Avant d’acheter une œuvre d’art, mieux vaut être averti des taxes auxquelles on doit faire face. (Photo: Mike Zenari/Maison Moderne)

Avant d’acheter une œuvre d’art, mieux vaut être averti des taxes auxquelles on doit faire face. (Photo: Mike Zenari/Maison Moderne)

Avoir un coup de cœur pour une œuvre d’art peut survenir n’importe où, n’importe quand… Mais savez-vous que l’achat ainsi que la vente d’œuvres d’art sont des opérations soumises à une fiscalité propre? TVA, droit de suite, frais d’importation et, le cas échéant, taxation sur la plus-value à la revente. Aidé des conseils avisés de deux experts, Paperjam a voulu en savoir plus sur ce sujet complexe en trois cas pratiques.

Samedi après-midi, 11 heures, vous décidez d’aller faire un tour sur une foire d’art qui se tient près de chez vous. Vous flânez, sans but précis, si ce n’est d’admirer de jolies œuvres à l’occasion d’une sortie en famille. Tout à coup, vous vous rendez à l’évidence: ce tableau qui évoque le paysage de votre enfance, cette figure en bronze devant laquelle vous êtes repassé déjà deux fois (un simple hasard, dites-vous) et vous a ensorcelé… Vous avez donc décidé de les acheter. Mais en fonction de ce que vous allez en faire, faut-il déclarer cet achat? À qui? Et combien cela va-t-il réellement vous coûter au final?

Un marché difficile à évaluer

Il faut d’abord comprendre que le marché luxembourgeois de l’art est peu connu si on le définit par les ventes dans les galeries, les marchands d’art et les maisons de vente aux enchères.

Selon une étude réalisée par Clare McAndrew pour UBS (lire notre premier encadré), le marché mondial de l’art est dominé par les États-Unis, la Grande-­Bretagne et la Chine.

À eux trois, ils représentent 82% des volumes annuels. David Arendt, ancien directeur du port franc du Luxembourg, co­fondateur et trésorier de la LAFA (Luxembourg Association for Art Galleries and Practitioners), pense que le volume du marché luxembourgeois est inférieur à 1% de la catégorie «reste du monde», soit moins de 40 millions: «Cela ne couvre pas les ventes des collectionneurs, ni leurs achats à l’étranger ni les ventes effectuées au port franc. Or, il y a des chances pour que le volume des ventes y soit important. Mais il est compliqué d’obtenir des chiffres, car la douane, qui connaît le montant exact, est soumise à une obligation de confidentialité par la loi.»

Impossible donc de savoir ce que les box inviolables du Freeport (lire notre deuxième encadré) renferment de pépites: une esquisse de Picasso? Un Rembrandt oublié des musées? Karine Bellony est associée et fondatrice du cabinet VAT Solutions, spécialisé dans le conseil en TVA et douane au Luxembourg.

Elle explique: «Les importations d’œuvres d’art, d’objets de collection ou d’antiquités sont en principe imposables à la TVA comme les importations de biens neufs. La TVA est une taxe sur la consommation. Lorsqu’une œuvre est placée dans un port franc, elle est considérée comme non consommée et la TVA y est suspendue pendant toute la durée de son entreposage, cette durée étant illimitée.»

Ce n’est donc pas une annulation de TVA, mais bien un report. Les particuliers ont officiellement recours au port franc ou à un entrepôt sous douane lorsqu’ils ne peuvent plus entreposer d’œuvres chez eux, mais continuent d’en acheter et veulent un espace sécurisé pour les stocker.

Dans les faits, certains peuvent être tentés d’utiliser les ports francs pour éviter de déclarer des éléments de leur patrimoine… ce qui peut constituer une tentative de fraude en ce qui concerne les contribuables dont le pays de résidence taxe la fortune et inclut les œuvres d’art dans le calcul de l’assiette imposable.

Un coup de cœur, trois possibilités

Cas n° 1: J’achète au Luxembourg, j’accroche en Italie

J’achète mon tableau coup de cœur à un marchand qui expose à la Foire d’art de Luxembourg et je veux l’emporter dans ma résidence secondaire en Italie, quelle TVA s’applique? Karine Bellony clarifie d’emblée les choses: «Le principe de territorialité s’applique et vous devrez payer la TVA luxembourgeoise à 17% comprise dans le prix d’achat. Car la taxation qui s’applique est celle du pays où se trouve l’œuvre au moment de sa vente.

