausse du taux de l’impôt est plus que compensée par la réduction de l’assiette. On est alors incité à moins consommer, à moins travailler ou à moins investir, notamment dans un contexte transfrontalier.

L’inverse est aussi vrai: des réductions d’impôts peuvent augmenter les recettes en dopant l’activité et l’investissement. Les restrictions budgétaires sont évidemment bien présentes. Elles ne constituent cependant qu’une part de l’équation. Un réel courage politique est aussi nécessaire pour évoluer, avancer et relever les défis. La croissance future du pays dépend notamment de notre capacité à attirer des talents et à renforcer notre compétitivité. Si l’on veut attirer des compétences, il faut inévitablement se demander ce qui va les convaincre de quitter le lieu où ils vivent pour venir au Luxembourg. Une partie de la réponse se trouve dans la fiscalité. Ne rien faire en justifiant cette inaction par la nécessité de maintenir l’équilibre budgétaire pourrait, sur le long terme, s’avérer dangereux. Une telle attitude conduit à maintenir une position statique, à ne pas évoluer. Or, au regard de la conjoncture actuelle et des enjeux de compétitivité, le Luxembourg doit prendre des risques et peut se le permettre. Le niveau de la dette reste en effet relativement faible.

C’est tout l’enjeu de la réforme attendue…

Si l’on considère les atouts compétitifs du Luxembourg, on peut évoquer un système social exceptionnel, des infrastructures développées, un ensemble de services aux citoyens généreux. S’il faut poursuivre les efforts, notamment au niveau de l’amélioration des infrastructures, l’enjeu n’est pas forcément d’augmenter le niveau de dépenses, mais de travailler sur les recettes, en vue, notamment, de pérenniser le modèle. Or, celles-ci proviennent principalement des impôts prélevés au niveau des entreprises et des employés, qu’ils émanent du secteur public ou du secteur privé. Dans la mesure où c’est à l’État de financer les emplois dans le secteur public, ce n’est pas en augmentant leur nombre que l’on peut dégager des moyens supplémentaires. Il faut donc travailler sur le renforcement du secteur privé. Et, par conséquent, renforcer notre compétitivité et soutenir la croissance.

Le maintien du modèle luxembourgeois implique le maintien d’une croissance du PIB située entre 4 et 5%. Un pays de la taille du Luxembourg peut-il poursuivre de telles ambitions?

Oui. Et pour justifier cette position, je vais me permettre une analogie. Une entreprise qui, représentant 1% de parts de marché, peut facilement continuer à croître, voire doubler, sans que cela n’affecte son marché. Doubler de taille est plus compliqué pour un acteur qui représente 25% de parts de marché, à moins que le marché lui-même ne double. Au cœur du marché européen, le Luxembourg, de par sa taille, peut continuer à grandir de 4 ou 5% par an sans que cela n’affecte considérablement l’économie européenne dans son ensemble. C’est ce que fait le pays depuis longtemps. Et les possibilités sont encore nombreuses. Que l’économie française ou allemande évolue dans les mêmes proportions, par contre, impliquerait que l’ensemble de l’économie européenne croisse aussi de 4 ou 5%. Ce qui est plus compliqué.

L’enjeu est donc d’aller chercher les recettes fiscales à travers la croissance, à condition d’exporter efficacement…

Il faut à la fois exporter et développer de l’activité localement. Si l’on veut engranger des recettes fiscales, il est nécessaire que les acteurs sur le territoire croissent. Si l’un des enjeux est aussi d’aller chercher des gains de compétitivité, il faut avant tout attirer des entreprises et des compétences au Luxembourg. Si le système social est un argument pour y arriver, la problématique du logement est un frein. En outre, la fiscalité des entreprises n’est pas optimale, pas plus que la fiscalité des personnes physiques.

La marge de manœuvre des États, sur beaucoup d’aspects, est  beaucoup plus limitée que par le passé.
Keith O’Donnell

Keith O’Donnellfounding partner et managing partner d’Atoz

Un allégement de la fiscalité sur les personnes physiques n’est-il pas envisageable?

