Le ministère des Finances se réjouit de la «situation financière plus favorable» que prévu en 2024. Avec un excédent qui semble tombé du ciel. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne/archives)

Le ministère des Finances se réjouit de la «situation financière plus favorable» que prévu en 2024. Avec un excédent qui semble tombé du ciel. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne/archives)

Alors que le Premier ministre, Luc Frieden, s’apprête à prononcer son discours sur l’état de la Nation, l’examen des finances publiques 2024 montre peu de divergences avec les pratiques du précédent gouvernement. Le retour à l’excédent, inattendu, s’explique par des recettes fiscales dopées, sans virage politique marqué.

À quoi ressemble la politique budgétaire «responsable et soutenable» ? Dès son entrée en fonction, la nouvelle coalition de centre droit s’est distinguée sur le terrain fiscal. Parmi les mesures effectives en 2024, citons l’adaptation du barème de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) et le «paquet logement».

Les récentes statistiques Eurostat des finances publiques permettent de comparer l’exercice 2024 au Luxembourg avec les années précédentes. Force est de constater l’absence de rupture dans l’approche gouvernementale. Professeur de finance à l’Université du Luxembourg, Julien Pénasse s’est penché pour Paperjam sur les statistiques nationales entre 2019 et 2024. «J’ai une sensation de transition très lisse. Il y a des choix budgétaires différents, il y a une réorientation des priorités, mais à budget constant. Pour moi, il n’y a pas de tournant.»

«Lorsqu’on observe le solde public luxembourgeois en pourcentage du PIB, ma première impression est que les déficits et excédents restent globalement proches de l’équilibre», déclare l’économiste.

Et d’évoquer l’excédent réalisé l’an dernier comme n’étant «pas le résultat d’un choix politique, mais une surprise». Alors qu’en 2023, le Luxembourg affichait un besoin de financement de 640 millions d’euros (-0,8% du PIB), la tendance s’est inversée en 2024, avec un excédent de 888 millions d’euros (1% du PIB). Un résultat qui dépasse largement les prévisions du projet de budget 2025.

Cette surprise budgétaire s’explique par une hausse inattendue des recettes fiscales. Selon le ministère des Finances, l’Administration des contributions directes a perçu 14,5 milliards d’euros en 2024, soit +15% par rapport à l’année précédente. Dans un avis récent, la Banque centrale du Luxembourg (BCL) relève qu’à fin septembre 2024, «sur le volet des recettes, la très forte hausse est portée par les impôts courants sur le revenu (+18,4%), en raison notamment des montants élevés récoltés en 2024 au titre de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt sur les traitements et salaires».

«Les données en base caisse de la situation des recettes courantes de l’État au 30 septembre 2024 font état d’une croissance particulièrement forte de l’impôt sur le revenu des collectivités (+42% entre septembre 2023 et septembre 2024), qui s’expliquerait notamment par un important recours aux soldes d’impôt relatifs aux années antérieures. Quant aux recettes d’impôt sur les traitements et salaires, elles ont connu une croissance de 10,9% entre septembre 2023 et septembre 2024, et ce malgré l’adaptation du barème de l’impôt sur le revenu à hauteur de quatre tranches indiciaires depuis le 1er janvier 2024», note encore laBCL.

Autres éléments de continuité: les dépenses publiques, qui ont augmenté de manière significative sur la période 2019-2024 sous l’effet des mesures de crise et de facteurs structurels (masse salariale, protection sociale), se maintiennent à un niveau élevé en 2024. Quant à la dette brute du gouvernement, elle a continué sa hausse, passant de 20,3 à 22,7 milliards d’euros en un an. Le ratio de dette atteint 26,3% du PIB, également en hausse (mais encore bien en deçà des 60% fixés par l’UE).

Le professeur de finance souligne que «la dette publique n’a augmenté que modérément, dans un contexte de croissance suffisante pour maintenir un léger déficit structurel». Il observe également une forme de continuité dans la gestion de la dette publique: «Il semble implicite qu’une responsabilisation budgétaire restera de mise. Cela rejoint la question du ‘triple A’, qui constitue en quelque sorte le ‘trésor’ du pays, un acquis que personne ne souhaite risquer. Les marchés veulent que la notation soit ‘triple A’, mais aussi qu’elle reste ‘triple A’.»

L’OCDE appelle à la prudence

La BCL juge le ratio de dette soutenable, avec «un taux de croissance suffisant pour financer un déficit structurel compte tenu du niveau de la dette». Elle prévoit même une baisse de ce ratio entre 2026 et 2028. Cependant, selon les projections budgétaires, la charge de la dette devrait doubler: de 264 millions en 2024 à 551 millions en 2028. Le Trésor explique que «les prêts à taux 0 émis pendant les années de crise viennent progressivement à échéance et seront à refinancer à des taux nécessairement plus importants».

Rien d’alarmant aux yeux de Julien Pénasse: «Ces projections intègrent les anticipations actuelles du marché concernant l’évolution de la courbe des taux. Pour moi, il s’agit d’une approche prudente dans la mesure où ces anticipations incluent généralement une prime de risque.»

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a tout de même : «Le Luxembourg est très exposé aux chocs économiques mondiaux. En outre, les tensions sur les dépenses liées à la transition écologique, au vieillissement démographique et à la défense s’accentuent. À court terme, la priorité devrait être de reconstituer des marges de manœuvre budgétaires, notamment en supprimant progressivement en totalité les aides énergétiques.»

Les agences de notation [semblent ne pas accorder] un poids excessif au risque lié aux retraites.
Julien Pénasse

Julien Pénasseprofesseur de financeUniversité du Luxembourg

Un rappel, s’il en est, que le bilan du gouvernement Frieden en matière de finances publiques sera largement évalué à l’aune de sa capacité à mener une réforme des retraites. Les pensions de vieillesse, qui représentaient 9,7% du PIB en 2022, restent la principale source de pression à la hausse sur les dépenses sociales pour les années à venir, selon la BCL.

«Les retraites relèvent d’engagements implicites: ce n’est pas de la dette publique au sens strict, mais cela y ressemble, car l’État s’engage à financer si besoin», explique Julien Pénasse. «D’une certaine manière, il faut aussi faire confiance aux agences de notation: si elles maintiennent la note ‘triple A’ du Luxembourg, c’est qu’elles s’appuient sur des fondamentaux solides et n’accordent pas un poids excessif au risque lié aux retraites – ou, du moins, qu’elles estiment que le gouvernement dispose encore de marges de manœuvre.»

Comme repousser l’âge de départ à la retraite, , soulignant que «la stabilisation de la dette à long terme exigera une réforme globale des retraites».