En tant que particulier, que vous décidiez de l’accrocher chez vous au Luxembourg ou dans votre maison de vacances à Côme, vous êtes libre de faire ce que vous voulez, selon le principe de libre circulation des biens au sein du marché européen, et il n’y a aucune autre obligation déclarative ou de paiement dans l’Union européenne.» Acheter à une galerie belge ne change rien si l’œuvre est bien présentée au Luxembourg au moment de l’achat. Vous pourrez traverser la frontière vers un autre pays européen avec votre tableau dans le coffre, il n’y aura rien à déclarer.*

Cas n° 2: J’achète à Londres, j’accroche au Luxembourg

«Si j’ai acheté une œuvre à une galerie située en dehors de l’UE, par exemple à Londres, et que je veux l’accrocher dans mon salon au Luxembourg, je paierai le prix affiché, mais également la TVA due à l’importation de 8% au Luxembourg. Néanmoins, il existe au Luxembourg, comme partout ailleurs dans l’UE, une exemption des droits de douane pour l’importation d’œuvres d’art.» Pas de droits de douane donc, et un taux standard de TVA favorable à 17% en vigueur au ­Luxembourg (contre 21% en Belgique, 19% en ­Allemagne et 20% en France), mais une TVA à l’importation qui est passée, pour les œuvres d’art, de 6 à 8% en 2015. Ainsi, si le taux standard de TVA luxembourgeois est l’un des plus bas en Europe, la TVA due à l’importation d’œuvres d’art y est désormais l’une des plus élevées.

Le delta place le Luxembourg en situation défavorable pour la fiscalité des œuvres d’art vis-à-vis des pays proches, puisque la TVA due à l’importation s’élève à 5,5% en France, 6% en Belgique, 7% en Allemagne et même 5% en Grande-Bretagne. «La plupart des collectionneurs particuliers, entreprises ou fondations basés au Luxembourg, dont je fais partie, achètent majoritairement à l’étranger, notamment Paris ou Londres», glisse David Arendt à titre indicatif. Précision: aux États-Unis, il n’existe pas de TVA sur les œuvres d’art, mais une «sales tax» qui est «nettement inférieure à la moyenne des taxes européennes».

Cas n° 3: J’achète à Bâle à un marchand d’art néerlandais

David Arendt expose ce cas, qu’il a personnellement vécu: «J’ai acheté à Bâle à un marchand d’art néerlandais et j’ai voulu emporter l’œuvre avec moi. Or, ça n’était pas possible, car elle était répertoriée en admission temporaire sous un carnet ATA contracté auprès de la douane suisse. Cela signifie qu’il leur a fourni son inventaire d’œuvres avant la foire et devra prouver qu’il est intact en repartant. L’œuvre que j’ai achetée devra m’être envoyée depuis les Pays-Bas.»

«Ce système est intéressant pour des galeries non européennes qui viennent à la Foire de Luxembourg, car il leur permet d’exposer sans avoir à payer la TVA à l’importation», complète Karine Bellony. Il est possible, théoriquement, d’apurer un carnet ATA en cas de vente mais, en pratique, les professionnels préfèrent juste exposer, valider l’intention d’achat sur la foire, et constater la vente lorsque l’œuvre est envoyée, pour éviter les formalités administratives compliquées pour les vendeurs.

Un système prévu pour éviter la spéculation

Dans tous les cas, un droit de suite qui revient à l’artiste (équivalent à des droits d’auteur) peut également être dû dans l’UE à la Sacem, avec une franchise de 3.000 euros et un plafond de 12.500 euros. Enfin, la vente de l’œuvre peut être exonérée de TVA si le vendeur à qui l’on achète l’œuvre est une très petite entreprise (moins de 35.000 euros de chiffre d’affaires par an). Si j’achète directement à l’artiste, la TVA due est réduite à 8%. Enfin, pour les galeries, marchands d’art et maisons de vente aux enchères, il y a un régime spécial qui taxe uniquement la marge générée par la galerie. En d’autres termes, si un artiste a vendu une œuvre 100 euros à une galerie qui la revend 150 euros à un particulier, l’acheteur ne paiera la TVA à 17% que sur les 50 euros de marge.

«Ceci pour éviter qu’une œuvre d’art ne voie son prix augmenter significativement à chaque revente», précise Karine Bellony. Au Luxembourg, si c’est le particulier qui revend l’œuvre, la plus-value n’est taxée que si la vente a lieu dans les six mois de l’acquisition, pour décourager la spéculation. La plus-value est à déclarer aux impôts dans la ligne «revenus nets divers». Attention: bien qu’il n’existe pas de texte stipulant clairement ce cas, un particulier qui revendrait régulièrement (au-delà de trois ventes par an) des œuvres peut être assimilé à un professionnel, soumis à la TVA et taxé sur la plus-value.

Dans le domaine réglementaire concernant la fiscalité de l’art, il reste encore bien des zones d’ombre, tout comme dans la qualification de ce qui entre dans le domaine de l’art. Quid des œuvres numériques? Celles que l’on achète en cryptomonnaie? Mais c’est un autre sujet…

Cet article a été rédigé pour le supplément «Luxembourg Art Week» de l’ parue le 28 octobre 2021.

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