Le taux marginal, en la matière, s’établit autour de 45%. Tant que cela reste en dessous de 50%, je dirais que c’est acceptable. Je comprends que, pour préserver l’équilibre budgétaire, il soit difficile d’alléger la fiscalité à ce niveau. C’est pour cette raison que, dans les recommandations que j’établis, il est préférable d’alléger l’impôt sur le revenu des collectivités, de recourir à la fiscalité pour répondre aux enjeux relatifs au logement et d’envisager des mesures d’intéressement. Si ces mesures sont mises en œuvre et que nos prévisions en la matière ont été plutôt pessimistes, autrement dit que cela nous laisse encore des marges de manœuvre, alors je préconiserais des systèmes d’allégement de la fiscalité pour les travailleurs en début de carrière, sur les revenus les plus faibles. Cela contribuerait à attirer des talents et à les aider à s’installer de manière pérenne au Luxembourg.

On parle aussi de maintenir un modèle existant. D’autres défis importants, exigeant sans doute des moyens supplémentaires, vont devoir être relevés, à commencer par la transition écologique. Comment la fiscalité peut-elle y contribuer?

C’est, en effet, un des grands défis qui nous attendent. Dans un monde idéal, la transition écologique devrait se financer par l’imposition des émissions de CO2. La taxation du carbone bénéficie d’un support quasi unanime parmi les économistes. De telles mesures ont pour conséquence de dégager des moyens supplémentaires, pour soutenir la transition, tout en encourageant les consommateurs et entreprises à adopter des habitudes moins émettrices de gaz à effet de serre. Sur la taxation du carbone, cependant, la dimension politique est plus complexe et le Luxembourg n’est pas en mesure d’agir seul. C’est au niveau européen, et au-delà, que ces questions doivent être réglées. Le mécanisme européen d’ajustement carbone aux frontières (CBAM), qui est entré en vigueur en octobre, est une mesure forte dans le sens où elle encourage nos partenaires commerciaux non européens à taxer le carbone comme nous le faisons en Europe.

D’autre part, il ne faut pas oublier qu’avec cette transition, c’est tout un nouveau pan de l’économie qui s’ouvre, de nouvelles activités qui se développent, de nouveaux modèles. La fiscalité n’est qu’un levier pour soutenir cette transition. Elle n’est pas la seule solution à ces enjeux. Mais il est avant tout question de choix de société, d’adaptation de nos modes de production et de consommation. Que l’on achète cinq t-shirts à 10 euros ou un t-shirt de meilleure qualité, qui durera plus longtemps, à 50 euros, la TVA payée reste la même. Tout au plus, on peut mettre en place des régimes fiscaux plus attrayants pour certaines activités, comme la main-d’œuvre qui répare des objets ou permet la réutilisation de matériaux.

Vis-à-vis de nombreux enjeux fiscaux, le Luxembourg n’est plus en mesure d’agir seul. Dans quelle proportion sa marge de manœuvre en la matière s’est-elle amenuisée?

La marge de manœuvre des États, sur beaucoup d’aspects, est beaucoup plus limitée que par le passé. Cela ne veut toutefois pas dire qu’elle est inexistante. Sur beaucoup d’aspects, ces dernières années, le Luxembourg a eu tendance à faire le dos rond vis-à-vis des options imposées au niveau européen. Cependant, en revenant au courage politique nécessaire, il est temps aujourd’hui de défendre à nouveau nos intérêts économiques lorsque cela est possible, lorsque les marges de manœuvre le permettent. Nous avons parfois voulu apparaître comme les premiers de la classe, en faisant de la sur-réglementation, ou gold plating en anglais, et en adoptant une démarche trop timide dans la transposition de certains textes. Aujourd’hui, je pense qu’il est important que le Luxembourg, lorsqu’il adopte des mesures fiscales imposées au niveau de l’Union européenne, opte pour les options positives pour les entreprises quand cela est possible. Et, en cas de doute, qu’il fasse valoir et défende les choix qu’il a jugés bons de prendre.

Vous parliez de l’importance de la simplicité en matière fiscale. Au regard de l’évolution de la réglementation au niveau international, ces dernières années, le système fiscal n’est-il pas, au contraire, devenu bien plus complexe?

Il est très complexe. Peut-être trop complexe. Cependant, il est ce qu’il est et a le mérite de répondre à des enjeux clairement identifiés. Avec Beps, Pilier 1, Pilier 2 – qui entre en application en ce mois de janvier –, il est aujourd’hui complet pour l’imposition des sociétés. Selon l’OCDE, l’entrée en application de ces mesures doit permettre de refermer ce vaste chantier. Le problème, c’est que l’Union européenne, de son côté, a tendance à vouloir en rajouter, avec un ensemble de nouvelles mesures encore en discussion (Atad 3, Befit..).

Cette complexification du droit fiscal international, en outre, impacte considérablement  le Luxembourg.
Keith O’Donnell

Keith O’Donnellfounding partner et managing partner d’Atoz

Cela peut-il se justifier par un besoin de trouver de nouvelles sources de financement?

Pas forcément. Au bout d’un moment, au regard de ce qui est déjà en place, l’apport marginal d’une nouvelle mesure est très faible. Ces volontés de légiférer toujours plus correspondent davantage à une approche dogmatique, en réaction à l’actualité, comme on a pu le voir avec les Pandora Papers, qui pourraient conduire à l’adoption de nouvelles mesures à travers un Atad 3 ou un Dac 9, qui pénaliseraient les sociétés européennes. Je pense plutôt qu’avant d’imposer de nouvelles contraintes, qui complexifient le système, il y a lieu de s’assurer que les mesures actuelles fonctionnent bien.

Aujourd’hui, avec Atad 1 et 2, sur l’imposition des collectivités, Dac 1 à 8, au niveau de la transparence fiscale, le système est déjà bien armé pour lutter contre les pratiques d’évasion. Cette complexification du droit fiscal international, en outre, impacte considérablement le Luxembourg. Ces mesures produisent un effet dès qu’une dimension internationale entre en ligne de compte. Pour un grand pays, avec un important marché domestique, cela ne concerne qu’un nombre restreint de sociétés. Au Luxembourg, petit pays à l’économie ouverte, une grande partie des acteurs ont cette dimension internationale. À ce titre, le pays devrait mieux faire valoir ses intérêts au regard de cette complexification de la fiscalité internationale.

Finalement, n’est-ce pas cela que cherchent les États partenaires qui voient cette petite économie ouverte prospérer?

Certains avancent, en effet, que si notre économie se porte si bien, c’est qu’il y a une concurrence déloyale. Mais n’oublions pas que cette économie est une infime part de l’économie européenne. D’autres avancent qu’avec moins de 1% du PIB européen, nous avons attiré une importante masse fiscale au Luxembourg. Cela reste à démontrer. Les mesures Beps mises en place n’ont pas permis d’énormes gains sur l’imposition des sociétés dans d’autres pays. Enfin, il faut remettre les choses dans leur contexte.

Toutes ces nouvelles mesures concernent uniquement l’imposition des sociétés. Or, à l’échelle européenne, l’imposition des sociétés ne représente qu’environ 7% des recettes fiscales. Le fait est que, politiquement, c’est plus facile de prendre des mesures en affirmant que l’on va aller matraquer les sociétés. Ces dernières, rappelons-le, ne votent pas. In fine, ces mesures ne vont pas radicalement faire bouger le curseur. Si l’enjeu est d’aller vers plus de justice fiscale ou d’engranger de nouvelles recettes, la TVA ou l’imposition des personnes physiques constituent des leviers beaucoup plus importants. Mais, en termes de perception, auprès de la population, il est plus facile de cibler les sociétés.

Taxer davantage les grosses fortunes, par contre, est-ce que ce serait une mesure juste?

Sur beaucoup de plans, oui. Si l’on parle d’équité, de justice fiscale, il semble logique de demander davantage à celles et ceux qui en possèdent beaucoup. Cependant, en termes d’efficacité, on constate que cela reste difficile à mettre en place et que les retombées de telles mesures ne sont pas au rendez-vous. Cela n’a pas marché en France, ni en Norvège, ni en Suède. Un rapport de l’OCDE sur le sujet fait le constat que les retombées de ces mesures sont faibles. Le problème principal est que les capitaux sont très mobiles. Pour le Luxembourg, typiquement, l’introduction d’un impôt sur la fortune pourrait avoir des conséquences catastrophiques. Et même si une telle mesure était envisagée à un niveau européen, il n’est pas certain qu’elle produirait les effets voulus. On risquerait une fuite des capitaux et des talents en dehors de l’Europe, vers la Suisse, le Royaume-Uni ou Dubaï, par exemple.

C’est difficile d’aller chercher de l’argent chez les riches… et pourtant ce serait juste?

Oui, vous avez raison. Il est intéressant de constater la timidité de l’OCDE sur ces questions. C’est sans doute que leurs membres n’expriment pas la volonté d’aller dans cette voie.

Trois enjeux-clés pour le gouvernement

Soutenir l’économie

Pour Keith O’Donnell, l’un des enjeux, en la matière, est de réduire l’imposition sur les entreprises. Au Luxembourg, le taux nominal est de 24,94%. Ce qui est supérieur au taux moyen européen, qui avoisine les 20%. Il faudrait pouvoir le ramener à un niveau plus acceptable, au niveau de la moyenne européenne ou en dessous.

Augmenter l’impôt foncier

L’impôt foncier, au Luxembourg, se situe à des niveaux ridicules en comparaison à ce qui est pratiqué dans les pays voisins. Pour donner un ordre de grandeur, les recettes de l’impôt foncier ne représenteraient aujourd’hui que 0,1% du PIB, contre une moyenne européenne de 1,5% du PIB et une moyenne OCDE de 1,1% du PIB.

Attirer les talents

L’introduction d’un régime d’intéressement des collaborateurs, assorti d’un avantage fiscal accordé sous certaines conditions, est un bon moyen d’attirer les talents. L’avantage d’un tel régime est qu’il constitue aussi un levier de productivité. Les primes versées aux collaborateurs, en effet, sont associées aux résultats de l’entreprise.

L’évolution de la fiscalité internationale

2011 – Dac (de 1 à 8)

Depuis 2011, les directives relatives à la coopération administrative dans le domaine fiscal (Dac) adoptées au niveau de l’Union européenne s’évertuent à améliorer l’échange d’informations (parfois automatique) entre les administrations.

2014-2015 – Régime TVA sur les services numériques

Entre 2014 et 2015, le Luxembourg a dû faire une croix sur les recettes fiscales de la TVA sur les services électroniques. Jus–qu’alors, la taxe sur la valeur ajoutée profitait principalement au pays où l’entreprise était enregistrée. La directive a changé la donne, faisant en sorte que la TVA soit désormais celle du pays du client.

2016-2017 – Beps (Atad 1 et 2)

Dans le cadre du chantier Beps, Atad 1 (adopté par l’UE en 2016) et Atad 2 (2017) visent à lutter contre la planification fiscale agressive des entreprises, à améliorer la transparence fiscale et à instaurer une concurrence fiscale équitable pour l’ensemble des entreprises dans l’Union.

2021 – Piliers 1 et 2

Les 141 pays membres de l’OCDE et du G20 tentent de mettre en œuvre une solution à deux piliers afin de réformer en profondeur le système fiscal international et répondre aux défis fiscaux de l’économie numérique.

2023 – CBAM

En application depuis le 1er octobre, le CBAM, ou mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, vise un ajustement de prix appliqué aux importations dans l’UE de biens désignés sur la base de leurs émissions de CO2 au cours du processus de production en dehors de l’UE.

Cet article a été rédigé pour le supplément  de l’édition de  parue le 12 décembre 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.

Votre entreprise est membre du Paperjam+Delano Business Club? Vous pouvez demander un abonnement à votre nom. Dites-le-nous via